Comment Apparat explique son retour à un son acoustique dans son dernier album

Écrit par Briac Julliand
Photo de couverture : ©D.R.
Le 10.03.2019, à 16h58
08 MIN LI-
RE
©D.R.
Écrit par Briac Julliand
Photo de couverture : ©D.R.
0 Partages
Maintenant que le projet Moderat est officiellement en pause, Apparat s’apprête à faire son retour. Huit ans après son dernier « véritable » album solo, The Devil’s Walk, Sascha Ring opère, avec le sobrement intitulé LP5, un retour aux sources. Bien loin des mélodies très produites du supergroupe qu’il formait avec Modeselektor, Apparat sonne de nouveau expérimental. À l’occasion de la sortie de l’opus ce vendredi 22 mars, Trax a rencontré le discret producteur allemand.

Vos précédents disques sous le nom Apparat étaient presque des concept-albums, comme Walls, The Devil’s Walk ou Krieg Und Frieden… Le nom de LP5 donne à penser que cet album s’inscrit dans un registre différent.

C’est vrai. Généralement, on trouve le titre d’un disque une fois qu’il est terminé. Ça paraît souvent conceptuel, mais en vérité, on s’aperçoit que ce qu’il y a derrière la musique, l’histoire que l’on raconte, se structurent tous seuls une fois les chansons écrites et enregistrées. La cohérence et l’identité de l’album sont forcément structurantes pendant la conception. Donner un message ou un sens à un disque n’est qu’une possibilité, qui n’est pas bonne ou mauvaise, mais qui peut distraire de l’album en soi. Parce que le sens n’est pas forcément directement attaché à la musique. Enfin ça peut l’être, mais pas pour moi. Il n’y avait pas de concept spécifique à la base de LP5. Je voulais juste retourner en studio et travailler dur pour faire un nouvel album d’Apparat. À la fin, j’avais pas mal d’idées pour le titre, et je songeais à imaginer un concept autour du disque, mais j’ai préféré ne pas le faire. Je ne voulais pas influencer les gens qui allaient l’écouter. Il n’y a que la musique, et c’est tout. Aucune fioriture.

C’était la première fois que vous fonctionniez de cette façon ?

J’essaie d’avoir une approche nouvelle à chaque album, pour rendre la création intéressante à mes yeux. Et ça devient de plus en plus dur, parce que j’ai déjà fait pas mal de disques dans ma vie. Quand tu arrives en studio et que tu te mets à composer, tu as toujours cette impression de déjà-vu, comme si tu recommençais ce que tu avais déjà fait. Ça peut être très frustrant. En 2013, j’ai réalisé la bande-son d’une pièce de théâtre [son album Kried und Frieden (Music for Theatre), ndlr], avec un groupe, en studio. On était partis de séances de jam, et ça avait bien marché. J’ai pensé que ce serait intéressant de refaire ça pour cet album. C’est drôle parce que cette idée est à l’opposé de la façon dont je créais quand j’ai commencé à faire de la musique : j’étais un nerd, tout seul dans sa chambre. Quand je composais avec le groupe pour la pièce, il y avait cette aura un peu mystique, que je n’avais jamais connue auparavant, et que j’espérais retrouver cette fois. Mais ça n’a pas marché. Je me suis retrouvé avec 100GB d’enregistrement de séances de jam complètement folles et psychédéliques, que personne n’aurait envie d’entendre. Au final, j’ai eu l’idée de faire l’album sur un système de « collage » de sons, plutôt que de le composer titre par titre.


Donc ces séances de jam n’apparaissent pas du tout dans l’album ?

Très peu. Mis à part pour “Caronte”, qui est un extrait des sessions. Je ne m’en suis servi que comme une base pour faire des samples, qui reviennent tout au long de l’album.

Votre album, comme le dernier de Modeselektor (paru le 22 février), sort moins de deux ans après votre dernier concert en tant que Moderat. Vous vous êtes dépêché de produire à nouveau ?

Oui et non. J’ai commencé à travailler sur l’album environ deux mois après avoir terminé le troisième album de Moderat [début 2016, ndlr]. À ce moment-là, je suis retourné en studio et j’ai enregistré les sessions de jam dont je parlais. En fait, j’ai passé près de trois ans sur cet album. Quand j’y pense maintenant, ça paraît très long, mais il y a eu des périodes où je n’ai rien fait, parce que je n’étais pas inspiré. Finalement, tout s’est joué assez rapidement après Moderat. Je suis revenu en studio juste après notre dernier concert, en voulant produire quelque chose de très différent. Non pas que j’en avais marre, mais après quatre ans passés à ne travailler que sur ce projet, j’avais besoin de changement.

Vous avez de nouveau travaillé avec le violoncelliste Philipp Thimm et John Stanier (le batteur de Battles, qui travaille aussi avec Rone). Comment s’est organisé le processus de création avec eux ?

Ils font partie de mon groupe. Ça faisait longtemps que je n’avais pas travaillé avec eux, parce qu’évidemment il y a eu Moderat, mais aussi parce que ma dernière tournée sous le nom d’Apparat s’est faite en petit comité. Alors j’ai profité de l’occasion pour les inviter en studio, et les laisser faire ce qu’ils voulaient. J’ai réalisé, quand j’ai fait des bandes originales pour des films, qu’il valait mieux éviter de donner des indications. À l’époque, c’était la première fois que je travaillais avec quelqu’un d’autre. J’ai eu la chance qu’on me laisse libre de faire ce que je voulais. C’est ce que j’ai voulu retrouver en invitant d’autres musiciens en studio. C’est vraiment une approche différente de mes autres albums, où j’étais plus control freakL’idée, c’était de rafraîchir l’approche pour me surprendre moi-même. Une fois lancés, tu peux diriger les musiciens pour avoir quelques chose qui te ressemble mais si tu le fais dès le début, tu risques de perdre cette opportunité.

En dehors de l’apport créatif des musiciens, était-il important pour vous de pouvoir incorporer des éléments non-électroniques dans vos productions ?

Je ne fais pas vraiment de différence entre les instruments électroniques et les autres. Je considère tout de façon très égale, et je fonctionne aussi comme ça au mixage. Ça donne au rendu final une tonalité très harmonieuse, et ça permet aux gens de moins se concentrer sur la nature de chaque son, mais plus sur l’ensemble du morceau. Je vois tout ça comme une boîte à outils : j’explore et je teste les choses qui finissent par donner vie à ce que j’ai imaginé. Mais trouver le bon instrument pour un morceau est une tâche très difficile. C’est pour ça que je suis chanceux d’avoir pu enregistrer l’album avec Philipp Thimm. Ça a ouvert un champ des possibilités que je n’ai que trop peu exploré. Généralement quand je compose, je n’utilise qu’un synthétiseur, parce que c’est rapide et que j’ai la flemme d’aller chercher un instrument si j’en ai besoin. Là, on n’hésitait pas à sortir pour trouver un instrument, ne serait-ce que pour tester des choses. Au final, le studio s’en est vite retrouvé rempli. Et comme Philipp est très bon musicien, ça nous prenait seulement une vingtaine de minutes pour enregistrer une piste.

C’est différent de composer avec des musiciens qui ne viennent pas de la scène électronique ?

C’est une approche différente de l’harmonie, et c’est aussi ce que je cherchais. Enfin, il y a quand même un équilibre à trouver : j’ai invité des musiciens de jazz par exemple, mais je ne leur ai pas demandé de partir dans des expérimentations à la John Coltrane. Seulement, après vingt ans à faire la même chose sur un clavier, c’est rafraîchissant de travailler avec des gens qui comprennent la musique d’une manière qui n’est pas la mienne.

Les morceaux semblent composés de fragments musicaux, ce qui ne doit pas être la chose la plus évidente à faire tenir sous forme de chanson. Cette injonction à un découpage formaté, ce n’est pas frustrant pour vous ?

Pas spécialement… Quand je compose, je ne pense pas à ça. Mais de manière générale, je trouve qu’il y a assez de liberté dans un morceau de trois à sept minutes. En tous cas, je n’ai pas ressenti le besoin de faire un titre de 20 minutes. Et puis c’est aussi bien d’avoir des limites ici et là. En plus, les gens n’ont qu’un temps d’attention relativement limité — et moi aussi bien sûr. Et je ne préfère pas m’attaquer à cette limite. Vraiment, je pense qu’on peut proposer beaucoup de choses en cinq minutes, et ça me fait du bien d’avoir un semblant de structure, sinon je peux vite me perdre.

Les textures de vos sons trouvent un équilibre très adroit entre le synthétique et l’organique. Comment abordez-vous cette étape de la création ?

Cette question rejoint un peu celle du rapport aux instruments. Honnêtement, ce n’est pas quelque chose que je travaille de manière très consciente, en sachant ce que je veux faire. Le plus souvent, j’entre dans une sorte de transe en studio, où tout me semble aller de soi. C’est très agréable parce que tu peux mettre ton cerveau sur pause, ça va tout seul. C’est comme une connexion directe entre les sentiments et les mains. C’est en partie pour ça que je fais de la musique. Ça arrivait souvent quand j’ai commencé à produire, mais cette magie devient de plus en plus difficile à atteindre. Peut-être parce que je suis arrivé à un point où je suis devenu “trop” professionnel. Mais j’essaie toujours de retrouver cette magie, et c’est une des raisons pour lesquelles je cherche constamment à changer mon mode de production et mon approche de la musique. En général, je travaille sur une mélodie, et la façon dont je la fais sonner arrive tout seul. Mais certaines idées ne tiennent pas la route, ou bien il m’arrive de ne pas réussir à les faire sonner comme je voudrais. C’est un travail très minutieux, mais que j’aime beaucoup dans le sens où c’est la partie “nerd” de la production.

Vous avez l’air de beaucoup apprécier cette partie “nerd” du processus créatif. C’est parce qu’elle vous rappelle vos débuts ?

Je suppose. C’est quelque chose que j’ai beaucoup retrouvé sur cet album. Disons qu’il y a un travail sur le sound design légèrement plus important que sur WallsQuand j’enregistrais The Devil’s Walk, j’étais dans une période où j’utilisais énormément de “vrais” instruments. C’était très agréable car le résultat était immédiat. Et même si ça a autant de bons que de mauvais côtés, j’étais très inspiré par ce côté très direct et juste de la production. Quand j’ai commencé à faire de la musique électronique, je travaillais sur de très vieux synthétiseurs analogiques, qui n’avaient pas de presets notamment. Alors il fallait tout bidouiller pendant des heures pour réussir à trouver un son intéressant. Mais j’ai fini par perdre cette habitude, en m’intéressant aux “vrais” instruments — peut-être un peu trop à vrai dire. Finalement, j’ai passé beaucoup de temps sur le sound design de LP5. Je crois que j’ai retrouvé ce qui me plaisait dans le côté “nerd” de la production. Dans ce disque, il y a un peu du Apparat des débuts.


Et à quoi tout ça va ressembler en live ?

C’est marrant que tu parles de ça, parce qu’on vient juste de commencer les répétitions. J’étais assez réticent au début parce que c’est un album très riche, qui n’est pas spécialement fait pour être joué avec un groupe, vu que c’est de l’assemblage de sons. Généralement, ce genre de musique est très compliquée à jouer sur scène. Alors il y a deux solutions : soit on simplifie tout, soit tout le monde arrive à retenir chaque petite partie de chaque morceau, et chacun réussit à jouer des sons très différents. Finalement, on a trouvé une solution un peu entre les deux, qui marche vraiment bien. Quand on joue, ça sonne naturel, ce qui m’a agréablement surpris. C’est peut-être parce qu’on a une grande autonomie, vu que les titres ne sont pas répétitifs. Je préfère ça que de jouer tout le temps la même mélodie, ce qui peut être très épuisant. Je vois l’album comme comme quelque chose d’assez évolutif, qui s’enrichit à chaque fois qu’il est joué. C’est assez plaisant, je n’avais jamais ressenti ça auparavant.

LP5 est disponible à partir du 22 mars 2019, en format physique et sur toutes les plateformes digitales.

0 Partages

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant