Cet article de Bruce Levy a initialement été publié dans le n°218 de Trax Magazine, disponible sur le store en ligne.
Fetva est DJ, mais elle souhaite rester discrète sur son identité. Plusieurs dimanches par an, avec ses tout aussi mystérieux acolytes Fatma Wicca et Lorenzo Targhetta, elle dévoile sur Instagram le lieu des prochains événements High Heal. Les trois organisateurs réservent ces rendez-vous à une communauté d’initiés composée « d’Internet kids », selon l’expression de Fetva. « Il existe une bulle sur Internet où les gens se connaissent tous plus ou moins. Mais pour se rencontrer vraiment, sans être bourrés ou défoncés comme dans la plupart des soirées, il y a High Heal. C’est un espace où tout le monde vient partager sa vulnérabilité. Au fond, on rêverait de faire High Heal dans un centre de yoga. »
Pantin, Seine-Saint-Denis. En ce soir de fin novembre, entre les bâtiments des laboratoires Boiron et une galerie d’art, le squat investi pour la nuit par le collectif ressemble plus à un miniclub trash berlinois, peuplé de queers et de marginaux en effervescence, qu’à l’antre d’un maître yogi. Tout un cénacle d’initiés se presse sur quelques bancs vétustes. Dans un coin de la salle trône une sculpture en béton aux airs de totem. Ailleurs, des impressions graphiques de clowns maléfiques ornent un mur. Les mêmes, version décor de fêtes foraines, sont suspendus à un grillage. Un décor davantage mystico-apocalyptique que New Age pour projeter les fantasmes d’une communauté jusqu’ici virtuelle : l’envie de prendre le temps, pour une soirée, de soigner ce qui pourrait bien être le mal de notre siècle. « High Heal peut nous guérir de la société, du manque de sens et d’unité, du manque de se sentir humain, de se sentir en communauté », déroule Fetva.
Chaque événement High Heal a son thème, puisé dans la pureté symbolique de certains processus naturels. Les précédentes sessions s’appelaient ainsi “Aloe vera”, “Eclosion”, “Dagian”… Le dernier invitait les artistes invités – dans le désordre, Lukann, Bora, Vida Vojić, Hydropsyche, Désir D’enfant, Moesha 13, All.pass – à créer une œuvre originale autour du mot “lava”. Exaltée par ce thème, Moesha 13 avait délivré une musique jouée sur ordinateur que l’on pourrait résumer par la maxime “tout est foutu, mais ça va aller”. Ses nappes synthétiques purificatrices se mêlaient à des chocs étouffés, ambiance Hans Zimmer vs instrumentaux grime. « Ce qui m’a plu dans l’idée de la lave, c’est de visualiser son processus, explique l’artiste. Elle coule et modifie tout sur son passage avant de durcir, ne laissant derrière elle que la paix. »
« Il y aura bientôt un événement High Heal à Prague, et on nous a proposé d’en faire un à Berlin »
Visuellement, les esthétiques développées par High Heal se rapprochent des soirées queer Parkingstone, pionnières dans la promotion des musiques post-Internet à Paris, ou de celles des soirées berlinoises Creamcake. Les abstractions 3D, ici souvent signées par l’artiste Sybil Montet, fleurent bon le Net.art édulcoré circulant sur DIS Magazine, média new-yorkais pivot pour la scène depuis 2010. Sur SoundCloud, High Heal diffuse des morceaux de healcore, sous-genre situé entre la PC music et l’ambient, signés d’artistes du monde entier. Parmi ceux-là, les morceaux aériens de l’artiste jjjacob issu de son maxi Angelic Hostility, où des rythmes dembow ralentis se superposent à des samples vocaux sans paroles ; à la manière de ceux du réputé DJ/producteur californien Kelman Duran ; ou de Flagalova, qui propose des titres d’inspiration pop où une mélancolie réveille pourtant une atmosphère d’apocalypse…
Lorenzo Targhetta y est pour beaucoup dans la propagation de cette musique sur Internet. Le technicien son et ingénieur sonore en titre de High Heal masterise tous les EP que le collectif publie en ligne. « Il y aura bientôt un événement High Heal à Prague, et on nous a proposé d’en faire un à Berlin », explique-t-il fièrement. Fin janvier, High Heal se joignait le temps d’une soirée aux collectifs Club Late Music et Stock 71, fiers représentants du genre en France, pour inviter le label Genome 6.66 Mbp. Ces Chinois en vogue partagent avec High Heal une communauté en ligne d’artistes nourris aux berceuses post-club et aux références post-Internet. Qui ne désirent rien de moins que de se rencontrer dans le réel.