Si le By:Larm, à Oslo, a programmé en ce premier week-end de mars quelques artistes américains ou britanniques, il a exposé en majorité des artistes norvégiens, suédois et danois. L’occasion de découvrir ce qui se fait de mieux en Europe du Nord, d’autant que la plupart des artistes ont joué plusieurs fois lors de showcases d’une demi-heure : pas d’excuse donc pour louper un groupe. Entre deux bières à 8 euros dans la capitale la plus chère d’Europe – qui compte un nombre impressionnant de salles de concert –, on a assisté à des performances dont certaines nous ont laissés sur le carreau.
Cela valait bien un top 5 :
Découverte en janvier 2014 avec son EP BLQ Velvet (produit par elle-même, ce qui est assez rare pour être souligné), Abra faisait figure de “tête d’affiche”, s’il en est, au By:Larm. Après avoir appris à chanter dans la pure tradition soul au sein de la chorale d’une église, elle s’exerce à la guitare avant que ses reprises (“Gucci Mane”, entre autres) ne soient remarquées par Father. Dans ses vidéos postées sur YouTube, on découvre une ado qui possède un talent inné pour les harmonies R&B et un phrasé déjà bien en place. Le rappeur lui propose de rejoindre son label/crew, Awful Records. Repérée par les anglais de Fact Magazine depuis son premier maxi, la jeune artiste – qui s’est étrangement auto-proclamée “duchesse de la darkwave” – commence à peine à faire parler d’elle dans le reste de l’Europe, d’où sa présence au By:Larm en compagnie du rappeur Father.
Premier tour de chauffe à l’Internasjonalen, un bar élégant reconverti en salle de concert le temps du festival, où l’Américaine d’adoption récite sagement ses “Roses”, “Fruit” et autres “U KNO”, sans fausse note… ni relief. Sa prestation du lendemain sera nettement plus excitante, et bien qu’elle ne soit accompagnée que de son MacBook, la révélation R&B du week-end réussit à remuer un public norvégien jusque-là très statique, bien qu’attentif.
Le convoi d’Atlanta était attendu au By:Larm et il n’a pas déçu. Le Uhørt, petit bar du centre-ville auquel on accède par l’arrière-cour, est plein à craquer pour le concert du boss d’Awful Records. Venu sans son crew mais avec sa protégée Abra, Father arrive sur scène avec une dégaine qui se rapproche plus du ché-bran du faubourg Saint-Denis (le combo marinière/lunettes de vue) que du rappeur thug d’Atlanta.
Ça tombe bien, l’Américain est là pour casser les clichés et montrer que la contrée de la trap a autre chose à offrir que des infrabasses et du sirop pour la toux. À l’image de son album très remarqué sorti en 2014, Who’s Gonna Get Fucked First, l’ancien étudiant des Beaux-Arts offre une performance salace, un brin arrogante et à l’arrache (c’est Abra qui fait le back-up et qui lance les instrus, au signal du rappeur), mais l’énergie est là et les chansons sont de toute façon assez efficaces pour fonctionner toutes seules.
Un vent d’americana souffle dans la salle de Gamla. Les Américains sont visiblement très heureux de performer leur deuxième show du festival et le public le leur rend bien. La voix du chanteur nous évoque Tobias Tesso Jr, la guitare galope façon Mac Demarco et on ne peut s’empêcher de penser à Beirut quand la trompette vient soutenir les mélodies soul de la dernière signature de Secretly Canadian, le label qui a notamment révélé Suuns, Yeasayer ou Cayucas.
Le groupe de Chicago réussit même à faire lever une nuée de doigts d’honneur dans la contrée la plus polie et peace d’Europe en évoquant le nom de Donald Trump, avant de finir par une reprise de “So Sad” des Everly Brothers. On se croirait presque à Houston.
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Charlotte Dos Santos
Charlotte Dos Santos est la dernière signature de l’excellent label berlinois Jakarta Records (Ivan Ave, Oddisee, Anderson .Paak) et creuse le sillon d’artistes comme Kali Uchis ou Fatima, la nouvelle génération qui est tout simplement en train de réinventer la soul music.
La performance de Charlotte Dos Santos – qui, comme son nom ne l’indique pas, est norvégienne – dans l’intimiste salle Gamla nous a apporté chaleur et allégresse. Le chant est irréprochable, même lorsqu’elle s’aventure dans un scat périlleux, derrière un groupe solide et carré qui interprète à la perfection ses parties instrumentales, un poil plus électro sur les versions studio. Un jour, il faudra nous expliquer pourquoi les pays du Nord accouchent d’autant d’artistes soul géniaux, alors que le genre a même déserté les blocks de Detroit.
La presse musicale anglophone voit en eux la dernière révélation pop venue du Danemark. Avec des membres à peine sortis du lycée et seulement deux chansons à leur actif (produites par Rodaidh McDonald de XL Recordings, qui a travaillé notamment avec les Horrors, The XX ou Adele), LISS est la formation danoise à suivre de près en ce moment. C’est d’ailleurs dans une salle comble que le jeune quatuor déroule son set, étonnamment bien rodé pour un groupe formé seulement l’année dernière (!).
Il y a quelque chose de touchant à voir jouer ces adolescents devant une audience qui a deux fois leur âge, tout excitée d’assister aux prémices d’un groupe qui va assurément cartonner bien au delà des frontières danoises. Il faut dire que LISS possède à peu près tout pour accéder aux portes du succès : des tubes pop et funky (juste ce qu’il faut pour passer en boucle à la radio), un chanteur charismatique entre D’Angelo et Connan Mockasin, des riffs monstrueusement accrocheurs et surtout une vraie présence sur scène. Difficile de ne pas s’emballer devant la formation danoise qui, nous dit-on entre deux chansons, aurait déjà fait forte impression lors de l’Eurosonic Festival en janvier dernier. Pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de les voir en live, il suffit de prêter une oreille aux deux mini-hits qui composent leur maigre discographie, “Try” et “Always”, pour devenir accro. De loin la meilleure surprise du week-end.