Par Jlin
On m’a souvent qualifiée d’artiste d’avant-garde, et cela me convient très bien, j’en suis même fière. Un artiste d’avant-garde est quelqu’un qui a choisi de ne pas emprunter le même chemin que les autres, qui veut essayer de nouvelles choses et aller dans de nouvelles directions. J’ai toujours cherché à faire quelque chose de nouveau. En fait, je ne suis jamais satisfaite. Les êtres humains ont tendance à catégoriser les choses qu’ils ne comprennent pas pour reprendre le contrôle en leur donnant un nom. Je ne suis pas comme ça, j’aime passer outre les catégories. Par exemple, j’ai travaillé avec William Basinski, que je considère comme un artiste d’avant-garde. Je suis très éloigné de lui musicalement, mais nous avons fait un morceau ensemble sur Black Origami.
Pour ma musique, j’ai en quelque sorte ma petite formule : dans mes recherches de sonorités, je cherche quelque chose de clair, précis et imprévisible. C’est ça Jlin. J’aime les choses qui me surprennent, qui me frappent et me font vraiment ressentir quelque chose. Et c’est ce que je veux faire avec ma musique, je veux évoquer des choses. Si je ne ressens rien, ça ne va pas. J’aime les choses qui ont un vrai impact, une certaine lumière, qui vivent toutes seules. J’ai essayé d’insuffler ça dans tout ce que j’ai produit jusqu’à présent, et chaque morceau a sa propre énergie, ils ne dépendent pas les uns des autres.
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Je peux être inspirée par tout et n’importe quoi. J’adore le mouvement, la danse, le langage du corps m’inspire beaucoup. Mais je ne cherche jamais à être inspirée. Parfois, des choses arrivent et m’inspirent, et cela change ma perception des choses et me fait évoluer en tant qu’artiste. Je peux regarder des étendues d’eau et être complètement inspirée. Un bébé peut m’inspirer, cette innocence, cette vulnérabilité. Quand je compose ou que je monte sur scène, je ressens cette même impuissance et cette vulnérabilité face au public. Je me mets à nu. Je ressens aussi toujours lorsqu’un artiste se met sincèrement à nu et présente sa propre vulnérabilité. Je ressens ça quand j’écoute Holly Herndon, quand j’écoute Philip Glass, Max Richter ou Ben Frost. Il y a certains artistes, comme eux, qui se mettent totalement à nu. Je ressens aussi ça chez Sade. Ces artistes sont tellement sincères que personne ne peut leur ressembler. Il n’y aura jamais d’autre Anita Baker. Ils ont cette vulnérabilité et ils ont réussi à la maîtriser pour la sublimer, c’est un art en soi.
Je n’aime pas quand un artiste essaye d’être à la mode. Wayne McGregor n’a pas peur de la vulnérabilité, il n’a pas peur de la critique, tout ce qu’il sait faire, c’est être authentiquement et parfaitement lui-même. Et la plupart des gens ont peur d’être eux-mêmes. Le monde d’aujourd’hui est comme ça. Tout le monde fait semblant d’être quelqu’un d’autre. Tout le monde fait semblant d’aller bien alors que personne ne va bien. Je l’aime pour sa sincérité et je l’aime parce qu’il n’a jamais essayé de me limiter dans mon travail. Il m’a donné ses instructions, il m’a conseillé de lire un livre, et ensuite, il m’a laissée créer et raconter son histoire à travers ma musique, et c’est ce que j’ai fait. Et composer ce ballet m’a changée en tant qu’artiste, ça a changé la façon dont je vois et ressens les choses.
La musicienne a composé la musique pour le ballet de Wayne McGregor, Authobiography. Le chorégraphe britannique – qui a par ailleurs collaboré avec Jamie XX en 2017 – lui a laissé une entière liberté sur ce projet, qui résonne désormais comme un temps fort de la carrière de Jlin. Cette dernière est à l’affiche de la prochaine édition du Sónar Festival à Barcelone.