Comment Club Late Music, High Heal et Stock-71 projettent la club music dans les années 2020

Écrit par Gil Colinmaire
Photo de couverture : ©D.R
Le 21.03.2019, à 11h35
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Écrit par Gil Colinmaire
Photo de couverture : ©D.R
Ce vendredi 22 mars, en amont du festival Inasound, Trax invite le futur de la club music à venir se produire au Grand Marché Stalingrad. Parmi les artistes accueillis à cette nouvelle Club Trax, les trois collectifs réinventant les soirées parisiennes, Club Late Music, High Heal et Stock-71, qui s’empareront de l’espace Mini Club avec leurs sets hybrides. Entretien avec leurs différents membres, pour en savoir un plus sur leurs univers – tournés vers l’avenir – et leur collaboration.


Pouvez-vous nous présenter vos collectifs ? Comment se sont-ils créés ?

Brice (Club Late Music) :
Tout est parti d’une conversation entre François et moi au printemps 2015. On sentait un essoufflement dans la musique électronique, bien qu’on voyait déjà une nouvelle vague arriver. Sur le ton de la blague, on s’est dit qu’on devrait lancer un label qui ressemblerait à un club de gym où tout le monde pourrait venir s’exercer. On a d’abord rassemblé quelques artistes d’Europe, des Etats Unis et d’Asie. Après une première compilation, nous avons eu une soirée à Londres, puis à Tokyo. On a ensuite lancé en 2017 le projet GUN (Global URL Nation), qui rassemble une centaine d’artistes et musiciens collaborant à la production de pièces musicales ou audiovisuelles. Robin et Adrien nous ont rejoints en cours de route, ce qui a permis de développer plus de projets. 

High Heal : 
Nous sommes trois, Fetva, Lorenzo Targhetta, ingénieur du son de métier, et Fatma Wicca. Nous avons réalisé que nous avions autour de nous beaucoup d’amis qui produisaient de la musique originale, et qu’il manquait une espace approprié pour les écouter et se réunir sans pression aucune. Auparavant nous avions eu plusieurs étapes de réflexion sur les manières de participer, de se sentir inclus dans un événement où l’argent n’aurait pas une place centrale. Nous voulions aussi proposer une sonorisation de qualité, multicanale, modulaire en fonction des souhaits des artistes.

Camille (Stock-71) :
On a crée Stock-71 il y a presque 10 ans avec Lucie, que j’ai rencontrée à l’école. Maintenant nous sommes deux : Thomas (Retina Set / Bye Bye Ocean / Illegal Tapes) et moi (Jet Ski/ Bye Bye Ocean / Permalnk). Ça s’est fait complètement par hasard, c’était une plateforme privée, un wordpress à l’ancienne où on se balançait de la musique, nos découvertes du moment ou des visuels entre nous. D’où le nom d’ailleurs. On avait pensé à l’appeler disque dur, stocky c’était plus sexy. Et puis c’est devenu public. Les copains du Luv Gang ont créé le site actuel. On voulait quelque chose de visuellement fort, un peu bizarre. Que ce soit “pratique” ou “convenable”, on s’en foutait complètement.

Quelles sont vos différentes activités, et les intentions derrière votre projet ?

Club Late Music :
Surtout l’organisation de soirées cette année, mais le coeur de notre activité reste la réalisation de projets musicaux et audiovisuels. À travers GUN, nous cherchons à multiplier les expérimentations collectives et décentralisées. Par exemple, nous avons sorti il y a plus d’un an un EP Exquisite Corpse où quatre groupes devaient composer une partie d’un morceau sans savoir ce que les autres faisaient. Il faut que les participants des projets aient une expérience agréable et plaisante. On aimerait les aider à développer leurs pratiques artistiques, en favorisant le partage de connaissances, l’échange de matériel, les rencontres…

Stock-71 :
Nous, c’était avant tout une envie de partager nos diggs quotidiens. L’idée de mixtapes est venue assez rapidement. On a toujours essayé de lier le visuel à la musique, en faisant bosser de nouveaux artistes à chaque fois. Evidemment notre esthétique a évolué avec le projet. Les artistes sont libres, ils font ce qu’ils veulent, le but c’est d’expérimenter. On est toujours heureux de pouvoir poster des artistes qui démarrent.

High Heal :
Le mot “Heal” évoque la guérison. En tant qu’ermites des internets, nous avons pensé que nous réunir, ponctuellement, avec nos amis et public, serait une solution efficace pour lutter contre une morosité, propre à notre génération et corrélée à cet isolement online. Nous proposons pour nos événements des métaphores autour desquelles se réunir et réfléchir. Des événements privés et gratuits le dimanche, tous les 3 ou 4 mois, et des soirées clubs payantes en collaboration avec d’autres collectifs (Stock71 et Club Late notamment). Nous y proposons un mélange de styles que nous nommons « purgatrance ». On édite aussi de la musique en format digital : des compilations d’artistes qui ont collaboré avec nous, mais aussi des disques d’artistes qui ne sont pas nécessairement dans notre entourage ou que nous connaissons qu’à travers Internet.


Vous avez quelques exemples de métaphores à nous donner ?


Par exemple, l’édition “Aloe Vera” représentait l’immortalité, la régénérescence, les limites entre vie et mort… Pour l’édition “Dagian”, de l’ancien anglais “Aube”, nous demandions aux artistes une mise en lumière de thèmes non évidents à accepter, à la lueur d’une nouvelle aube. L’édition “Blossom” était axée elle, autour de la vitalité, de la passion qu’il faut assumer, et non refouler. La “Lava” était autour du subconscient, de ce qui est enfoui en nous et qui ne demande qu’a sortir. Celle-ci était d’ailleurs la plus sulfureuse.

Comment vos collectifs se sont rencontrés ?
 
Club Late Music : 
Ça s’est fait assez naturellement, à travers cet amour pour la musique et les soirées. Nous partageons les mêmes affinités musicales et nous aimons travailler conjointement pour produire des plateaux artistiques qui nous plaisent. Notre grande première était cette soirée avec le label Genome 6.66 Mbp au Petit Bain. Nous pensions qu’il était pertinent de joindre nos forces pour porter cet événement de la meilleure manière possible. Il y a une certaine cohérence qui émane de notre association, quelque chose d’assez dynamique. Il y a énormément de ponts entre nos projets et nos envies de faire progresser cette musique qui nous anime.

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Le futurisme et l’avant-gardisme sont des notions essentielles pour vous ?

Club Late Music :
Le pouvoir spéculatif du futurisme permet le développement d’idées nouvelles tout en nous questionnant sur notre situation actuelle. C’est peut-être quelque chose qui se retrouve dans notre esthétique sonore ou visuelle. On essaie de comprendre comment les outils du numérique peuvent favoriser la collaboration et l’échange, mais avec un certain recul critique (contextes sociaux, politiques et culturels). Si la plupart des innovations technologiques poussent à l’hyperproductivité, à l’individualisme et à la monétisation des échanges, on essaie de s’approprier ces technologies au service du collectif et de ses valeurs. L’avant-gardisme, je ne sais pas si ça existe encore vraiment, tout va trop vite aujourd’hui, les choses n’ont plus vraiment le temps d’exister. Les sous-cultures et les contre-mouvements sont devenus la norme et le développement d’Internet a aplati toute spécificité locale ou contextuelle. Il y a tout de même une dynamique souterraine intéressante, mais tout se fait happer par une sorte d’effet de mode du tout venant. On cherche avant tout à créer une dynamique pérenne pour éviter de se faire digérer par une « vague » ou par une « mode ».

High Heal :
Nous travaillons avec ce que les artistes autour de nous ont envie de partager, ainsi que des thèmes intuitifs et volontairement universaux. Nos décisions et projets ne viennent pas d’une réflexion issue d’un courant purement artistique, qui se rattacherait a une des nombreuses formes d’ avant-gardisme actuel, mais sont plutôt issus d’envies et besoins mutuels, certainement en réponse à un manque précis.

Stock-71 :
On s’est toujours écoutés, on va vers des courants qui nous correspondent et qu’on a envie de défendre. Rien n’est vraiment programmé et rien n’est figé. Évidemment, on est toujours en quête de nouveauté et on adore fouiller les Internets.


Brice, pouvez-vous détailler le concept de label open-source de Club Late Music ?

Nous avons écrit un « whitepaper », encore en développement, pour expliquer de manière détaillée notre vision de ce que cela pourrait être. En informatique, le logiciel libre défend la liberté de l’utilisateur tandis que l’open-source se réfère plutôt à un développement, à travers la réutilisation d’un code source par une communauté de développeurs. Nous avons choisi ce terme car il est plus évocateur, mais ce qui nous intéresse c’est à la fois le développement d’un projet (musical ou audiovisuel) par une communauté, la facilité d’accès au contenu et sa possible réappropriation. Les prochains projets à venir seront très liés à ce travail collaboratif mais il nous reste encore beaucoup à explorer pour affiner le concept.

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Vous cherchiez à apporter quelque chose de nouveau à la scène parisienne ?

Club Late Music : 
Nous faisons aussi bien des soirées à Amsterdam, qu’à Paris, Londres ou Arles, sans jamais vraiment chercher à s’identifier géographiquement. On se sent d’ailleurs aussi proche de la scène parisienne que de certaines scènes en Europe de l’Est ou en Asie, avec des labels comme BCAA System ou Genome 6.66Mbp. Mais nous aimons beaucoup ce qui se passe à Paris en ce moment, il y a un véritable vivier d’artistes, beaucoup de soirées et d’acteurs qui se bougent pour faire vivre cette scène. C’est une dynamique encourageante mais il faut faire attention à ne pas se marcher dessus. C’est en partie ce qui nous encourage à collaborer avec d’autres collectifs comme Stock-71 ou High Heal.

Stock-71 : 
On voulait juste créer un espace d’expression. On a jamais eu la prétention de dire qu’on était important et qu’on apportait quelque chose à la scène parisienne. Elle se débrouille très bien sans nous (rires). Certains collectifs ou soirées en font beaucoup plus que nous… Grosse dédicace aux copains de Club Late et High Heal.

Quelles esthétiques musicales souhaitiez-vous mettre en avant ?

Club Late Music : 
Nos goûts personnels vont du footwork à l’euro-trance, en passant par l’ambient expérimental, le post-industriel, le gabber, l’eco-grime et beaucoup d’autres scènes pas encore bien définies. Il est difficile de parler de genres aujourd’hui, tellement ils évoluent vite et se mélangent. On est très inspirés par le spectre de la musique club au sens large mais qui sommes nous pour définir ses limites ? Il y a une certaine liberté en musique, et c’est ce qui lui permet de s’épanouir. Nommer les choses, cela permet de les décrire mais c’est aussi ce qui creuse les différences, les craintes, les aversions. Ça étouffe la liberté de créer et de se mouvoir.

High Heal : 
Nous ne défendons pas non plus de genre en particulier, car cela va dans le sens d’une dissociation producteur / production. Nous défendons en revanche la “musique d’être humain”, ayant tous en commun une vulnérabilité à exprimer avec sa propre vision.

Camille (Stock-71) :
Le style fait référence à une case alors qu’on est pour une certaine liberté. On a toujours côtoyé des artistes qui ne s’assimilent pas eux-mêmes à un seul style. Ce concept est assez gênant : on parle de musique et on met des limites à la création en voulant tout mettre dans une petite boite. Les Bye Bye Ocean furent un très bel exemple de musique hybride, ça partait dans tous les sens et c’était magique.


Qui jouera pour la Club Trax ?

 
Brice (Club Late Music) :
Adrien (GRIG) jouera un set d’une heure tandis que François (DJIVD) et moi-même (Pan-X) ferons un B2B. C’était une manière pour nous de représenter musicalement ce que nous faisons et ce que nous apprécions. Nous allons faire notre possible pour diffuser le travail d’artistes qui n’ont pas trop l’habitude d’être représentés à Paris.

High Heal :
All.pass (Lorenzo) et Fetva seront aux platines. Fatma Wicca sera absent car il joue à la Kulture, à Strasbourg.

Stock-71 :
On jouera tous les deux, en allant de l’ambient au hardcore.

Vous avez d’autres projets prévus prochainement ?

Stock-71 :
On co-organise une soirée à Mains d’Oeuvres de nouveau avec la famille Club Late Music et High Heal le 18 avril.

High Heal :
Stay tuned sur instagram pour en savoir plus… On aura aussi plusieurs autres projets que nous dévoilerons au fur et à mesure.

Club Late Music : 
En ce qui nous concerne, on a des projets de sorties en préparation : un nouveau format d’EP entre une personne de GUN et différents artistes, à commencer par GRIG courant avril, avec 5-6 artistes qu’on dévoilera bientôt ; une autre série de sorties en collaboration avec différents labels, à commencer par le label italien Heelzone ; et enfin un nouveau projet collaboratif avec une quinzaine de membres de GUN, plus dans l’esprit de l’EP Exquisite Corpse. On en dira plus très vite. On prépare également une soirée avec nos amis de Plage Club. Soit dit en passant, on est toujours intéressés pour intégrer de nouveaux profils à la communauté (musiciens, artistes visuels, développeurs ou autres) qui partagent notre vision ou nos goûts musicaux. Pour plus d’infos, il suffit de nous contacter sur contact@clublatemusic.com avec [GUN] en objet.

La programmation complète de Club Trax est disponible sur la page Facebook de l’événement.

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