C’était un vendredi soir tout ce qu’il y a de plus normal. On allait voir les jumeaux maléfiques de Gazelle Twin dans les abysses d’un Petit Bain pas tout à fait sold out pour la biennale Némo. Et puis, on s’est pris une sacrée claque devant la performance de Myriam Bleau qui nous a fait tourner la tête avec ses toupies infernales et ses beats éclatés. Comme l’impression de découvrir un nouvel instrument, aux possibilités multiples, mais surtout au très fort potentiel esthétique et visuel. D’emblée, on a prévu une interview quelques jours plus tard. Mais ce 13 novembre, une deuxième claque d’une autre ampleur nous attendait à la sortie du concert. Un vertige soudain qui nous avait enlevé les toupies de la tête… Pour un temps.
Difficile d’expliquer en noir sur blanc ce qu’on a vu ce soir-là. Jetez plutôt un œil à la vidéo ci-dessous pour vous faire une idée (et pour comprendre, rendez-vous un peu plus bas) :
Tu peux te présenter rapidement pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Je suis une compositrice et musicienne basée à Montréal. Ma pratique comprend la création de performances et d’installations audiovisuelles. Je m’intéresse à l’intégration d’objets familiers dans la performance, moins pour leur côté anecdotique que parce qu’ils fournissent un point d’ancrage, un repère dans l’exploration de concepts de performances audiovisuelles.
La première chose qui interpelle quand on te découvre en live, ce sont tes toupies. Elles viennent d’où ? C’est toi qui les a mises au point ?
Je les ai conçues sur mesure pour une performance en particulier, elles font partie intégrante du projet. Il n’y a personne d’autre qui utilise ces mêmes toupies.
C’est l’idée de la toupie qui m’est venue en premier. Puis j’ai eu envie d’en construire qui soient de très grande taille afin de rendre les interactions plus explicites. Assez rapidement dans le processus de prototypage, je me suis rendue compte de leur ressemblance avec des platines vinyle. J’ai eu envie d’intégrer ces connotations hip-hop et dance, non seulement dans la musique, mais aussi dans la gestuelle idiomatique des DJ’s et dans l’attitude que je projette lorsque je suis sur scène.
Ça marche comment exactement ?
Les toupies sont munies de gyroscopes (qui détectent la vitesse de rotation) et de modules Wi-Fi qui envoient les données vers une patch Pure Data (qui est un langage de programmation visuelle open source). La vitesse de rotation informe différents processus musicaux, comme la vitesse de lecture d’échantillons, le tempo de segments rythmiques. Dans “Soft Revolvers”, ils sont multiples et changent d’une section à l’autre, d’un instrument à l’autre. En fonction des sons générés, des patrons lumineux sont renvoyés vers les toupies, suivant généralement l’enveloppe d’amplitude des sons. Tout ça me permet de cerner plus aisément ce que chacune des interfaces contrôle.
Pourquoi ne pas avoir choisi des instruments plus “traditionnels”, plus maniables et familiers ?
C’est là que réside tout l’intérêt de la démarche ! Les technologies actuelles nous permettent de repenser la lutherie, de créer des instruments qui matérialisent une idée musicale et qui participent au discours esthétique. Je ne compte pas réutiliser ces toupies dans un autre projet. Je créerai plutôt d’autres dispositifs qui trouveront écho dans les thématiques de la nouvelle œuvre.
Tu as été guitariste de jazz, puis dans un groupe de hip-hop où tu programmais également les beats. Qu’est ce que ça t’as apporté dans ce que tu fais actuellement ?
J’ai fait des études en jazz et j’ai participé et initié plusieurs projets, autant jazz que pop. Ces expériences m’ont permis d’être déjà très confortable sur scène, au tout début de ma pratique de performance solo. L’approche jazz m’a permis de développer un bon sens de l’improvisation, la capacité à trouver des solutions rapidement dans un contexte live et d’être toujours à l’écoute.
Quels sont tes projets ? J’ai cru comprendre que tu expérimentais avec un télégraphe ?
Oui, j’expérimente en ce moment autour de l’idée d’un télégraphe anachronique pour un projet d’installation, où j’utilise des messages envoyés par les visiteurs pour générer des compositions algorithmiques. On verra où ça me mène. En ce moment, je travaille surtout sur une performance avec des verres à vin qui s’appelle autopsy.glass. En fait, il s’agit surtout de créer une tension autour de la destruction anticipée. J’utilise le potentiel sonore du verre pour créer des paysages sonores via diverses manipulations. Je brise beaucoup de verres (!) en cherchant les sons les plus stressants possible : en les comprimant lentement dans un étau jusqu’à ce qu’ils explosent, par exemple.