Comment l’électro farfelue de Musique Chienne efface la frontière entre sincérité et absurde

Écrit par Gil Colinmaire
Photo de couverture : ©Christine Talos
Le 15.05.2019, à 21h06
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©Christine Talos
Écrit par Gil Colinmaire
Photo de couverture : ©Christine Talos
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Son univers décalé, à la fois ironique et d’une touchante sincérité, a déjà séduit Salut c’est cool ou Flavien Berger. La jeune productrice pleine de talent Musique Chienne a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la sortie récente de son EP Percussive Music sur Cheptel Records, et juste avant sa prochaine date (gratuite) à Villette Sonique, lors du week-end du 8 et 9 juin.


Sarah-Louise Barbett, plus connue sous le pseudonyme de Musique Chienne, a développé depuis quelques années un univers bien à elle, fait de bidouillages électroniques, dont le charme attendrissant réside dans un subtil équilibre entre sonorités ou paroles joliment naïves (les promenades de chien au parc…), et petits bijoux mélodiques (“Papillon de nuit”, “Les aventures d’un oiseau”, “Quand les souris dansent”, “Une drôle de blague”…) à la production limpide et cristalline, pouvant aussi bien évoquer les comptines pour enfants que les morceaux les plus doux et épurés d’Aphex Twin – de “Alberto Balsam” à ses dizaines de démos postées en 2015 sur Soundcloud. Née d’ailleurs comme un projet lo-fi sur cette même plateforme, le musique de Sarah-Louise se fraie désormais un chemin jusqu’à l’Olympia. Un concert donné en mars en première partie de Berger, à l’occasion de la sortie de son nouvel EP Percussive Music sur Cheptel Records, qui laisse déjà présager d’un bel avenir…

Quel est votre parcours musical ?

J’ai commencé la musique, petite. Je voulais faire de l’accordéon et de la trompette, puis de la batterie, mais je me suis retrouvée dans une classe de percussions classiques en Conservatoire. J’ai appris la caisse claire, le xylo, les marimbas, les timbales… pendant 9 ans. Mais avec un prof un peu fermé. Je n’y ai pas appris à composer, ouvrir mon esprit, à faire des folies… J’ai arrêté parce que j’avais choisi de faire du dessin à l’école, qui me prenait beaucoup de temps. C’était un peu un dilemme. J’hésitais avec la musique en tant que professionnelle, dans un orchestre. La musique électronique est venue plus tard en achetant un synthé, et en jouant dessus un peu comme un xylo. Je ne faisais pas trop d’accords, c’était plus des mélodies tapées sur le synthé. Et ensuite j’ai eu des samplers, loopers, pour créer des morceaux assez rapidement. C’était y a environ 6 ans, j’étais à Bruxelles, à l’école d’arts de La Cambre.

J’ai découvert votre musique par “Papillon de Nuit” ou “Arbre Japonais”, sur Soundcloud. Vos premiers titres avaient un côté démo, et étaient publiés en vrac sur votre compte. Vous étiez influencée par le côté DIY qu’on trouve sur Internet ?

Ces titres ont été faits avec un synthé que mon père m’avait offert à Noël, le MiniNova. Il a des sons un peu spéciaux, plus travaillés. Il y avait des bases plus rythmiques parce que j’étais sur GarageBand, j’utilisais des boucles de batterie déjà enregistrées. Avant, je postais beaucoup plus, sans me dire que j’allais faire un concert ou que ça allait être écouté. C’était vraiment un truc personnel. Je participais aussi à une sorte de petit marathon, avec un cercle de musiciens. On se donnait un thème et on devait faire un morceau en 1 semaine, c’était un jeu. Maintenant je ne fais plus trop ça. Dans le milieu, avec les labels, on n’est plus vraiment libres de faire ce qu’on veut. Enfin, c’est plus du tout la même approche de la musique, c’est très bizarre. Je ne pensais pas du tout faire ce que je fais maintenant, sortir un album…



D’ailleurs, votre album La Maison de Billy a peut-être plus cet aspect « disque », ce qu’on peut attendre en général d’un album, comparé à vos premières productions. C’était quand même votre volonté ?

C’était une proposition du label. Ça faisait presque commercial, parce que c’est dédié à la vente et à la diffusion “massive”, même s’il y en a que 500. Mais je trouve ça génial, parce que c’est une façon différente de penser la musique. Tu dois vraiment penser à l’objet comme un tout, sur la durée. Avant, je postais des morceaux qui n’avaient rien à voir. J’ai fait un truc un peu illustratif, comme je viens aussi du milieu de l’illustration.

Ça a été compliqué d’allier cette nouvelle conception de la musique à votre côté expérimental ?

Je pense que je l’ai gardé au final, parce que je ne vois pas mes morceaux comme étant « populaires ». Personne n’écoute vraiment… Enfin, j’ai l’impression (rires). Même la construction, tous les synthés, c’est pas parfait. Et je pense que ça le deviendra jamais, sauf si j’ai de l’argent. Il faut avoir de la thune pour pouvoir créer des choses parfaites. Je sais pas en fait… Non, pas besoin d’argent finalement.

Je parlais plus du côté minimaliste de vos premières compositions, comparé au son plus “pro” de La Maison de Billy

Oui, c’est dû aussi aux instruments que j’utilise. On m’a montré Ableton, puis Reason… Forcément, on est influencé par les outils. Là, j’ai vraiment fait toutes les percus et batteries. C’est pas un preset, il y a vraiment le choix du kick, de la snare, les contretemps… Je viens de la percussion donc c’était amusant pour moi, je découvrais. Je me suis amusée à placer tous les toms comme si je jouais vraiment. C’était pas un truc automatique comme sur les boîtes à rythmes.

Il y a un côté décalé et léger dans votre musique, avec des sonorités assez amusantes…

Oui, il y a un aspect un peu humoristique. Et j’essaie de donner à chaque son quelque chose d’intéressant. Mettre des sons rigolos, c’est aussi pour être étonnée par la musique. J’aime bien ceux qui ressemblent à des animaux ou les bruits de klaxon. Pour mon morceau “Baka” [issu du dernier EP], je voulais des sons de chouette, hibou ou aigle mais c’est très léger. C’est des synthés qui ressemblent à un animal, pas des samples en fait. J’avais déjà fait un mix pour Hotel Radio avec des morceaux de ce type, par exemple de Pierre et le Loup, avec la clarinette pour évoquer le chat.

On dirait que vous aimez aussi jouer avec l’absurde et l’ironie, à commencer par votre nom de scène. Vous parlez aussi de l’humoriste Elie Kakou dans un titre.

Dans le dernier EP, il y a en effet une reprise d’un sketch d’Elie Kakou mais en fait, j’ai pas les droits. Je les ai demandés à la Kakouphonie, sa société de production, mais ils ne voulaient pas. Je l’ai quand même fait parce que je ne vais pas le vendre. C’est seulement sur Internet et c’est un hommage. J’ai pas envie de m’approprier son sketch. Sinon mon nom Musique Chienne est l’évolution et transformation de mon ancien projet Musique Riche (duo avec Léo Hoffsaes), et si on change un peu les lettres, ça fait musicienne. C’est aussi pour mon amour des chiens.

Votre musique a un côté “amusant” aussi parce que vous parlez de scènes du quotidien, comme dans vos dessins, en évoquant des situations qui peuvent paraître banales.

C’est un peu une solution de facilité parce que je ne suis pas très poète. Il faut que les textes soient beaux, que ça sonne bien, mais j’y travaille. J’aimerais y mettre un peu plus de sens. Mais je pense que c’est parce que j’en suis à mes débuts, je pense beaucoup plus aux instruments qu’aux textes et je ne suis pas très à l’aise avec ma voix. Je ne la mets pas trop en avant. Il y a une part de timidité.

Au final, ça a forgé votre esthétique musicale…

Oui, à fond. J’aime bien aussi faire des onomatopées où j’imite par exemple la caisse claire ou la cymbale. Chanter en rythme sans qu’il y ait de mots. Après, ça ne veut rien dire… J’ai aussi chanté en Japonais sur “Baka”. Enfin, un Japonais bizarre : il y a des mots qui existent mais je crois qu’il n’y a pas de sens. Mais pour moi, ça en a un.


Vos dessins sur Instagram
, qui représentent aussi des scènes du quotidien, avec des éléments insolites, sont dans la continuité de votre musique ?

C’est à l’école que j’ai commencé à mêler les deux. Quand j’étais au lycée, on m’a demandé de choisir entre les deux donc j’ai complètement mis de côté la musique, et c’est à ce moment-là que j’ai testé des trucs : j’ai composé d’après un dessin que j’avais fait par exemple. Et puis il y a les dessins qui accompagnent la musique, comme les pochettes. Je les relie à fond maintenant.

L’inspiration vous vient de vos promenades ?

Oui, la balade est vachement importante. Je suis aussi dog sitter donc je suis obligée de promener des chiens, et en même temps de regarder les choses autour de moi. Mes premiers clips étaient tout le temps dans des parcs. Les espaces verts, la sieste, les enfants, les familles autour et le jeu du chien… Oui, il y a vraiment un truc avec la balade et le quotidien. Mais maintenant c’est un peu différent. Le clip de “Baka”, ce n’est pas moi qui l’ai réalisé par exemple.

La période naïve de l’enfance fait aussi partie de vos inspirations ?

Oui, j’ai l’impression qu’elle est toujours présente. J’ai toujours des souvenirs qui reviennent. Je trouve que notre génération grandit un peu doucement, j’ai l’impression d’être encore super jeune, alors que maintenant je vais avoir 30 ans quand même ! C’est trop bizarre, je pense que c’est notre société qui fait ça. On a plus de temps. Moi j’ai le RSA, je ne travaille pas… Je ne vais pas faire un travail qui va me fatiguer. Je n’ai pas envie de grandir trop vite et de faire partie de tout ça. Ça me fait flipper. Je suis aussi inspirée par les illustrations pour enfants, par exemple de Grégoire Solotareff, Tomi Ungerer, Anouk Ricard…

Votre humour pince-sans-rire, vos explications au public peuvent être un peu décontenançants en concert, pour ceux qui ne vous connaîtraient pas. Est-ce que vous vous en amusez ?

Oui mais au début je ne faisais vraiment pas exprès, j’étais gênée. Même quand j’étais au Conservatoire, je m’arrêtais tout le temps pendant les auditions, je recommençais alors que tu ne dois jamais faire ça. C’est un peu la manière de présenter la musique qui me fait me poser plein de questions. Je pense qu’elle ne me convient pas vraiment : faire un concert pendant 30 min et se barrer, je trouve ça compliqué. Je ne suis pas à l’aise alors j’explique, j’ai envie de faire un truc un peu didactique pour montrer aussi ce que ça fait d’être sur scène. J’ai envie d’avoir un lien avec le public pour dire que je ne suis pas forcément à ma place mais que tout le monde peut y être. Ce format de concert, ça existe depuis vachement longtemps mais c’est tellement bizarre. Il y en a qui sont à fond quand ils jouent sur scène, moi je n’y arrive pas et je n’ai pas envie de faire semblant. C’est amusant, c’est une bonne adrénaline, mais c’est absurde. Parfois tu fais 6 heures de route pour jouer une demi-heure. Il y en a qui sont faits pour ça, et d’autres non… Peut-être qu’il faudrait que j’arrête. (rires)


Il y a un côté plus électro sur votre nouvel EP. Pourquoi cette évolution ?

C’est plus dansant parce que c’est les outils que j’utilise qui sont différents. C’est sur un autre logiciel qui m’amène à utiliser plus de boites à rythmes qu’avant, des trucs un peu plus automatiques. Et c’est aussi pour avoir quelque chose de plus adapté au format concert, qui bouge. Il y a aussi les influences, tout ce que j’ai pu écouter ces derniers mois : plus de techno, parce que je suis entourée de plus de personnes, de copains qui font ça. Par exemple Grégoire Bruno qui habite à Bruxelles, Salut c’est cool, qui sont très présents puisque j’en vois un tout le temps. On s’inspire les uns les autres.

Vous avez joué en première partie de Flavien Berger à l’Olympia et à la Gaîté Lyrique. C’est aussi un de vos amis ?

Oui c’est un ami, et je lui dois beaucoup. C’est lui qui m’a proposé pour les concerts parce qu’il aime bien ce que je fais. Ça m’étonne à chaque fois mais ça me fait trop plaisir. La première fois c’était y a 3 ou 4 ans, à Bruxelles. C’était beaucoup plus minimaliste et pas trop dansant. L’Olympia, c’était très impressionnant, surtout pendant les balances parce que j’étais accompagnée d’un ami qui faisait le son, mais il avait fait ça que 2 ou 3 fois. Quand le concert commence, ça va, parce qu’en fait on voit rien et je savais que ça allait passer à toute vitesse. Je voulais faire le morceau du sketch mais j’ai même pas eu le temps. J’ai fait un truc un peu différent avec du mime. J’ai envie de développer cette idée : entendre des sons d’instruments réels et imiter le geste ou la position. C’est inspiré d’un sketch de Courtemanche, où il imitait un batteur.


Ces soutiens ont fait évoluer votre carrière ?

Oui mais très doucement. En tout cas, ça m’a fait jouer dans des salles un peu plus grosses donc j’ai un peu plus confiance en moi.

Musique Chienne se produira en live dans le cadre du programme plein air gratuit de Villette Sonique à Paris, le week-end du 8 et 9 juin.

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