Chronique : Tigersushi – Musique Ambiante Française (Vol. 1)

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Tigersushi
Le 30.01.2018, à 12h14
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©Tigersushi
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Tigersushi
L’aventureuse maison française de Joakim, Tigersushi, met sa bande de copains au défi de la composition ambient. Si le disque fait l’impasse sur la frange chevronnée du genre en France, la collection de morceaux des Étienne Jaumet, Romain Turzi ou Mondkopf méritent qu’on y pose une oreille attentive.


Par Christian Bernard-Cedervall

Les origines mêmes de Tigersushi se situent du côté de l’esthète mélomane, celui doté d’un sens de l’histoire : je me souviens encore comme hier avoir chopé il y une quinzaine d’année dans un défunt shop de la rue d’Argout cette première sortie du label, compilant sur un même EP l’alors actuel John Tejada avec les éternels Cluster. La série « More G.D.M. » allait ainsi en toute modestie contribuer à l’émancipation musicale de nombreux et notables producteurs français, mettant effectivement en lumière des figures alors relativement obscures pour la jeune génération – Material, Silver Apples, ESG, Max Berlin, etc –  les faisant cohabiter avec parmis les noms les plus pertinents de l’époque – Maurice Fulton, Metro Area, Terrence Parker, etc. C’est dans cette micro culture que l’esprit underground de la musique électronique allait survivre aux années 2000 parisienne, et rien que pour ça, merci Joakim, créateur et boss du label !

Alors quand Tigersushi débarque en cette fin d’année avec une telle note d’intention que ce « Musique Ambiante Française – Vol. 1 », notre excitation est légitimement à son comble, ces dernières années représentant effectivement un pic créatif dans cette « discipline » qu’est l’ambient, au point de relativement approcher un statut hype aussi savoureux qu’inattendu (la jeune génération Concrète allait forcément grandir, et rapidement!) : si Biosphere, Thomas Köner ou Tim Hecker ne remplissent pas encore la Machine, les soirées « ambient » ne sont plus une simple curiosité et génèrent une réelle scène aux quatre coins de l’Hexagone, au point qu’un petit séjour berlinois à l’Atonal festival ne sera pas particulièrement dépaysant.

La France, terre d’ambient

Pourtant, il n’y a encore pas si longtemps, pour beaucoup, l’ambient à la française, ça signifiait passer de KLF et Brian Eno à Deep Forest et Jean-Michel Jarre, voir à Stéphane Pompougnac… Heureusement, l’histoire hexagonale est dans ce domaine bien plus riche que cela, car cette aventure démarre en effet chez nous, avec Eric Satie, Debussy et Varèse les véritables origines et inspirations conceptuelle de ce qu’o attribue trop facilement à papa Eno!

La mission de Joakim et Tigersushi est donc ambitieuse, salvatrice, mais probablement aussi un peu casse-gueule : le postulat proposé par le titre promet un travail qu’on est en droit d’espérer au moins dans les pas du concept même à l’origine du label. N’ayant jusqu’alors pas particulièrement – voir pas du tout  – oeuvré dans le domaine de l’ambient, Tigersushi n’allait donc pas proposer un best off de son écurie. Et pourtant…

« Musique Ambiante Française – Vol. 1 » propose essentiellement la « famille » se met à l’ambient ! Entre artistes maison ou affiliés, copains de chez Versatile ou de Joakim, la sélection d’artistes paraît un tantinet incestueuse par rapport à ce que l’on était en droit d’espérer. Attention, ceci n’est pas un jugement quand à la qualité de la musique proposée, loin de là ! Mais tout de même, où sont Heldon, les frères Baschet, les piliers de l’illustration sonore (Davy, Framond, Perraudin, Decerf, etc), Ariel Kalma, Toy Bizarre, Brume, Désaccord Majeur, Vox Populi!, Yannick Dauby, Colleen, Étant Donnés, Félicia Atkinson, High Wolf, DSCRD, Philippe Lamy, Frédéric Nogray, Bérangère Maximin, Dale Cooper Quartet, Treha Sektori, Norscq, une bonne partie de la famille Antinote (D.K. Nico Motte), et tant d’autres artistes oeuvrant depuis des années voir des décennies dans les différentes mouvances de l’ambient ? Tant de noms internationalement célébrés qui font de cet objet une sorte d’arbre cachant la forêt, un semi acte manqué, ou peut-être plus simplement une maladresse au profit d’un argument marketing bien pensé.

Si si la famille

Heureusement, la compile regorge de titres particulièrement réussis, et si une forme de strabisme esthétique oriente largement la sélection vers la frange new-age/kraut du style – occultant massivement la pourtant riche culture « avant-garde » de l’ambient français, le dark ambient, etc – c’est bien son droit.

Etienne Jaumet, Turzi, I:Cube, Principles Of Geometry et quelques autres noms familiers y vont donc de leur track ambient, tous sympathiques, mais semblant un peu tenir de la figure de style, alors que Mondkopf ou Egyptology – tout deux plus habitués du genre – livrent des plages new age quasi élégiaques, particulièrement raccord avec l’ actuelle obsession pour les hippies à synthé des années 80 et le « minimal/ethno » rital de la même décennie. Cosmic Neuman s’en tire mieux avec une plage compacte qui évoque autant les larsen d’Eliane Radigue que le rock progressif de Richard Pinhas, l’inattendu The Mole propose un « Prelude 464 » assez obsédant, à la basse évoquant Carpenter et aux arpèges synthétiques qui raviront les amateurs de Stranger Things, tandis que l’architecte Joakim se lance dans une rare tentative de drone music à la La Monte Young que de nombreux field recordings d’oiseaux viennent toutefois un peu trop chahuter.

Finalement, le meilleur sera sans doute à aller chercher du côté des relatifs nouveaux venus : « Theory Of Relativity » des frangins de Nightbirds nous plonge dans une new school berlinoise dont le clacissisme est astucieusement brisé par une basse en arpèges EBM du meilleurs goût, et Dagerlöff propose sans doute la meilleure synthèses du chant des possible qu’offre le genre, avec un épique « From The Womb To The Tomb », un voyage aux humeurs contrastées, l’ambient n’étant jamais aussi pertinent que présentant une réelle tension. Glass œuvre sur une ligne parallèle, avec un son moins vintage que Dagerlöff, mais tout aussi pertinent, créant un tangible et salutaire lien formel avec le GRM, « Heart » offrant à l’oreille une impressionnante palette de sons. Enfin, Monade Ach donne réellement envie d’en entendre beaucoup plus, le sinueux « Imal » faisant presque figure de mini album à lui tout seul, un poème épique dont on serait ravi de découvrir l’articulation des vers plus dans le détail.

Finalement, hormis deux-trois notes approximatives et une fausse promesse, à défaut de proposer une réelle radioscopie de la scène « ambient » française, Joakim réussi malgré tout à faire émerger quelques très belles surprises au milieu de propositions tout à fait honorables, et cela suffit à faire notre bonheur, en attendant un volume deux que l’on espère plus risqué.

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