Pouvez-vous me parler de votre parcours ?
Je fais de la photo depuis mon plus jeune âge. C’était de manière très candide au début. J’avais un appareil jetable, j’étais un peu le photographe de la famille mais sans me prendre la tête avec des questions techniques. J’ai une culture très graphique grâce à mon père qui m’a fait regarder pas mal de films et lire des bandes-dessinées. Je pense que ça m’influence au quotidien. Passé un certain âge (et les premiers salaires), j’ai acheté mes premiers appareils photo, dont des reflex. A ce moment-là, je me suis plus intéressé à la technique. A 30 ans, je me suis demandé « Je reste dans un bureau ou je fais un truc qui me plaît, au lieu de faire des tableaux Excel ? » J’avais pas d’enfants à charge, c’était le moment de se lancer. Comme j’avais déjà un pied dans le milieu nocturne lyonnais et qu’on me demandait des fois de faire des photos, je me suis dit il y a 5 ans que je pouvais tenter l’aventure. Je suis donc professionnel depuis cette année-là.
Votre passion pour la photographie vient de vos parents ?
Mes parents m’ont permis d’avoir accès à une certaine culture graphique. Pas forcément de la photo pure mais tout ce qui est clips musicaux ou films. Comme tous les enfants des années 80, 90, j’ai quelques références ultra-kitsch : des blockbusters classiques comme Jurassic Park ou Terminator, mais aussi Blade Runner. Mais mon film préféré a été fait dans les années 2000 : il s’agit de Kill Bill: Volume 1, qui pour moi est photographiquement un chef-d’oeuvre. En bande-dessinée, Jodorowsky et Moebius font partie de mes madeleines de Proust. C’est seulement après 25 ans que je me suis plus intéressé à la photographie pure, par le travail de certains artistes et le côté technique.
Quels thèmes avez-vous choisi de photographier ?
À la base, j’aime beaucoup ce qu’on appelle la photographie de rue, et de portrait. Quand j’ai fait de la photo mon métier, je me suis dit que c’était important, en cas d’échec, de ne pas me dégoûter de quelque chose que j’aime. C’est pour ça que je me suis plus orienté vers le reportage, la photographie culturelle. Je garde des thèmes que j’aime mais je ne suis pas à 100 % dans la photo de rue. Il y a plein de types de photographies différents (de studio, etc.). J’essaie d’avoir un côté un peu plus pro et un autre pour les loisirs.
Avant de vous lancer dans la photo de soirées, vous étiez déjà un habitué du milieu nocturne lyonnais ?
Oui, à une époque, je sortais énormément, en tant que consommateur. En faisant des sorties, on sympathise avec certaines personnes qui sont dans des médias locaux ou organisent des soirées. De fil en aiguille, j’ai photographié quelques soirées pour des amis organisateurs, et au bout d’un moment j’ai réussi à avoir une accréditation pour le Sucre, qui est un gros établissement lyonnais. J’ai fait une série de photos pour moi, qui a fait mouche, d’une part auprès du Sucre, mais aussi de prestataires de salles qui étaient sur place et qui me rachetaient le reportage. Puis, on m’a donné ma chance ailleurs. J’ai commencé à gagner en notoriété localement.
Par quelle soirée avez-vous commencé en tant que professionnel ?
Le tout premier événement – et ça n’avait rien à voir avec une soirée –, c’était un défilé de mode à Lyon où j’étais allé en roue libre, je n’avais pas de commande. Une fois sur place, j’ai analysé ce qui allait se passer, les photographes qui étaient présents, comment ils étaient équipés, ce qu’ils allaient faire… Ils allaient tous se poser au même endroit avec le même type d’objectif, des flashs… pour tous faire la même photo. Je me suis dit que j’allais faire totalement autre chose. L’organisation a remarqué mes photos et a voulu les racheter. Je n’étais pas encore professionnel à cette époque-là donc j’ai créé ma structure pour pouvoir leur facturer mes réalisations. Et tout est parti de là.
Faire quelque chose de différent, c’est une méthode que vous appliquez à chaque événement ?
En général, oui, même si ça peut parfois être compliqué. La technologie évolue ; on n’a pas tous les mêmes appareils mais presque. Il y a 3 ou 4 marques différentes donc ce qui va nous permettre de nous démarquer, au-delà du post-traitement de la photo, c’est l’oeil humain. C’est grâce à ça qu’on peut être remarqué par le public ou les professionnels, quand on a une bonne touche personnelle. J’ai un peu levé le pied ces derniers temps au niveau des soirées. Avant, je pouvais shooter jusqu’à 4 soirées en une semaine. Sans avoir un ego surdimensionné, j’ai essayé de faire quelque chose de différent par rapport à ce qui se faisait localement. Les gens venaient me voir pour avoir ma patte. Je ne vais pas en soirée pour faire du SoonNight ou du WeeMove. Prendre les gens en photo pour dire qu’on les a pris en photo, ça n’a pas trop d’intérêt s’il n’y a pas quelque chose de graphique derrière.
Pourquoi avez-vous décidé de lever le pied ?
Je faisais trop de soirées, je n’avais plus de vie sociale le week-end. Et il me fallait plus de temps pour le corporate, en semaine. Et puis, je n’avais plus envie de faire de soirées juste pour dire que je faisais des soirées. Avant, je les faisais toutes. Maintenant, j’essaie d’en faire moins en quantité pour gagner en qualité. Ça va me permettre de financer un projet à plus long terme, qui est de partir à l’étranger pour faire davantage de photos de voyages. Je n’ai pas énormément voyagé dans ma vie et j’ai envie de rattraper le temps perdu. Visuellement, c’est enrichissant. L’année dernière, je suis allé pour la première fois en Asie. Tout le monde m’avait toujours dit que c’était une grosse claque. J’ai pu le constater par moi-même.
Vous dites pouvoir vous déplacer en particulier à Paris, Marseille et Barcelone. Pourquoi ces 3 villes en particulier ?
Parce que je l’ai déjà fait par le passé. A Paris, j’ai déjà shooté une fois à la Machine du Moulin Rouge et au Peacock Society pour une installation qui avait été financée par Adidas. Pour Marseille, je suis déjà allé plusieurs fois à Marsatac et une fois à Barcelone il y a 2 ans, où j’ai photographié Le Sónar pour Trax. C’était une très belle aventure. J’aime prendre des moments “historiques” en photo, enfin au niveau culturel et des festivals, toutes proportions gardées bien sûr… Je ne suis pas assez “courageux” ou “fou” pour être reporter de guerre. Ce sont les photographes que j’admire le plus. Ils vont au front avec un appareil photo alors qu’en face, il y a des mecs avec des kalachnikovs. Je pense que c’est une vocation, un peu comme les infirmières. Ce que je fais reste du divertissement.
Qu’est-ce que vous avez voulu exprimer lors du takeover pour Trax ?
J’ai partagé des clichés qui me tiennent à coeur, comme ceux des soirées lyonnaises Garçon Sauvage. Etant un homme blanc, cisgenre et hétéro, ce n’est pas un milieu auquel “j’appartiens” réellement, et je l’ai découvert sur le tard. Mais ça fait partie de ce que je disais précédemment : faire moins de soirées mais plus qualitatives. Ces fêtes, ça met une claque, humainement et photographiquement parlant. C’est un espace génial de liberté qu’on ne trouve pas ailleurs. C’est une communauté qui en bave beaucoup au quotidien, pour un tas de raisons. Ces instants-là, ce sont des moments de communion et de joie. Il n’y a pas de jugement, tout le monde s’en fout. J’apprends beaucoup sur les gens et sur moi-même, à leurs côtés. C’est peut-être ce qui me fait le plus plaisir dans la pratique de la photographie. Et de façon triste et cool à la fois, ce sont les seules soirées où des femmes peuvent danser torse nu sans se faire emmerder. Mais il y a beaucoup de collectifs queer qui voient le jour sur Lyon en ce moment.
J’ai aussi partagé pendant le takeover, des photos des Nuits Sonores, qui sont pour moi très importantes. Ça a beaucoup compté pour moi en tant que festivalier donc c’était un réel plaisir de faire partie de l’équipe après. Quand on est sur scène, devant des milliers de personnes en folie et qu’il y a Laurent Garnier qui nous filme avec son téléphone, on se dit que c’est cool comme métier quand même… C’est mieux que de faire des tableaux Excel ! Au-delà des artistes, mon métier m’a permis d’approcher certaines personnes comme Garnier ou Paula Temple, qui ont un succès immense mais qui restent ultra accessibles, gentilles et humbles. Todd Edwards, qui a gagné un Grammy avec les Daft Punk, quand tu le rencontres, il déconne avec toi comme si t’étais son pote. C’est super rafraîchissant.
Montrer la vie nocturne lyonnaise vous tenait particulièrement à coeur ?
Oui parce que Lyon reste une ville sous-côtée sur la scène internationale. Pourtant il s’y passe plein de choses. Je côtoie beaucoup de personnes qui ont vécu à Berlin, Paris ou Barcelone, et qui me confirment que pour la taille de la ville, il y a une offre de malade. Ça a énormément bougé au niveau des soirées underground sur les 10 ou 15 dernières années parce qu’avant, c’est vrai que c’était un peu mort. J’ai un peu émergé en même temps que ces événements.
Vous dites « aimer la discipline ». C’est quelque chose qu’on retrouve dans vos photos ?
J’aime à la fois les choses anarchiques et effectivement, des fois les choses très carrées, architecturales ou iconographiques. En ce moment, Le Sucre a en couverture sur sa page Facebook, une photo que j’aime bien, que j’ai faite lors d’un événement avec Radio Nova et Laurent Garnier. Je suis totalement athée, et pas baptisé, mais ça fait partie des images “iconiques” qui m’ont marqué. On dirait presque une scène du Christ, le dernier repas de Jésus, avec Garnier au milieu et les gens tout autour. J’aime bien ce genre de petits détails, avec des lignes directrices, etc. C’est ce qui fait la puissance d’une photo, cet instant T décisif : la bonne expression, le bon éclairage, le bon moment…
D’autres photos de votre production vous ont marqué ?
Comme je faisais 3 ou 4 soirées par semaine, et ce toutes les semaines, j’ai fait des milliers de photos en 5 ans. J’ai essayé de mettre dans le takeover, celles qui me parlaient le plus : par exemple les soirées Encore, qui est un collectif avec lequel j’ai commencé et pour lequel je travaille toujours. Ils sont très forts pour ramener des artistes qu’on ne voit pas beaucoup à Lyon habituellement. Les Nuits Sonores, c’est pareil, j’ai grandi avec eux. Les soirées queer ou le reportage Trax que j’avais fait au Sónar sont importants pour moi aussi… C’était la première fois que j’allais à un gros festival en dehors de l’hexagone. C’était une belle claque. Cette année je vais faire Dekmantel mais je ne pense pas faire de photos cette fois-ci. J’aime découvrir d’autres choses que la “mentalité” française, de nouvelles scénographies et installations aussi. Je m’intéresse moins à l’univers musical puisque je suis beaucoup plus axé sur la photo mais ça me permet de découvrir des artistes par la même occasion.
Les photos de Gaétan Clément sont à retrouver sur son Instagram ou sa page Facebook.