Comment “Domino” est devenu l’un des morceaux de techno française les plus connus au monde

Écrit par Paul Brinio
Photo de couverture : ©Oxia
Le 20.03.2017, à 18h50
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Écrit par Paul Brinio
Photo de couverture : ©Oxia
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Il y a un peu plus de 10 ans, en 2006, sortait des machines d’un grenoblois un son qui allait bouleverser un grand nombre d’amateurs de musiques électroniques, mais aussi la carrière de l’artiste. Le nom du track : “Domino”. Le nom de l’artiste : Oxia. Un hit planétaire qui allait devenir la signature de cet artiste humble, présent sur la scène électronique depuis 1991.

En février 2017, il décide de sortir un rework et de laisser trois artistes remixer son track, le tout sur Sapiens, le label de son ami Agoria, avec lequel il partage l’affiche du Marvellous Island Festival les 6 et 7 mai prochain sur la plage de Torcy. Trax a rencontré Oxia pour revenir sur la naissance de ce morceau et sa nouvelle jeunesse.

Qu’est ce que ça fait d’avoir signé un tube comme “Domino” ? Il a récemment été sacré 6e meilleur morceau techno de tous les temps par le public du festival Awakenings… 

C’est assez drôle qu’un peu plus de 10 ans après la première sortie, ce morceau finisse par ressortir dans les classements. Je ne suis pas très classement, c’est tellement relatif. Quand quelqu’un te sort “tel DJ est numéro 1, donc c’est le meilleur du monde“, ça ne veut rien dire. Ce n’est pas du sport. C’est assez subjectif et cela se base sur l’échantillon de votants. Mais mis à part cela, le succès actuel de ce morceau nous montre que les gens l’ont aimé et qu’il les a marqués, et ça me fait très plaisir.

Le classement tombe au moment où vous sortez le rework en plus…

Coup du hasard, c’est plutôt marrant.

Quelle est l’histoire de ce track ?

Tout le monde me le demande, mais c’était il y a plusieurs années maintenant et j’avoue que j’ai un peu de mal à m’en souvenir (rire). Je ne crois pas qu’il y ait une histoire particulière… J’ai composé ce morceau, c’était une question d’inspiration, comme n’importe quel autre track.

Oxia – Domino

Comment expliques-tu son succès avec le recul ?

Je n’ai pas d’explication particulière… Il a peut-être aussi bien marché parce que beaucoup de DJ’s de styles différents l’ont joué : techno, house, trance ou même EDM… Mais ça, je n’en suis pas très fier (rire). Ça a permis de toucher beaucoup de monde, de différents horizons.

Qu’est ce que cela change dans la vie d’un artiste, d’avoir un track qui cartonne autant ?

Quand “Domino” est sorti, cela faisait déjà quelques années que j’étais dans le son et ça marchait déjà plutôt bien. Je tournais déjà pas mal à l’international, mais le succès du morceau m’a emmené à un niveau au dessus. Forcément. Quand le track est populaire, l’artiste le devient aussi.

On part d’une scène qui est à la base underground. Qu’est-ce que cela signifie de composer un hit propulsé aux yeux de tous ?

Souvent sur un hit comme ça, cela ne dure qu’un temps. Il peut y avoir un effet inverse aussi, c’est-à-dire que les gens se souviennent du nom du morceau et pas de l’artiste. C’est à double tranchant.

Oxia © Overdose

L’éternel dilemme de l’underground ou de la popularité…

À l’époque, c’était aussi le prix à payer. Soit cela restait underground avec tous les problèmes que l’on avait au début, les soirées où les flics débarquaient ; soit cela devenait plus populaire et on perdait ce côté-là, qui fait aussi son charme. Je ne suis pas du tout de ceux qui disent “c’était mieux avant“, c’était différent. On a vécu un truc dans les années 90. C’était le début, et quelque chose de super fort. Aujourd’hui c’est juste différent et ce n’est pas forcément mois bien. On est toujours là, donc cela signifie que l’on prend toujours autant de plaisir.

Comment as-tu constaté l’efficacité de “Domino” ? Tu t’y attendais ?

C’est un peu bizarre. Je m’attendais à ce qu’il marche, ce morceau, mais pas autant. Une fois terminé je me suis dit que j’avais quelque chose qui fonctionnait. Ça s’est fait petit à petit, je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Et quand j’ai réalisé, je me suis dit “oh putain quand même… (rire) Souvent il n’y a pas d’explication, un track marche et c’est comme ça.

Un souvenir de cette prise de conscience ?

Difficile à dire car cela s’est fait crescendo. Je me souviens d’une chose, c’est la première fois où je l’ai joué en club. Il n’était pas encore sorti. On jouait avec The Hacker dans le Sud, à Cannes. Je l’ai mis et les potes qui étaient là m’ont dit “Ouais c’est sympa, mais sans plus, ça ne va pas marcher…” À chaque fois qu’on en reparle, Michel (The Hacker, ndlr.) me dit “Putain je m’étais trompé, j’ai pas été très fin là-dessus.

On imagine que tu es quand même conscient de l’impact qu’a pu avoir ce morceau, si tu sors aujourd’hui un rework et des remix ?

Pendant longtemps, et je ne sais plus pourquoi d’ailleurs, je ne voulais pas qu’il y ait de remix. Il y a aussi une explication technique, que l’on peut lier à l’histoire du morceau. Je l’ai composé sur un Atari, donc ce n’était qu’un séquenceur, que du hardware, que des synthés externes. On ne pouvait pas enregistrer comme maintenant l’audio, les automations, c’était plus compliqué. Donc techniquement, je n’avais pas du tout les pistes pour les éventuels remixeurs. Heureusement j’ai gardé l’Atari. J’ai donc tout rebranché, et 10 ans après, c’est toujours une galère.

Oxia – Domino (Rework) [Sapiens]

Peux-tu nous parler de ta rencontre avec Agoria ?

Agoria c’est très vieux ! (rire) Ça remonte au début des années 90, nous nous sommes rencontrés en soirée quand il a commencé à jouer un petit peu. Il était un petit peu plus jeune que nous, qui avions débuté le son un peu avant. Quand je dis “nous”, c’est la bande de Grenoble avec The Hacker, Miss Kittin, etc. Avec Agoria, nous n’avons que 4-5 ans d’écart, mais quand nous en avions 23 ou 24, il était un peu “tout jeune” quoi… Vu qu’il est de Lyon et nous de Grenoble, nous nous retrouvions souvent dans les mêmes soirées, et petit à petit on est devenu potes. Pas tout de suite, d’ailleurs…

Vraiment ? À cause de quoi ?

La différence d’âge. Mais on s’est vus de plus en plus. Je suis allé habiter à Lyon pendant deux ans et lui était toujours là-bas, donc on se voyait très souvent. C’est là que nous sommes vraiment devenus amis.

Pourquoi sortir ce disque maintenant ?

On m’avait déjà proposé et j’avais dit non. Là, Agoria est revenu à la charge un soir. On avait bu des coups, on racontait des conneries et on s’est mis à parler du fait que c’était les 10 ans du morceau. Il m’a proposé de sortir des remix et un rework. C’est vraiment venu comme ça et il m’a convaincu.

Oxia – Domino (Matador Remix)

Hormis les soucis techniques, tu n’as pas eu d’autres problèmes au niveau des droits ?

À la base, “Domino” est sorti sur Kompakt. Par chance, le contrat d’exclusivité était terminé ; ils pouvaient continuer à l’exploiter mais j’avais le droit de récupérer le morceau. C’était une étape en moins, car casser un contrat aurait été très difficile. Cela a quand même été un peu long car ils n’étaient pas très chauds. Je suis devenu le premier artiste à récupérer les droits d’un morceau chez Kompakt.

Tu ne voulais vraiment pas le faire chez eux ?

J’aurai pu, mais je savais que ça n’allait pas être pareil. Avec Agoria, on est tellement potes qu’il fallait qu’on bosse vraiment ensemble. Avec Kompakt il y aurait eu trop d’intermédiaires. Nous n’aurions pas pu travailler de la même façon. Je n’aurais pas eu le même pouvoir de décision. C’est plus simple avec quelqu’un qu’on connaît bien, même au niveau des retours et de ce qui peut ne pas plaire.

Oxia – Domino (Robag’s Lasika Cafa Nb)

Du coup, en quoi cette nouvelle sortie est-elle différente ?

À la base je ne savais pas si j’allais faire un remix ou quoi. Me remixer moi-même, je ne l’avais jamais fait et je ne savais pas trop. Donc j’ai préféré faire un rework. Tous les sons sont les mêmes, sauf qu’ils sont traités différemment. À l’époque du premier “Domino”, le matériel n’était pas le même et il tenait sur trois pistes.

Tu penses que la manière d’appréhender un morceau et de consommer la musique a changé ?

Internet a changé beaucoup de chose. Quand on faisait un set à nos débuts, le public ne connaissait aucun des morceaux que l’on passait, à part quelques hits. On allait au magasin, on achetait ce que le disquaire recevait et ça s’arrêtait là. Aujourd’hui, les gens peuvent tout écouter, tout le temps. Cela change car les gens sont “plus éduqués” à la musique, mais c’est l’évolution naturelle.

Oxia – Domino (Robag’s Ewel Xmohl Nb)

Tu t’imaginais faire carrière dans ce métier quand tu as commencé ?

C’est quelque chose que je voulais faire depuis que j’étais très jeune. J’ai commencé par faire de la radio. J’ai vu un concert à mes 7-8 ans avec mes parents, c’était Cerrone et je leur ai dit “je veux faire ça“. À 12 ans j’ai gagné un concours dans une radio locale à Grenoble, du coup j’étais à la radio en tant qu’animateur. Ça a été la révélation. Ensuite j’ai eu une émission de funk lorsque j’ai eu 15-16 ans. Nous étions une petite bande, vraiment à fond. Les DJ’s résidents qui jouaient dans des petits clubs existaient déjà, mais ceux qui tournent dans le monde entier non. On ne s’imaginait pas arriver à ça.

Oxia Domino (Frankey&Sandrino Remix)

Et pour finir, un mot d’Agoria pour décrire son ami Oxia : 

Olivier est un excentrique raisonné. Notre amitié remonte à l’origine des rave parties, bien avant l’engouement pour la musique électronique et ses célébrations. Des années durant, nous avons partagé toutes sortes d’expériences. Des champs de maïs squattés aux quatre coins de la France, bien souvent synonymes de train Corail et de lendemain difficiles, aux stages rodés des grands festivals, qui nous étonnent encore. Un long chemin marqué au fer rouge par “Domino”, sorti sur Kompakt au moment où sa musique s’est démocratisée pour devenir l’hymne que nous connaissons. Un signal de rassemblement. Un appel à l’hédonisme de nos premiers pas, un titre épilogue pour grandes messes, un trait d’union entre les générations. Porteur de tant de souvenirs, de sourires, d’osmose, je vois ce maxi à la fois comme un hommage au talent d’Olivier et comme un témoignage de notre épopée commune.

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