Cet article a initialement été publié en décembre 2018, dans Trax n°217, disponible sur le store en ligne.
Par Alice Pfeiffer
« La marque née sur les dancefloors berlinois ». Voilà comment le magazine britannique Dazed & Confused présente GmbH, le label d’avant-garde fondé par Benjamin Huseby et Serhat Isik, deux amis qui se sont rencontrés en club. Si le premier est Pakistano-norvégien et le deuxième d’origine turque, leur identité stylistique est, elle, un reflet de la capitale germanique : à la fois rude, ouverte, fêtarde. Paradoxal ? Non, 2019. Cette juxtaposition reflète également la complexité du monde actuel : sombre mais fluide, avec des frontières géographiques plus fermées que jamais mais chahutées par des communautés digitales ou dansantes ouvertes.
Saison après saison, leurs vêtements incarnent ce besoin de protection, d’ouverture et de rassemblement. Du vinyle, du PVC, des matières transpirantes, des coupes sans préjugés, adaptées à tous les mouvements et riches en détail racontent une jeunesse queer et solidaire. De l’autre, des harnachements guerriers, des treillis et des ceintures militaires expriment une anxiété et un besoin de protection urbaine. Et au milieu de tout ça, en guise de trait d’union, la nuit. Pour le duo, la soirée, la boîte de nuit, serait un lieu de résistance alternative, un domaine d’expression et d’expérimentation loin des règles journalières. « Le fait de danser est, pour nous, une forme de médiation, un espace de liberté et de déconnexion, et là où l’on puise notre inspiration », expliquent les fondateurs.
Chaque collection est conceptualisée autour d’au moins une chanson. De ce track découle non seulement les coupes, les matières, mais aussi le lieu du défilé et son ambiance recherchée. « Parce qu’on vit à Berlin, les gens s’imaginent qu’on n’écoute que de la techno », note Benjamin Huseby. Pourtant, à leur attirance pour des sons industriels s’ajoute aussi une couche de RnB des années 90, tout particulièrement Aaliyah. Leurs mood boards [ndlr : planche de tendances, collage composé d’images, d’objets ou de texte aidant à développer un concept et à le communiquer] débordent de clins d’œil à de nombreuses sous-cultures de la fin du millénaire – inspiration survêt, baggies, streetwear, workwear, bondage, gothique (voir “We Need a Resolution“) et ce, pour toutes et tous. Ce mélange de genres et d’horaires fut poussé plus loin lorsque, la saison dernière, la griffe s’est alliée aux soirées berlinoises Herrensauna. Gay et houleuses, celles-ci sont l’antithèse des after-parties mondaines des défilés lors des fashion weeks. « Nous avons en horreur les teufs de l’industrie, nous voulons réellement faire une fête où les gens dansent, se lâchent, et ne viennent pas juste pour être vus », explique la paire.
Ces descendants de la vague lancée par Vêtements y ajoutent une autre couche : la prise de conscience, par le biais d’outils longtemps pensés comme frivoles. Si la fête peut être un lieu de militantisme, de rejets de codes nationaux ou historiques, la mode, surnommée “l’empire de l’éphémère” par le sociologue Gilles Lipovetsky, possède aussi un potentiel à chambouler les normes. « La fête a joué un rôle dans notre évolution personnelle, dans notre façon de socialiser. Celles que nous organisons sont pour nous une façon de nous réunir entre amis et de construire une communauté… Et faire un effort pour se saper est la base de toute célébration et sortie nocturne, c’est intrinsèque au processus ». Lier le visible à l’invisible, l’individu à sa communauté : mission accomplie pour GmbH.