Cet article est originellement paru dans le numéro #211 de Trax Magazine.
Dans un café de Friedrichshain, Konstanze Meyer nous attend en sirotant un latte. Étudiante originaire de Saxe, elle s’exprime dans un français à l’accent légèrement québécois, et travaille actuellement sa thèse sur le développement durable. En 2013 elle a rejoint Clubmob, une association dont le concept est calqué sur le mouvement Carrotmob, qui vise à récompenser des entreprises qui s’engagent dans des changements socialement responsables en organisant un « buycott », un achat massif par un groupe de consommateurs militants. Plutôt que de sanctionner, le but est de remercier ceux qui font des efforts.
Clubmob transpose l’idée aux clubs : fin 2011, quelque 300 fêtards avaient dansé jusqu’au matin au SO36 et récolté 2 110 €, destinés à réaménager le lieu pour en améliorer « l’efficacité énergétique ». « Avec l’argent gagné lors d’une soirée Clubmob, les clubs doivent ensuite réinvestir dans un réfrigérateur qui consomme moins, ou ce genre de choses. » Ce groupe créé en 2011 et composé à 100% de bénévoles démarche de nombreux clubs. Un peu moins d’une dizaine a rejoint le projet derrière le slogan « Eine grüne Welt ist tanzbar » (« On peut danser dans un monde vert »). C’est malheureusement peu si l’on considère que Berlin possède plus de 300 clubs, et que l’empreinte écologique représente en moyenne pour chacun une centaine de tonnes de CO2 par an.
L’idée d’un festival écoresponsable dans les clubs de Berlin prend forme, mais impossible de réunir les financements. Les réunions et le partage d’idées permettent néanmoins l’éclosion de nouveaux projets. Clubliebe se lance en 2015, avec le Green Club Guide, un manuel à l’intention des gérants afin de réduire les coûts écologiques. Disponible gratuitement pour tous les clubs et divisé en six chapitres focalisés sur les toilettes, le bar, le nettoyage ou l’énergie, il est constitué d’une trentaine de pages de conseils simples et efficaces.
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L’initiative reçoit un soutien du Sénat de Berlin et de la Clubcommission, le réseau qui rassemble un grand nombre d’acteurs de la nuit berlinoise pour protéger les intérêts politiques et économiques de sa club culture. Clubmob bénéficie également de l’appui de ses partenaires. Le Sénat finance ainsi son projet Future Party Lab, des ateliers sur le thème de l’écologie pour les clubs, et une solution pour s’adresser au jeune public qui sort en boîte. « Mais nous ne voulions pas arriver et nous comporter comme des consultants qui savent tout et prodiguent des conseils ou des bons points ! », clarifie Konstanze. Plutôt créer des laboratoires où l’on expérimente avec la formule suivante : un représentant d’un club associé à un expert en matière écologique dans chaque workshop.
Le Future Party Lab regroupe ainsi une trentaine d’institutions qui proposent des « design challenges », que chaque atelier s’évertue à résoudre au cours de plusieurs événements en 2015, puis en 2017. Le projet reçoit un financement du Sénat, désireux de toucher également la jeunesse noctambule. Plusieurs thématiques comme le gaspillage de l’eau sont abordées. Un système qui permet de réutiliser l’eau grise émerge des concertations, parallèlement à l’abandon de la vente d’eau minérale en bouteilles qui coûte cher en transports et en déchets, alors que celle du robinet est propre et de bonne qualité.
Depuis plusieurs années, Matthias Krümmel du BUND (Les Amis De La Terre) tente lui aussi, avec des bénévoles et différentes associations, d’impliquer la nuit berlinoise dans les questions environnementales. Au sud de Berlin, non loin de Tempelhof, l’aéroport transformé en parc, il nous invite à déguster une glace avant de s’animer lorsque nous commençons à évoquer la nuit et l’écologie. « Les clubs sont malheureusement souvent liés à des problématiques comme les drogues, le tourisme, ou le bruit. Cela les exclut des considérations politiques. Je pense qu’au contraire nous devons aller chercher cette génération aux opinions fortes qui sort dans les clubs. » Matthias n’est cependant pas enchanté par l’idée de « fêtes vertes », car elles ne toucheraient qu’un public déjà militant. Son but est au contraire de s’insérer dans le clubbing « normal », de placer la protection du climat au milieu d’une scène où l’ivresse, l’extase, l’art, et justement le gaspillage dominent les débats. Le monde de la nuit, par essence, va naturellement créer une tension sur l’environnement. D’où l’importance pour Matthias de travailler avec des jeunes créatifs qui vont comprendre ces problèmes, mais aussi connaître le désir de danser ou d’être DJ dans les clubs de Berlin.
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De son côté, Konstanze évoque d’autres freins, comme notre changement de comportement la nuit. Des heures où plus personne ne semble se rendre compte de l’énergie requise pour les lumières, le système son ou du chauffage de nombreux clubs berlinois, souvent mal isolés, voire ayant des trous dans les murs. « Nous ne sommes pas architectes, et nous ne pouvons pas attendre qu’ils investissent massivement dans des bâtiments dont ils sont la plupart du temps locataires. » C’est là, selon elle, le principal problème de la plupart des clubs, sans compter ceux qui flirtent avec l’illégalité. Beaucoup ne peuvent que se focaliser sur leur survie au jour le jour, face aux problèmes de location ou de bruit, et plus généralement une situation instable. Clubliebe l’a bien compris, et si un club ne remplace que ses lumières par des ampoules LED, c’est déjà bien.
Le but, pour ces bénévoles, n’est pas de créer des barrières, mais d’effectuer un rapprochement et d’informer les acteurs de la nuit à Berlin. Konstanze cite ainsi le SO36, club légendaire de Kreuzberg, un temps carrefour du punk et de la new wave et où fut organisé le premier festival Atonal en 1982. « Tout le monde pense qu’un fournisseur d’énergies renouvelables coûte plus cher, mais ce n’est pas forcément vrai. Nous avons suggéré ce changement au SO36 et l’avons accompagné dans sa transition vers une électricité verte. C’est un club militant depuis toujours, c’est vraiment dans leur ADN », précise-t-elle. Matthias, lui, regrette le manque de soutien des autorités, alors que Berlin profite du tourisme, dans des dimensions colossales économiquement, grâce à sa culture club.
La solution se trouve-t-elle du côté des politiques ? Georg Kössler, député du parti des Verts de la chambre de Berlin, est aussi le porte-parole des clubs pour son parti, alors qu’au Sénat, on envisage une reconnaissance pour les lieux qui respecteraient certaines normes, à la manière d’un label bio. Or, pour Konstanze comme pour Matthias, cette labellisation ne convient pas, puisque la plupart des clubs underground rechigneraient de toute façon à l’arborer. Pour eux, il y a d’abord besoin que l’information soit transmise aux clubbers. « Il faut plus de communication pour que l’on prenne conscience que la protection de l’environnement ne cesse pas la nuit », conclut Matthias. « C’est un terrain fertile d’inspiration et d’innovation. Notre but n’est pas de changer le monde de la fête, mais de l’intégrer progressivement à une solution globale pour sauver notre planète. »