Composé de la chanteuse Jessica Fitoussi et du musicien Yvan Ginoux, collaborateur régulier de Rone, le duo La Mess sortait son premier album le 5 avril 2019. Un projet aux accents electro-pop tout en nuances et en émotion dont le titre évocateur, Sweet Rage, s’avère particulièrement adéquat.
Car la rage, Jessica la connait bien. Arrivée il y a une dizaine d’années à Paris, cette ancienne étudiante en art dramatique est repérée pour ses improvisations dans les couloirs de son école par une amie du beatmaker Ugly Mc Beer. Avec un texte écrit et enregistré en à peine deux heures, la jeune artiste se retrouve sur l’album du légendaire scratcheur pour un morceau soul et psychédélique intitulé “Not Afraid”. Et en effet, Jessica, chanteuse autodidacte n’a pas peur de pousser la voix, faisant fi de la douleur. Chantant dans pas moins de sept groupes amateurs en même temps, ses cordes vocales lâchent. Pendant près de 3 mois, elle ne peut plus parler. Il faudra attendre une opération, puis deux longues années de rééducation pour reprendre le micro. Un comble.
Cette période douloureuse, « aussi bien sur le plan physique que psychologique » est l’occasion d’apprendre le piano, travailler son écriture et de composer un album acoustique orienté rock progressif. « Je me suis complètement reconstruite », confesse-t-elle. L’occasion également d’apprivoiser et, surtout, de préserver une voix puissante et mélodieuse qui n’est pas sans rappeler celle de Lana del Rey. « Trouver l’équilibre entre technique et spontanéité » est alors l’objectif principal. Aux alentours de 2016, Jessica fait la connaissance d’Yvan. Ensemble, ils forment La Mess, un nom jouant de l’homophonie entre le registre religieux et le mot anglais “mess”, signifiant “chaos”. Une étape déterminante qui, selon elle, « relève à la fois d’une rencontre humaine et musicale ».
À l’écoute de l’album, dont l’orientation mainstream ne plaiera pas à tout le monde, le challenge vocal est largement réussi. Sublimé par de somptueux arrangements, le chant y est sûr, maitrisé et véhicule des émotions intenses, allant de la colère (“Beautiful Day”) à la jubilation (“Eargasm”). Mais là où l’auditeur lambda perçoit des cris ou des hurlements, la chanteuse préfère évoquer « une manière de se transcender en emmenant sa voix vers une vibration plus intense et saturée », irréductible à la seule brutalité.
La première partie du morceau “Love is Everywhere” en offre un bon exemple. « Ce ne sont pas seulement des appels à l’aide, mais plutôt la retranscription d’émotions plus complexes et nuancées. », précise t-elle. Pour elle, les cris qui l’émaillent ne sont pas seulement l’expression d’une colère sourde, mais se tiennent sur le fil du plaisir et de la douleur. « Sweet Rage parle beaucoup de mort, mais aussi d’orgasme. Parfois c’est tellement bon que ça peut faire mal et, inversement, ce qui fait mal peut devenir bon », philosophe la figure du groupe. Une forme de paradoxe tragique appuyé par la seconde partie de la pièce, dont le titre réduit la phrase à ses initiales “L.I.E”. Deux morceaux composés dans un contexte difficile, la perte d’un membre de sa famille. Dans ces couplets, « c’est lui qui parle », avoue- t-elle sur un ton poétique.
« Ce qui me fascine dans la musique, c’est l’intelligence émotionnelle. », conclut Jessica, dont la voix, par moments, se fait plus douce. La majorité des morceaux étant structurés autour de grandes montées en puissance, des passages plus calmes se rapprochant presque de l’ambient (“In Between”) font redescendre la vapeur. « Il fallait décompresser, rendre l’album plus intelligible ». Ce morceau, raconte-t-elle, a été écrit tard dans la nuit, « entre le coucher de la lune et le lever du soleil ». Une ambivalence qui, au fond, résume le ton de l’album.
S’il y a un message à retenir de Sweet Rage, c’est sans doute celui-ci : il n’y a pas d’émotion “pure”, et encore moins d’amour parfait. L’album est disponible en physique et en écoute sur Spotify, Deezer et la plupart des plateformes de streaming.