Comment le pionnier de la house Marshall Jefferson s’est fait arnaquer

Écrit par Jean-Paul Deniaud
Le 02.12.2015, à 17h49
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Écrit par Jean-Paul Deniaud
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Naïvement, on guette une réaction sur le visage de la réceptionniste. “Marshall comment ? Jefferson ? Je l’appelle de suite.” Mince, rien n’est venu. Il y a pourtant fort à parier que cette même jeune fille laissé au moins une fois ses hanches rouler sur “Move Your Body”, le tube de “ce pionnier de la house de Chicago”, selon la formule consacrée.

Cet article est initialement paru en juin 2015 dans le numéro 183 de Trax Magazine, disponible sur le store en ligne.

À 54 ans, Marshall Jefferson fait partie de ces désormais “légendes” de la musique électronique, celles d’un temps où il n’y avait pas grand chose et qui ont imposé de nouveaux codes à la musique, à la danse, à la nuit. Si l’on peut voir son nom derrière les premiers morceaux house, acid house puis deep house, il se décharge de ce lourd fardeau avec modestie : “Peut-être ai-je fait fait évoluer les choses un petit peu.”

C’est avec cette même nonchalance qu’il vient s’asseoir sur l’un des fauteuils du hall, racontant entre deux vannes comment il est devenu d’un jour à l’autre musicien, pourquoi la deep house actuelle n’en est pas, ou combien il a pesé dans le succès du célèbre label Trax Records. Qui ne lui a jamais rien rendu.

[MISE A JOUR] Marshall Jefferson vient tout juste de lancer une nouvelle campagne Kickstarter, à l’instar d’un certain nombre d’artistes et de personnalités délaissées bien malgré elles, afin de lui permettre de financer un nouvel album de Sleezy D (l’auteur du mythique “I’ve Lost Control”), auquel il a grandement contribué.

“Ce sera un album de Sleezy D, avec plein de mecs qui travailleront ensemble ; Pig&Dan, Full Intention, Peter Brown, Tyree Cooper… Ils vont faire leurs propres sons sur l’album de Sleezy, et j’en ferais de même, je m’y attelle actuellement”, nous confiait ainsi Jefferson, au cours de l’entretien subséquent. Si l’album a d’ores et déjà été enregistré, le pressage du vinyle (un triple voire un quadruple album) nécessite dès à présent un soutien financier de $10 000, une requête appuyée par les arguments imparables du producteur de Chicago : “S’il y a des risques ? Hmmmmm, je suppose que le danger, comme tout projet musical de nos jours, c’est le fait qu’il puisse s’écouler à deux copies seulement, soit ma mère et mon frère. Mais d’ordinaire, les chiffres de ventes de mes albums sont corrects et il s’agit là d’un album très en vue.”

L’interview est pour Trax Magazine. Tu sais qu’on a appelé le magazine en référence à Trax Records ?

Oh vraiment ? Oh… Ok. Trax Records ? Des gens sans aucun respect. Là, je parle du label. Et c’est bien la seule chose que je peux dire d’eux. Je ne les aime pas.

C’est une grande part de ton histoire, on aura l’occasion d’y revenir… Un des éléments les plus surprenants de ton parcours, c’est qu’au départ, tu n’étais pas dans la dance music, mais dans le rock !

Oui, le rock, c’était vraiment avant les années 80. J’en ai écouté ensuite et j’en écoute toujours aujourd’hui. Il y avait déjà de la dance music black, qui était jouée dans mon quartier quand j’étais gamin. J’étais allé voir Earth Wind & Fire par exemple, mais je préférais le rock. Type Black Sabbath, Deep Purple, ce genre de choses…

C’est quoi la transition entre Black Sabbath, de la musique plutôt sombre, et la dance music très colorée et chaleureuse ?

J’aimais juste les deux ! (rires) Je suis né en 1959, donc au début des années 80, j’avais 21 ans et c’était la grande époque des clubs aux États-Unis. Lorsque j’ai commencé à sortir, j’écoutais l’émission Saturday Night Live Ain’t No Jive, avec le crew de DJs Hot Mix 5 à la radio. C’était les cinq plus grands DJ’s radio de tous les temps. Pour quelle raison ? Ils mixaient parfaitement tous les genres de dance music. Chacun avait une heure pour lui, où il jouait 40 chansons, toutes en deux copies pour pouvoir faire des backspins, des fades, tout type de technique. Et ils étaient… Wow ! Sensationnels ! Ils jouaient disco, de l’euro, New- York, Philadelphia… De tout.

Ils parlent de deep house, de tech house, et c’est le même beat toute la nuit ! Tout se ressemble ! Les gens s’emmerdent !

Marshal Jefferson

Certaines choses de Detroit peut-être ?

Les trucs de Detroit sont arrivés après. Là, je parle de 1981, 1982, alors que les sons de Detroit sont arrivés vers 1986, 1987. L’époque Hot Mix 5, c’était au moins deux ans avant qu’ils ne jouent de la house de Chicago. J’avais un peu entendu parler du Warehouse de Frankie Knuckles, mais je n’y suis jamais allé, c’était un club gay ! Ma cousine y allait tout le temps. Je me souviens qu’elle avait passé cette musique lors d’un repas de famille et mon autre cousin est arrivé en disant : “C’est bien de la house music ça, c’est bien de la musique de gays.” Lui, c’était un gangster, tu vois ! C’était la première fois que j’ai entendu parler de house. Et un peu plus tard, il y a eu ce club dont l’enseigne disait : “Ici, on joue de la house.”

Farley “Jackmaster” Funk des Hot Mix 5 s’était mis à jouer house à la radio et tout le monde n’avait plus que ce mot à la bouche : house ! C’était devenu très populaire. On est vers 1983, 1984. L’autre raison pour laquelle Chicago s’est vraiment mise à la house, c’est parce que c’était une musique de gays, et donc que ça éloignait les gangsters. (Il prend l’accent du ghetto) : “No I ain’t goin there !

Les fêtes house signifiaient “pas de violence, pas de coups de feu”. À New York, les Zulus organisaient des fêtes rap avec comme mot d’ordre : “Tu viens en paix ou tu repars en pièces.” Si quelqu’un venait foutre la merde dans leurs fêtes, ils l’emmenaient derrière et tu ne le revoyais plus. Le rap était donc sans danger à New York, mais pas à Chicago, où tous les gangsters se tiraient dessus. Toute la jeunesse allait alors aux fêtes house…

Et comment es-tu passé des fêtes à faire du son ? Tu n’étais pas musicien…

Non, c’est vrai. J’ai accompagné un ami musicien dans un magasin de musique un jour. Le vendeur faisait une démonstration du Yamaha QS1, il disait : “Ceci est un séquenceur et avec ça, tu peux jouer des claviers comme Stevie Wonder, même si tu ne sais pas jouer de piano.” Wouuaah ! J’ai demandé le prix : 3 000 $. Je ne pouvais pas m’offrir ça, c’était clair. Le type me demande alors où je travaille, et je bossais à la Poste. C’était un bon job à l’époque, il n’y avait pas encore les e-mails et tout ça. Il me propose alors un crédit de 10 000 $. J’accepte, prêt à partir avec mon QS1. Là, le vendeur me regarde et me dit : “Attends, tu ne peux pas avoir un QS1 si tu n’as pas de clavier.” Hmm, oui, il avait raison. J’attrape un clavier. Prêt à partir à nouveau, le type me dit : “Attends, attends, tu ne peux pas avoir ce QS1, un clavier et ne pas avoir de boîte à rythme, non ?” “Ouais, tu as raison.”

J’achète une boîte à rythme. Puis la même chose avec un mixeur. “Et tu ne peux pas avoir tout ça et ne pas pouvoir enregistrer ce que tu fais, n’est-ce pas ?” Et ça continue, j’achète un autre clavier, une TB-303 pour 150 $. Le mec me disait qu’avec, je pourrais faire des lignes de basses comme un pro, j’étais fou ! Au final, je ressors avec une facture de 9 000 $, je ramène tout ça chez moi, et là, mes potes débarquent. Ils se sont foutus de moi pendant des heures ! Se moquant du fait que je ne savais même pas comment en jouer… Je me suis senti vraiment tout petit.

Deux jours plus tard, j’avais écrit mon premier morceau. Ma technique, puisque je ne savais pas en jouer, était de ralentir la cadence à genre 40 BPM. Je jouais, puis j’accélérais jusqu’à 120. Et l’année d’après, j’ai fait cette chanson, “Move Your Body (The House Music Anthem)” et les DJs du monde entier ont commencé à louer des claviers et à jouer du piano comme Marshall Jefferson ! (Il éclate de rire) C’est que ça avait marché ! Et mes amis ont commencé à s’y mettre aussi : “Si lui peut le faire, je peux le faire aussi !” Lil Louis, qui vivait dans le block d’à côté, Fast Eddie, qui vivait deux portes plus bas, K-Alexi et Mike Dunn, qui étaient mes colocs… Et le studio était là, Bam Bam était là, Armando venait de temps en temps, Farley, Ten City, tout le monde passait.

Donc, si ce moment de folie dans le magasin n’était pas arrivé, ces gens-là n’auraient jamais…

Si, ils auraient fait de la musique. Enfin, beaucoup n’en auraient pas fait, mais quelques-uns, oui. Parce que Jesse Saunders avait déjà fait des disques à Chicago, des trucs mauvais, notamment un morceau qui s’appelait “On and On”. Tout le monde se disait déjà : “Je peux faire mieux que lui !” Et c’est ce que je me suis dit quand je me suis retrouvé dans le magasin : je pouvais faire de la musique comme Jesse Saunders. C’est pour ça que j’ai acheté tout ça !

Quand j’écoute tes premières productions, ça me fait un peu penser aux premières productions de Detroit, très breakées, un peu brutes…

C’est parce qu’on traînait avec les gars de Detroit, on jouait aux jeux vidéo ensemble ! (Il se marre) Derrick May, Kevin Saunderson, Eddie “Flashing” Fowlkes, Juan Atkins, on se connaissait tous, on était comme des frères. C’était vers 1987 et les années suivantes. Ils ne jouaient pas forcément à nos fêtes, mais certains ont fait quelques morceaux avec nous. Par exemple, Kevin Saunderson cherchait une chanteuse à Chicago. Il tombe sur Paris Grey, recommandée par “Housemaster” Baldwin, pour qui elle avait chanté auparavant. Elle a bossé avec Kevin Saunderson et c’est devenu Inner City.

À cette époque, est-ce que tu sentais une rivalité entre les deux villes ?

Non, nous n’étions pas du tout rivaux. Tout le monde essayait juste de réussir, de faire de la musique.

Et cette distinction que l’on souligne parfois entre une Detroit brute, dark et techno et une Chicago plus soulful, qu’en penses-tu ?

Peut-être, je ne sais pas. Beaucoup d’entre nous à Chicago jouent de tous les instruments, électroniques ou non, parce que nous n’avions pas de gros budgets comme à New York ou Los Angeles, où se trouvaient les majors. Nous ne pouvions pas nous offrir un joueur de synthé. Tous nos disques sont vraiment différents les uns des autres pour cette raison : nous jouons nous-mêmes tous les instruments.

J’ai trois concerts ce week-end, ils sont complets en deux heures, je ne comprends pas. Les gens viennent avec leurs enfants maintenant ! Parfois, une fille magnifique vient me voir et me dit que ses parents l’ont conçue en rave en écoutant ma musique.

Marshall Jefferson

Et ce côté soulful ?

Tu sais, j’ai fait beaucoup de styles différents. Le “I’ve Lost Control”, “Acid Tracks” qui sonne comme de l’acid house ou même techno, “Ten City” ou “Move Your Body”, plus soulful. Et ce morceau, “Open Your Eyes”, je ne peux même pas dire ce que c’est ! Et ce “7 Ways To Jacking” d’Hercules, je me demande bien comment tu peux l’appeler ! Au final, c’est juste des feelings différents. Par contre ce qui est vrai, c’est qu’à Chicago, nous avons vraiment d’excellents chanteurs.

Qu’est-ce que ça te fait quand tu réalises que tu as peu ou prou initié la house music, puis l’acid, l’acid house, la deep house…

Je ne crois pas que j’ai initié quoi que ce soit, mais peut-être ai-je fait évoluer les choses un petit peu. En fait, je voulais juste que mes morceaux ne sonnent pas comme les autres. Parfois, j’avais juste envie de faire des morceaux, parfois des chansons. Et la première chanson que j’ai faite avec Earl était un peu jazzy. Parfois, c’est juste le chanteur et ce que tu peux faire avec sa voix.

Et pour la suite, tu vas vers quel genre ?

Je ne suis pas attaché aux genres, j’essaie juste de faire de très bonnes chansons, et ça n’arrive pas tous les quinze jours ! Je sors peut-être 3 ou 4 chansons par an. Les gars aujourd’hui peuvent faire 50 ou 100 morceaux par an ! Je ne peux pas faire ça. Si un morceau ne sonne pas, je le laisse de côté. Si c’est vraiment très spécial, j’en fais quelque chose. J’ai arrêté pendant très longtemps, mais je produis à nouveau en ce moment. Tu vois Sleezy D, le mec du titre “I’ve Lost Control” ? Je suis en train de faire tout un album avec lui.

C’est un scoop et une très bonne nouvelle !

Ah oui ? Peut-être que personne n’y fera attention, mais oui, on a de très bonnes choses, donc avec un peu de chance…

Les deux personnes qui ont fait leur premier morceau ensemble il y a trente ans qui retravaillent ensemble à nouveau, c’est cool !Que lui est-il arrivé entre-temps ?

Sleezy D ? Il s’est marié, puis sa femme est décédée. Il avait trois garçons. En tant que père célibataire, il a dû s’occuper de pas mal de choses. C’est pour cette raison qu’il n’a plus fait de disques. Il y a quelques mois, je suis allé à Chicago et nous nous sommes captés. Il m’a dit : “Hey, j’ai envie de faire d’autres chansons, parce que mes gamins adorent vraiment ‘I’ve Lost Control’.” “Whaaaaaaaaaa !! Ok, alors on va en faire d’autres !”

On en a fait une, et ça sonnait pas mal. Puis une autre, et ça sonnait pas mal ! Les gens ont commencé à savoir que Sleezy et moi travaillions à nouveau ensemble et le lendemain, on a commencé à m’appeler pour faire des morceaux sur son album.

Qui par exemple ?

Hmm… Full Intention, Pig & Dan, Peter Brown, K-Alexi, Farley Jackmaster Funk, Tyree Cooper, beaucoup de monde. Ils font leurs morceaux et je vais essayer d’en faire le plus possible, cinq peut-être.

(Il se marre et me fait écouter quelques morceaux, TRÈS FORT)

C’est très lent et deep, et avec ta voix dessus, c’est pour les clubs bien moites ! (Il se marre.)

Et que fait Sleezy sur l’album ?

Il va faire les vocaux, ce mec a une voix… Sleezy a fait la plupart du boulot, mais pour celle-là, j’avais eu l’idée d’un… Comme un gros danseur faisant du hula hoop sous stéroïdes ! (Il explose de rire.)

L’autre raison pour laquelle Chicago s’est vraiment mise à la house, c’est parce que c’était une musique de gays, et donc que ça éloignait les gangsters. Les fêtes house signifiaient ‘pas de violence, pas de coups de feu.

Marshall Jefferson

Quand tu mixes, c’est sur ordinateur avec un logiciel ?

Je mixe sur CD. Je n’aime pas mixer sur ordinateur, je n’ai pas l’impression d’être DJ mais plutôt d’envoyer des e- mails ! J’ai besoin d’avoir quelque chose de physique. J’aimerais jouer sur vinyle mais ils ne pressent jamais 20 000 mais 100, 200 copies, et si tu rayes ton disque où que les vinyles se perdent à l’aéroport, t’es foutu pour toujours ! Donc dès que j’achète des vinyles, je les mets sur CD.

Pour revenir à Trax Records, j’ai lu que lorsque tu as présenté “Move Your Body” au boss du label, Larry Sherman, le mec a répondu que ce n’était pas de la house ! C’est vrai ?

Oui ! Il disait ça parce que le titre n’était pas simplement composé d’une ligne de basse et d’un sample. J’ai répondu que la house, c’est la musique que Frankie Knuckles pourrait jouer dans son club. Et pareil pour Ron Hardy, qui a joué au moins une quinzaine de mes chansons avant qu’elles ne sortent. Je lui ai donné “Move Your Body”, et dix minutes après, il l’a joué six fois de suite. J’ai donc su que c’était de la house ! (Il rigole.)

Mais ils n’étaient pas les seuls DJs house, parce que la house, c’est juste un nom pour la dance music underground. Lorsque Ten City est sorti, on m’a dit que ce n’était pas de la house parce que ça ne ressemblait pas à ce qui sortait à l’époque. Je leur ai répondu : “Pas encore !” Et pareil pour CeCe Rogers, ou Sleedy D – “Qu’est-ce que c’est que ce truc !?” – et pire encore avec “Acid Tracks” ! C’était underground, pour être joué dans les clubs underground, pas à la radio. Et c’est ce dont on a besoin aujourd’hui. Parce que ces mecs parlent de deep house, de tech house, et c’est le même beat toute la nuit ! Tout se ressemble ! Les gens s’emmerdent ! Je suis allé dans un club deep house, c’était le même Fender Rhodes sur toutes les chansons ! J’étais en mode “Si j’entends encore une fois ce Fender Rhodes, je vais flinguer le DJ !” Ce n’est pas ça la “deep house”. Et c’est la même chose avec la techno, avec tous les genres de musique. Ne joue pas cette musique parce que ça rentre dans le format, joue-la parce que c’est bon !

L’autre truc incroyable, c’est que Larry Sherman n’a aimé aucun de tes morceaux !

Il y avait une raison pour cela. Comme je te le disais, Jesse Saunders avait déjà sorti des disques. Et lui et Vince Lawrence, chez Trax Records, ne voulaient pas de concurrence. J’ai payé Larry pour qu’il presse “Move Your Body” mais il ne voulait toujours pas le faire parce que Jesse faisait pression, disant que c’était mauvais. Et la raison pour laquelle toute cette musique est arrivée en 1986, c’est parce que Jesse et Vince ont été signés chez Geffen Records et ont déménagé à LA.

Et c’est là que tout le monde a débarqué : Steve Hurley – “Jack Your Body” ; Mr Fingers – “Can You Feel It” ; Adonis – “No Way Back” ; “Move Your Body”, Sleezy D… Tous ces trucs sont arrivés au même moment. Parce que ces deux mecs n’auraient jamais laissé les morceaux de quiconque sortir ! (Il éclate de rire.)

Mais tu travaillais chez Trax à cette époque ?

Non, j’étais client. J’ai payé pour qu’il presse “Move Your Body” et le sorte sur Trax, alors qu’il était censé sortir sur mon propre label.

Qu’est-ce qu’il s’est passé, il t’a trahi ?

Oui ! Sleezy a donné une copie à Frankie Knuckles, j’en ai donné une à Lil Louis, et c’est arrivé jusqu’à Larry Levan à New York. Les DJs du monde entier venaient à New York pour écouter ce que jouait Larry. C’est arrivé jusqu’à Ibiza, puis en Angleterre où les gens ont entendu cette chanson qui disait “Gotta have house music, all night long”. Et à l’été 1986, tous ces journalistes anglais ont débarqué à Chicago et interviewaient tous les gens qui étaient liés à la house music. Il y avait les magazines Face, Melody Maker, Mixmag… Larry Sherman disait : “Oh, je connais tout de la house ! Je vais vous faire faire le tour des clubs house.” Ce qu’il a fait. Et tous les clubs jouaient “Move Your Body” sur cassette ! Larry avait les pressages d’origine. Le lendemain, il sortait “Move Your Body” sur Trax Records.

Mais c’était légal ?

Non, ce n’était pas légal mais personne n’a signé de contrat ou quoi que ce soit. Je devais le presser chez lui et le sortir sur mon label Other Side Records. C’était censé être le OS#2. OS#1 était Virgo, “Go Wild Rythm Tracks”, qu’il a aussi volé. Virgo était mon nom d’artiste mais il a inscrit Marshall Jefferson sur le disque…

Et il t’a donné de l’argent ?

Non, il ne m’a jamais donné d’argent. Je lui ai donné 1 500 $ pour presser 1 000 copies de “Move Your Body” et il ne m’a même jamais remboursé. J’ai produit “Acid Tracks”, je n’ai jamais eu d’argent non plus. Il faudrait demander à Pierre s’il a été payé de son côté.

Nous lui avons posé la question dans le Trax d’avril et non, il n’a pas été payé non plus. Et ce Sherman, il est passé où ?

Il est encore vivant… Je ne sais pas ce qu’il fait, je m’en moque.

Et j’avais lu que tu avais bossé pour Trax en tant que chef de projet…

Non, jamais. En fait, après le départ de Vince et Jesse pour LA, Larry ne savait plus ce qui était bien. Donc je venais et il me demandait ce que je pensais de tel ou tel morceau. Mais je n’avais pas de bureau, il n’y avait rien d’officiel. Je crois par contre que toute cette période a été en grande partie responsable du succès de Trax Records. J’ai aussi amené Phuture là-bas, l’une des dernières signatures que je lui ai apporté. Après, j’en ai eu marre de tout ça. Et j’ai commencé à travailler avec des majors, Atlantic, EMI.

Ce grand retour de la house garage old school, jouée par les kids, de quel œil tu le vois ?

Je n’ai pas vraiment de réponse. Depuis deux ans, je travaille autant que pendant ces vingt dernières années ! J’ai trois concerts ce week-end, ils sont complets en deux heures, je ne comprends pas. Les gens viennent avec leurs enfants maintenant ! Parfois, une fille magnifique vient me voir et me dit que ses parents l’ont conçue en rave en écoutant cette musique !

Trax 183, juin 2015
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