Comment le quatuor N U I T parvient à mêler technologies et puissance émotionnelle sur son nouvel EP

Écrit par Gil Colinmaire
Photo de couverture : ©Franck Marry
Le 14.02.2019, à 16h21
08 MIN LI-
RE
©Franck Marry
Écrit par Gil Colinmaire
Photo de couverture : ©Franck Marry
Le quatuor français de rock sombre et électronique N U I T sortait le 25 janvier dernier le bien nommé HURRY, son troisième EP composé dans une notion d’urgence. Après avoir partagé pour le numéro 218 de Trax (février 2019) ses disques formateurs, le groupe, représenté par William et Julien – deux des quatre membres – a répondu à nos questions sur son univers et son nouveau disque.


Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?


Julien : Le groupe est né courant 2013 avec comme volonté initiale, de simplement faire un EP. On n’avait pas énormément d’ambition, on est d’abord un groupe de studio avant d’être un groupe de scène. Le premier disque a été fait assez rapidement, sur la base de démos qu’on avait chacun dans nos tiroirs, et est sorti au printemps 2014. La SMAC du Havre, Le Tetris, s’est proposée de nous accompagner pour essayer de développer le projet. Ils nous ont incité à faire de la scène, des résidences… Le premier concert, fin 2014, a plu à un journaliste du Monde. Deux jours après, une pleine page a été publiée dans le journal. Ensuite, ça s’est enchaîné avec les présélections des Inouïs du Printemps de Bourges, le Prix Chorus à La Défense, pour lequel on a été finalistes, puis le Printemps de Bourges. En 2016 est sorti notre 2ème EP Looking For Gold, qui était plus conceptuel. On a travaillé avec un réalisateur pour faire plusieurs clips, liés entre eux avec une technologie en rapport avec le son, l’image et la synesthésie. Ça nous intéresse de travailler avec de jeunes réalisateurs, qui ne sont pas forcément connus mais qui ont des techniques particulières et ont envie d’expérimenter.


Votre univers sombre et froid est-il inspiré d’influences communes, comme Kid A de Radiohead dont vous parliez dans le dernier numéro de Trax ?

Julien : On a à la fois des références très différentes et pas mal de points communs. On est tous assez fans de Radiohead dans leur façon de concevoir la musique, ou des artistes comme Son Lux, James Blake. Plus que la noirceur de Kid A, ce sont surtout ses expérimentations qui nous intéressent. Quand il est sorti, il amenait un propos complètement différent. Et on ne se dit pas « Tiens, on va faire une musique sombre et froide ». Entre nous c’est plutôt la déconne, on n’est pas dépressifs. [rires]

William : Les producteurs qui sont aussi des DJ’s ont cette volonté de faire danser les gens. Pas nous. Peut-être qu’on a envie d’aller chercher d’autres émotions. Comme dit Julien, on aime bien rigoler dans la vie. Mais quand on fait de la musique, c’est différent… C’est ce que donne la somme des quatre. En ce moment, je suis fou de Sébastien Tellier, et je sens que ça se retranscrit dans ce que je suis en train de faire. Mais même si les démos que je fais peuvent être plus fun, après, dans nos mains à tous les 4, ça va sonner N U I T. Je ne pense pas que ce sera dansant, mais je peux être surpris…

D’ailleurs, vous dites à propos de votre processus de création que vous laissez se produire des accidents.

Julien : La notion d’accident, on va presque chercher à la provoquer. Si un morceau est trop propre, trop construit, on va le déstructurer, passer des instruments, ou parfois la voix de William, dans des machines, pour essayer d’en faire complètement autre chose. Il y a des morceaux pour lesquels on a fait énormément de versions mais on attend d’avoir un consensus à quatre. On est tous très différents dans l’approche de la musique mais finalement on va tous dans la même direction. C’est cette complémentarité là qui fait qu’il y a quelque chose de très uniforme dans N U I T.

Vous utilisez souvent des basses lourdes et des sons puissants. Pourquoi ce choix ?

Julien : On aime bien doser des trucs très doux et aérés, et d’un seul coup rentrer dans quelque chose de beaucoup plus violent. Je crois qu’on a besoin d’extérioriser une certaine violence, sortir des choses qui rentrent un peu dans le lard. A titre perso, quand j’assiste à des concerts ou que j’écoute un album, j’adore me faire surprendre par la musique.

William : C’est une forme d’ascenseur émotionnel. Tu crées de la dynamique. Quand on est en studio, on écoute les morceaux sur un super système de son, et s’il y a ce moment avec un kick, avec ces basses qui nous prennent, ça change tout…

Y a-t-il eu une évolution artistique au fur et à mesure des EPs ?

William : Oui, déjà parce qu’on apprend à se connaître humainement. On se laisse plus de liberté, on connaît mieux nos forces et nos faiblesses. Ce qui fait que, par exemple pour notre dernier EP, on a choisi, plutôt que de prendre notre temps, de se retrouver et de faire un maximum de choses en studio. Il y a beaucoup plus d’éléments organiques : de la batterie acoustique, des pédales de guitare…

Julien : Les deux premiers EPs étaient peut-être plus électro que le troisième, un peu plus vers l’acoustique. Et pour le coup, on s’est joué de l’acoustique. Par exemple, la batterie passe par des grosses distos. On ne veut pas faire quelque chose de trop facile.



Vous avez fait un concert à 360° pour Radio France et une soundtrack binaurale pour Les 500 ans du Havre. La technologie participe à l’expérience musicale, selon vous ?

William : C’est presque l’histoire de la poule et de l’oeuf, la technologie en musique. Tu peux très bien avoir des idées très précises sur ce que tu as envie d’entendre et ne pas savoir comment utiliser la technologie. Donc oui, la technologie nourrit forcément notre musique mais je reste persuadé qu’avec moins de technologie, on arriverait quand même à faire quelque chose qui nous ressemble.

Julien : Mais c’est vrai qu’on est un peu geeks. On a choisi sur les 3 EPs d’être en autoproduction pour avoir la main à la fois sur les images (graphisme, clips) et la production du disque. On a la chance d’avoir un ingénieur du son, Gaétan Le Calvez, qui nous permet d’être libres.

William : Il a été formé comme un ingé son mais il a une sensibilité de producteur de son époque. On est tous des geeks mais on n’a pas tous les mêmes manières d’utiliser la technologie. Toi, Julien, tu vas pouvoir expliquer quelque chose à Gaétan, un son que t’entends mais dont tu ne connaîtras pas forcément le cheminement dans les machines. Gaétan va transformer ça en quelque chose de presque mathématique. Et il peut très bien avoir des idées artistiques qu’il ne va pas réussir à matérialiser. Ça fonctionne en cercle.

Il y a une idée de pluridisciplinarité dans votre utilisation des technologies ? 

Julien : Oui, tout à fait. On a rencontré un plasticien, photographe, qui dépose des œuvres un peu partout dans le monde. On a évoqué l’idée (encore incertaine), de faire un concert au milieu d’une installation. C’est le genre de projets qui nous excite. Pourquoi pas, travailler aussi avec des danseurs, sur de la musique de film ou du théâtre. Ce qui est intéressant c’est de rencontrer d’autres artistes, pas forcément du même milieu que nous.

William : Il y aussi des liens entre nos visuels et notre musique. C’était une idée assez claire dès le départ. Quand on a fait le premier EP, Julien avait déjà toutes les images en tête.

Comment cela se traduit-il sur scène ?

William : On a eu plein de scénographies. Elles évoluent au fur et à mesure des EPs, en fonction de la musique, de nos envies et de nos moyens. On s’est rendu compte au niveau du ressenti du public, que pour une musique comme la nôtre, les lumières et la scénographie sont indissociables. On peut aussi donner de l’émotion à un public par les effets visuels. C’est pour ça qu’on a un ingé light qui tourne avec nous. Le show lumière est totalement écrit.

Julien : Dès le départ, on a écrit notre nom de groupe avec des lettres séparées. On a voulu que ce soit retranscrit sur scène donc on a fait faire une signalétique lumineuse, chacun étant placé devant une lettre. Sur un concert à Beauregard, ça a pris l’eau donc on est passés à autre chose. Là, on travaille sur un système de barres LED lumineuses qui sont synchronisées avec la musique. On a aussi fait du mapping à une époque, sur une reproduction de la forme géométrique de nos deux premières pochettes. Ça faisait plus de 2m de haut et on y avait projeté des effets de textures.

Il y a aussi un côté cinématographique dans votre musique, avec l’emploi de sonorités fortes.

Julien : On aimerait tous tendre vers ça. Ce serait génial de faire une musique de film.

William : On est aussi nourris par des musiques de films. Julien par exemple, est fan d’Ennio Morricone. Sinon, je suis allé voir le dernier Blade Runner – un peu à reculons parce que j’avais adoré le premier. Le film était certes super beau mais super long, mais c’est la musique qui tient tout. Et les sons sont liés à l’esthétique visuelle du film.

L’expérience live est aussi importante que l’expérience sensorielle en salle de cinéma ?

Julien : On a sorti 3 vidéos (ci-dessous) où on joue au Carré des Docks au Havre, pour montrer que tout était rejoué. Les morceaux peuvent être complètement transformés parce que l’écoute au casque, ce n’est pas la même chose que d’aller à un concert. Quand je vais à un live et que c’est joué à la note près, au bout d’un moment je me fais chier, même si c’est bien joué. Et c’est encore pire en electro, quand le mec appuie sur play et fait semblant de bouger les boutons derrière…



Votre nouvel EP a-t-il apporté de nouvelles idées ?

Julien : D’habitude on prend notre temps, l’enregistrement s’écoule sur plusieurs mois. Là, on voulait qu’en 3 semaines, le disque soit prêt. Quand on est arrivés en studio, on n’avait que des bouts de morceaux. On a essayé de créer une émulation, une sorte de bouillonnement créatif dans l’urgence. À la sortie du studio, on était sur les rotules. Et puis, on a enregistré entre Paris et Le Havre dont une bonne semaine aux Studios du Futur de l’Audiovisuel dans le 11ème. Il est super bien équipé en vieux synthés, en pianos, en micros… Ça nous a permis d’enregistrer des instruments beaucoup plus organiques alors que c’était pas vraiment prévu au début.

William : Mais ce n’était pas une contrainte, c’était une volonté. Ça nous a un peu excités, l’idée d’enregistrer sur un très beau piano, une batterie qui sonnait hyper bien, une super table de mixage… mais un peu vieille, avec un côté analogique. On n’a pas beaucoup utilisé de plugins, contrairement aux deux premiers EPs. Quand on prend plus de temps pour faire un disque, on utilise beaucoup plus l’ordinateur.

Avez-vous de nouveaux projets en préparation ?

Julien : En ce moment, on travaille sur un petit inédit de 2 ou 3 titres, qui devrait sortir un peu avant l’été, avec quelques collaborations et des remix. On se demande si l’album, au sens objet avec sa pochette, comme on avait l’habitude d’acheter il y a encore 10 ou 15 ans, a encore du sens face à la culture du stream et du numérique. L’EP est un peu entre les deux parce que tu peux sortir 5 titres et pratiquement tous les cliper. C’est permet de conceptualiser les titres. Le faire sur tout un album, à moins d’être un grand compositeur, je ne suis pas sûr que ça ait encore beaucoup de sens. Je dis ça mais un album est quand même en préparation. On ne sait pas comment il sonnera… Pour l’instant, on a envie de faire vivre le nouvel EP, de le faire tourner. On travaille avec une toute nouvelle boîte de booking qui s’appelle Junior 360. Et on reste ouverts à d’autres sollicitations…

William : C’est marrant parce qu’au début du groupe, on ne voulait pas faire de scène – c’est la SMAC du Havre qui nous y a incités. Et maintenant on a qu’une hâte, c’est de retourner sur la route, rencontrer des nouvelles personnes et jouer.

Le nouvel EP de N U I T, HURRY, est disponible depuis le 25 janvier et en écoute sur le Soundcloud du groupe.

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant