Comment le seul bar lesbien de Mexico protège la nuit queer de l’homophobie ambiante

Écrit par Cécile Giraud
Photo de couverture : ©Mallika Vora
Le 08.08.2019, à 10h25
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©Mallika Vora
Écrit par Cécile Giraud
Photo de couverture : ©Mallika Vora
Dans le barrio de Doctores, au sud-ouest de Mexico City, subsiste un bastion de résistance LGBT+ connu sous le nom de La Cañita. Niché au beau milieu d’immeubles insalubres, ce bar est un véritable sanctuaire pour tous les “queer weirdos” que le gouvernement mexicain n’a jamais su protéger. Portrait d’un refuge fragile qui survit malgré l’homophobie et les tessons de bouteilles.

Depuis 2017, une légère brise de liberté souffle dans les rues de Mexico City, ou plutôt dans le quartier de Doctores, situé dans le sud-ouest de la ville. Réputé pour ses immeubles insalubres, ses crimes et ses patrouilles en cols bleus, ce petit barrio a été choisi par Diana Torres et Gardoki pour héberger un bar LGBT+ du nom sucré de La Cañita. Dès le jour de l’ouverture en 2017, La Cañita est devenu l’un des bars les plus animés de la ville, un lieu de rassemblement pour les puristes de musique, d’art et de mode. Certains soirs, un groupe psychédélique de cumbia ameute une foule de jeunes sur un dancefloor débordant de sueur et de liberté. D’autres soirs, un reggaeton un peu destroy anime des soirées clubs kids scandaleuses.

« Ce que j’aime le plus dans la vie, c’est manger, boire et danser »

Diana Torres et Gardoki sont ensemble depuis cinq ans. L’une est l’autrice de nombreux essais porno-anarchistes, l’autre est une musicienne issue de la scène punk mexicaine des années 1990, bercée par la rage du collectif féministe des Riot Grrrl. Lorsqu’elles ont décidé d’ouvrir ce lieu il y a deux ans, il n’y avait pas de réelle volonté politique. « Ce que j’aime le plus dans la vie, c’est manger, boire et danser », déclare Gardoki, au Los Angeles Times. Pourtant, être l’un des seuls bars LGBT+ inclusifs dans une ville de 21 millions d’habitants demande de s’armer politiquement. Même si le district de Doctores fût, en 2010, la première juridiction du pays à légaliser les unions homosexuelles, La Cañita et leurs client.e.s continuent de subir des agressions homophobes. Un soir, alors que le mezcal coule à flot et que tintent les bouteilles de Corona glacées dans une ambiance moite, deux hommes ivres débarquent au milieu de la piste, les poings serrés. En deux minutes, le dancefloor se recouvre de sang et tessons de bouteilles. Le bar ferme pour le reste de la nuit mais le lendemain, Diana et Gardoki décident tout de même d’ouvrir, comme si rien ne s’était passé. La magnifique marquise qui trône sur leur perron protège du soleil les client.e.s venu.e.s fumer devant le bar, sur des bancs. L’atmosphère est paisible. Mais dès le lendemain, alors que le couple est en vacances, il reçoit un coup de fil d’un voisin : « ton bar est en feu ». Les policiers venus constater le drame prennent l’attaque à la légère : « en même temps, vous avez rien à faire là. Pourquoi vous n’allez pas au Zona Rosa ? »

Un sanctuaire de liberté

Le Zona Rosa, c’est le genre de bar que Gardoki appelle les bars « gays mainstream ». Et ni elle ni sa clientèle ne s’y est déjà senti à l’aise. Dans les espaces dominés par les hommes, où règnent corps musclés et musique pop, les videurs repoussent les femmes lesbiennes, qui se retrouvent alors sans lieu de fête, sans point de rendez-vous nocturne pour manger, boire et danser librement. Ainsi, La Cañita est un de ces laboratoires nocturnes pour désapprendre la haine et bannir l’intolérance. En constante recherche de bienveillance, les personnes harcelées, insultées, agressées le jour cherchent un abri pour profiter de leurs nuits sereinement. C’est la raison pour laquelle la toute première discothèque gay américaine – après le Manwall à Manhattan – prend comme nom “Sanctuary”, pourquoi l’un des plus emblématiques dancefloors inclusifs londoniens s’appelle “Heaven”, et que le club LGBT le plus fréquenté de San Francisco est baptisé “Oasis”. Pour beaucoup de gens qui n’ont jamais connu la sécurité d’une vie familiale, scolaire ou professionnelle vraiment sûre et heureuse, ces lieux sont comme des refuges sacrés.

Ces endroits, on les appelle des safe spaces. Et les grandes villes européennes en regorgent. La preuve au Whole Festival à Berlin, au Petit Bain à Paris, ou encore aux Arm Aber Sexy à Lyon, dont les histoires sont racontées dans le numéro de 223 de Trax, toujours en kiosque et disponible sur le store en ligne

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