S’il fallait accoler un genre musical à l’année 2022, celui-ci serait sans doute la house music. Modernisée et remise au goût du jour par des artistes populaires comme Beyoncé et Drake, la house, née à Chicago à l’aube des années 70, truste désormais le haut des classements. Ce revival a ainsi permis à des figures encore discrètes du genre d’être propulsées sur le devant de la scène, à l’instar de l’Américaine Honey Dijon.
Avec Black Girl Magic, un deuxième album sorti à l’automne 2022, la DJ et productrice Honey Redmond (à la ville) a franchi un palier supplémentaire, quelques mois seulement après la sortie de l’incontournable RENAISSANCE, septième album studio de Beyoncé, pour lequel elle a produit deux morceaux – “CUFF IT” et “ALIENSUPERSTAR”. Un coup de fil vécu comme un honneur pour Honey Dijon, quand on lui apprend que la popstar chercher à réaliser un album infusé de dance music et de l’énergie propre aux nuits new-yorkaises des années 70 et 80. On ne pouvait trouver profil plus approprié pour la mission.
Née à Chicago à la fin des années 60 (sa date de naissance exacte est inconnue), Honey Dijon grandit dans une famille afro-américaine traditionnelle. Ses parents l’ayant eue tôt, il n’est pas rare qu’elle assiste à des fêtes organisées au sein du foyer familial. Fêtes auxquelles elle est rapidement conviée, afin de choisir les morceaux qui feront danser les invité·es : “Je m’occupais déjà de faire le warm-up avant même que je ne sache ce que cela voulait dire” déclare-t-elle au magazine Antidote en 2017. Dans la bande-son de ses soirées se côtoient Marvin Gaye, Chaka Khan ou encore Minnie Riperton.
Naturel donc, de la voir apparaître en club dès l’âge de 13 ans, armée d’une fausse carte d’identité et d’un amour incommensurable pour les communautés nocturnes, majoritairement noires, latinas et queers. Ainsi, la nuit devient l’espace où l’on s’affirme, où les identités se libèrent. Quand on lui demande ce qu’elle a appris à Chicago, la DJ est catégorique : tout. “Tout ce que je sais de la musique, je l’ai appris là-bas. Chicago n’est pas comme New York ou Los Angeles, c’est une ville ouvrière. L’épicentre de la culture ne se trouve pas à côté de votre porte, donc vous êtes contraint·es de créer votre propre monde” (Another Magazine, 2022).
Finalement, Honey Dijon migre vers New York et ses soirées dantesques, assoiffée d’aventures. Elle cite encore volontiers sa première nuit à la Sound Factory, club iconique de la scène ballroom au sud-ouest de Manhattan, comme la plus mémorable de sa vie (une nouvelle fois, elle refuse d’en donner la date exacte). C’est là, à l’aube des années 2000, qu’elle croise les créateurs de mode Kim Jones, Hedi Slimane ou encore Adrian Joffe, mari de Rei Kawakubo et président de Comme des Garçons. Doucement, elle a terminé sa transition de danseuse en DJ adulée de cette micro-scène new-yorkaise. On la demande pour faire danser en aftershow, et on lui commande même des bandes originales de défilé, comme pour la collection Louis Vuitton Homme Automne/Hiver de 2018.
Au cours des vingt dernières années, Honey Dijon s’est affirmée comme une figure incontournable de la house aux États-Unis, sans toutefois franchir les portes de la sphère grand public. C’est presque chose faite lorsqu’en 2017, elle sort son tout premier album, The Best of Both Worlds. On y retrouve l’influence de son mentor, Derrick Carter (l’un des fondateurs de la house), les gimmicks vocaux entêtants des débuts du genre, ainsi que quelques synthés bien langoureux. Cet opus l’installe définitivement comme une référence, et lui vaut de nombreuses commandes de remixes, de Madonna en 2019 (“I Don’t Search I Find”) à Lady Gaga en 2020 sur “Free Woman”.
Pour celle qui a grandi avec l’explosion de la house, 2022 ne pouvait être qu’une très belle année. D’abord pour la collaboration inattendue avec Beyoncé, mais aussi pour son deuxième et très beau deuxième album : Black Girl Magic. Honey Dijon est, pour l’occasion, allée chercher les nouveaux prodiges du genre, à l’instar du Californien Channel Tres, qui mêle house et hip-hop avec brio. Il faut dire que la DJ est une diggueuse inarrêtable. On dit qu’elle en collectionne quelques milliers…
Aujourd’hui, Honey Dijon est toujours l’une des seules DJ noires et transgenres à jouer dans les plus grands clubs du monde (comme le Panorama Bar de Berlin). Ses sets ne se limitent jamais à seul genre, et voguent entre R’n’B, acid house et funk. “En tant que personne trans et queer, je devais être créative pour être heureuse. Je ne cherchais pas la gloire ou la reconnaissance. J’essayais simplement de trouver la paix en créant un monde magnifique qui n’existait pas” confie-t-elle, toujours à Another Magazine. Et ce monde magnifique est ainsi né au cœur de la nuit, dans un club sombre, pour faire communauté.
Honey Dijon sera de passage à Paris, le samedi 3 juin prochain. Les billets sont disponibles sur le site du festival.