Comment les collectifs techno du Havre déconstruisent les préjugés d’une ville rock’n’roll

Écrit par Manon Beurlion
Photo de couverture : ©D.R
Le 20.11.2018, à 14h36
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Écrit par Manon Beurlion
Photo de couverture : ©D.R
De l’Hôtel de Ville au Musée Malraux, premier grand musée construit en France après-guerre, en passant par l’Église Saint-Joseph, la ville offre une vie culturelle aux antipodes de ses clichés. La rédaction de Trax est partie à la rencontre de trois acteurs qui font battre son cœur nocturne : Étienne Legendre, Victor Baudin et Margaux Soyer.

À chaque ville, son cliché. Pour Le Havre, fief normand, c’est le punk. Proche de Brighton, faite de béton armé et vivier de bars irlandais aux allures rock, la ville possède son « bouillon de culture contemporain ». Considérée comme une ville pauvre (à raison d’un taux de pauvreté élevé à 20%), l’agglomération prolifère d’initiatives culturelles, certaines faisant partie intégrante des lieux depuis déjà plus de vingt ans comme le Mc Daid’s, incontournable bar qui tient son nom d’un pub éponyme de Dublin. Depuis 1996, de nombreux artistes sont passés dans sa cave, des groupes de punk norvégiens à Moon Martin. En 2017 la ville fêtait ses 500 ans, accueillant ainsi plus de 2 millions de visiteurs durant l’été. Un chiffre considérable qui souligne les efforts des institutions, associations et acteurs à faire de leur ville un véritable foyer estival. 


Le Tetris, un socle fait de containers colorés pour les initiatives locales

Parmi ses moteurs culturels, « la ville de béton à l’atmosphère froide et éthérée » peut compter depuis cinq ans sur le lieu émergent mais emblématique Le Tetris, dans un ancien fort militaire désaffecté qui surplombe le port et ses cheminées. La salle a reçu en avril dernier le label Smac (scène de Musiques Actuelles de France), dont la mission est de « diffuser les musiques actuelles dans leur acceptation la plus large et toute leur diversité »Son programmateur, Étienne Legendre, s’évertue à proposer des projets divers et d’envergure. « Sans même parler de budget, la salle a 5 ans, c’est jeune. On commence à être identifié par les producteurs, notamment grâce au festival Ouest Park que nous organisons, mais il y a encore du boulot. » Le festival havrais fêtait ses 15 bougies et ses 18 000 participants cette année. À la programmation des artistes comme Roméo Elvis, Boys Noize, Arnaud Rebotini et Ouai Stéphane. Du rap en passant par le rock et l’électro, l’événement tente de faire le grand écart entre jeunes, moins jeunes et tarifs accessibles. Une manière d’harmoniser la multiplicité des genres à un terreau rock et une scène électronique bien spécifique. Pour autant, Étienne se défend de parler de conciliation : « Il n’est plus possible de parler de conciliation aujourd’hui, il y a une demande variée et de la place pour tout. » Sous l’impulsion locale, le Tetris est devenu un socle pour toutes les propositions pointues portées par des associations spécialisées comme le collectif 329

« Le Tetris nous soutient comme aucun autre lieu culturel ne l’a jamais fait. 
D’ailleurs je ne connais aucune SMAC qui s’engage autant pour des collectifs locaux, c’est une chance unique, qu’on était obligé de saisir. » renchérit Victor Baudin, programmateur de 329. L’association, fondée par Mathurin, se définit comme « un groupe de passionnés divisé en plusieurs pôles artistiques ». Ensemble, ils ont souhaité relever le challenge de « remuer Le Havre » et casser les codes. À bas les clichés, la ville sera électronique. En prenant le contre-pied sans en rejeter l’identité, le crew s’est servi du passé historique du Havre, totalement « rasée » durant la Seconde Guerre mondiale, mais reconstruite de façon linéaire et bétonnée. Un décor industriel très berlinois sur lequel s’est appuyé 329 lorsqu’ils ont eu l’audace d’inviter des artistes allemands. 

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© Jacob Khrist


La première fête techno de 329 dans un pub irlandais

Dans cet activisme, il y a souvent des doutes. Le public local n’est pas forcément habitué à des projets d’un tel calibre. Chaque année, « (on) se demande si on recommence pour l’année d’après, mais tout l’amour qu’on donne à notre travail et les simples sourires venant de nos danseurs à chaque fin de soirée nous donnent envie de continuer » ajoute Margaux Soyer, responsable communication chez 329. Une ferveur inébranlable qui les pousse à donner le meilleur d’eux-mêmes, à agir pour leur ville. « À chaque programmation, un artiste local est présent. » Exemple de Nimä Skill, figure locale invitée régulièrement, dont le personnage est devenu partie intégrante de la ville. Un régime locavore donc, et pour ne pas être en reste, l’équipe se lie à un crew parisien. « Depuis l’année dernière, nous avons fusionné avec le label parisien Lateral Thinking, et de là est venu notre projet de façon naturelle 329 Re-Think, un festival d’exploration sonore et visuelle. » Le collectif 329 reste l’aile havraise événementielle, tandis que Lateral Thinking est l’aile parisienne qui organise quelques raves parties dans la capitale et ses environs. L’aile de Paname avait d’ailleurs été l’initiatrice de la première soirée électronique dans les caves du Mc Daid’s, pub irlandais inscrit dans le dictionnaire du rock. « Le Havre est une ville rock’n’roll depuis toujours, la première teuf techno programmée au Havre depuis le retour en grâce de la musique électronique, c’était Lateral Thinking dans la cave du Mc Daid’s, le pub irlandais de la ville. Je me souviens encore du barman “viking” qui me dit “ce soir vous allez souiller la cave du Mc”, deux heures après il était torse nu… » raconte Victor.


Le festival 329 Re-Think, emblème d’une scène électronique avant-gardiste

Depuis, c’est le projet 329 Re-Think qui a grandi et se tiendra le vendredi 23 novembre, dans l’ancien fort désaffecté. Comme l’explique Victor : « Notre programmation pointue sans concession mélange plusieurs styles de techno ainsi que de la cold wave et de la musique improvisée. » Tout est une question d’ouverture alors ? « On veut proposer la possibilité d’aller voir un concert post punk avec RENDEZ VOUS, mais aussi de clubber avec Answer Code Request. » Un mélange de styles atypiques, mais un mélange de performances aussi : DJ set, live, et vjing. La scénographie reste quant à elle secrète, mais Margaux dévoile tout de même les noms d’Hélène Dony à la création lumière et de Benjamin Laville et Simon Leroux au mapping. Ceux-ci font partie du projet « Alvéole Zéro », un laboratoire d’expériences collaboratives et d’ateliers lumières, qui demeure volontairement discret. 329 Re-Think est un festival ambitieux, dont la programmation décloisonnée et l’identité visuelle offrent un événement à l’avant-garde des expériences sonores : « Si je prends la soirée 329 Re-Think qui arrive, ils nous proposent un travail artistique remarquable, de la programmation à l’affiche en passant par la scénographie… l’impact est hyper positif, plutôt que de tenter de faire quelque chose par nous-même qui ne sera pas maîtrisé, on se retrouve avec un événement de qualité qui va rayonner à une plus grande échelle et qui va forcément séduire et convaincre le public. » ajoute Étienne. 
Et si le collectif 329 est un véritable moteur pour la ville, il ne se contente pas d’une seule casquette : « Il y a aussi un nombre incalculable d’artistes inconnus qui sont ultra talentueux, les trouver c’est un vrai plaisir : c’est aussi notre rôle. »

© Jacob Khrist

Plus d’informations sur la page de l’événement Facebook.

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