Comment la Veleno, le Saint Graal des guitaristes, a façonné le son de Justice

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©D.R
Le 28.12.2018, à 17h10
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L’une des guitares les plus populaires chez les musiciens est aussi l’une des plus rares. Le duo Justice la rencontre en 2010, en regardant le clip Children of the Revolution de T-Rex, un de leurs groupes préférés. Xavier craque alors littéralement pour le design incroyable d’une guitare dénuée de bois et tout en aluminium. Il n’en avait jamais vu auparavant et découvre qu’il s’agit d’une Veleno, fabriquée à la main par un certain John du même nom.


Article initialement paru dans le numéro 213 de Trax (disponible ici)

Texte par Arnaud Wyart


John Veleno  (aujourd’hui âgé de 84 ans) était maître machiniste et ingénieur lorsqu’il a conçu sa première guitare. Dans les années 60, il a mis ses compétences au service des premiers projets d’exploration spatiale de la Nasa et même participé à l’élaboration du premier module d’excursion lunaire. Mais il est aussi un grand passionné de musique et guitariste occasionnel dans des groupes de rock. Il a même été prof de musique lorsqu’il était plus jeune. Son premier instrument, Veleno l’a donc construit – le soir, après son travail – pour son propre usage en 1966. Un an plus tard, un prototype était déjà prêt. Et c’est via un simple bouche-à-oreille que la Veleno s’est fait connaître au début des années 70, après que Veleno a présenté sa guitare à Marc Bolan de T-Rex, pendant la préparation d’un concert. Outre un manche très fin pour jeu plus aisé, la Veleno est composée d’une pièce unique en aluminium, ce qui permet d’éliminer la moindre interférence électrique. Marc Bolan est totalement séduit et impressionné par le son de cet instrument hors du commun. Il demande à John d’en fabriquer deux de plus (une pour lui et une pour son ami Eric Clapton). Il n’en fallait pas davantage pour que la guitare argentée fasse son chemin chez les artistes, et pas des moindres.


De Clapton à Kurt Cobain

Au total, un peu moins de 200 modèles ont été fabriqués par Veleno. Parmi les heureux propriétaires, figurent des légendes telles que Lou Reed, Todd Rundgren, Jeff Lynne (Electric Light Orchestra), Robby Krieger (The Doors), Keith Levene (The Clash) ou Mick Mars (Mötley Crüe). Kurt Cobain s’est également fait prêter celle de Steve Albini pour l’album In Utero. De son côté, bien qu’il ait reçu énormément de demandes, John Veleno n’a jamais accepté de faire des modèles sur mesure. Toutes sont donc identiques. Problème pour Justice, l’Américain avait déjà pris sa retraite en 2010 et, surtout, arrêté la fabrication de guitares depuis déjà un moment. « C’était impossible d’en acheter une d’occasion. Les musiciens ne les vendent pas et lorsque cela arrive, rarement, les prix sont indécents. En plus il y a quelques fausses qui circulent… J’ai fini par trouver le contact du type qui les fabriquait, ce John Veleno. Au début, il a refusé de nous en faire une. Mais j’ai continué à lui parler et il a fini par accepter, à condition de savoir qui nous étions », raconte Xavier. A l’époque, John Veleno ne connaît pas Justice et demande même les passeports. « Il voulait savoir à qui il avait affaire. J’ai commencé à lui écrire presque tous les jours, pendant huit mois. Nous sommes un peu devenus des amis épistolaires… » John Veleno écoute les disques de Justice et demande à voir A Cross the Universe (réalisé en 2008 par Romain Gavras et So Me), le documentaire célébrant la tournée américaine des Français. Xavier essaie tant bien que mal de l’en dissuader, prétextant qu’il ne s’y passe rien d’intéressant, mais rien à faire, Veleno regarde la vidéo. « En fait, je ne voulais pas qu’il ait une mauvaise image de nous. Mais il a quand même vu le documentaire et il a cru que nous étions vraiment un groupe chrétien. Du coup, il a adoré. Le truc fou, c’est qu’il m’a dit “Ah et génial le dernier morceau du film” qui est Please Love Me de Polnareff. Je ne me suis pas attardé sur le fait que nous n’en étions pas les auteurs… »


« Audio, Veleno, Disco »

Finalement, Veleno accepte de sortir de sa retraite et huit semaines après, le duo recevait son modèle, ajoutant, au passage, son nom à cette liste de musiciens légendaires. Depuis l’album Audio, Video, Disco (sorti en 2011), la Veleno est même omniprésente dans la musique de Justice, mais il est tout simplement impossible de la reconnaître. « Au départ, c’était purement esthétique. Après, pour l’utilisation que l’on fait des guitares, c’est tellement transformé que le son clair n’est pas très important. D’ailleurs, lorsque l’on veut intégrer des guitares claires, on emploie d’autres modèles, notamment une Fender. On utilise surtout la Veleno pour son niveau de sortie très élevé et le fait qu’elle est facile à jouer », ajoute Xavier. Rendre les guitares, comme la basse, les samples et les synthétiseurs, totalement méconnaissables, c’est la philosophie de Justice. Et pour trouver le son qui lui convient, le duo n’hésite pas à multiplier les pistes en studio. « Utiliser un son qui a déjà été entendu 1 000 fois, ça ne nous intéresse pas. Nous avons plein de pédales, de plug-ins et d’effets digitaux pour transformer les différentes sources, mais ce que l’on fait souvent, c’est diviser le son à la sortie des guitares. On envoie ensuite un côté dans des pédales et l’autre directement dans l’ordinateur et on traite le même signal de manières différentes. C’est le mélange de tout ça qui donne le résultat final. »

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