Chronique : Roll The Dice – Born To Ruin

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : © Roll The Dice
Le 06.02.2018, à 16h07
04 MIN LI-
RE
© Roll The Dice
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : © Roll The Dice
Producteur des groupes indie les plus classes (Fever Ray, Blonde Redhead), Mannerfelt est avant tout un pilier de l’électro suédoise millenial. Œuvrant jusqu’à récemment dans un relatif anonymat, ses récentes sorties tordant la techno dans tous les sens font désormais le sel des mix de Ben UFO ou Joy Orbison, mais il n’abandonne pas pour autant les expérimentations les plus artistiques, comme le prouve le nouvel album de son projet Roll The Dice.


Par Christian Bernard-Cedervall

Depuis une bonne décennie, Peder Mannerfelt a su créer une œuvre « techno » dont les fondations vont du free-jazz jusqu’à la poésie sonore. Il a invité autant de femmes à s’exprimer sur son label que Warp en vingt ans, lancé des collaborations avec son voisin comme l’inconnu, et partage son temps entre la campagne et les studios de production citadins, le gendre idéal quoi ! Déjà un daron de la scène techno, Peder n’est pourtant sorti de l’ombre que depuis deux ou trois ans : avec des sorties sur Hinge Finger, Avian ou Numbers, ainsi que sur son propre label, le Suédois est monté en première division de l’underground dancefloor, au point de devenir la street cred de toute soirée qui veuille faire la différence. Mais cette légitimité, il est allé la chercher bien au-delà du 4/4 et de la techno industrielle : « J’aime évoluer librement entre l’académie expérimentale et la dance music. On avait pas mal oublié qu’ici aussi en Suède, on avait de compositeurs importants comme Parmerud, Sten Hanson, Bodin, etc.. Mais cette scène académique était un peu excluante, et c’est vrai qu’on cherche en général plus à s’inspirer du présent. Mais avec mon précédent LP – Controling Bodies – j’ai tout de même beaucoup bossé et expérimenté avec les voix, et ce en écho direct avec la scène Text-Sound Composition suédoise des années 60. J’avais déjà abordé la voix avec mon album sur le Congo, mais c’était important d’embrasser enfin mon propre héritage culturel. »

S’émanciper de la techno

Entre noise, EBM et no wave racée, le nouvel album de son duo Roll The Dice évoque d’ailleurs subtilement une filiation avec le free-jazz suédois, une magnifique émancipation de la techno au point de n’en être qu’un vague souvenir, et c’est encore une fois conscient : « C’est important d’avoir un concept artistique, surtout quand on fait un album, car en musique électronique, on tombe rapidement dans une forme de facilité, à se contenter de créer des sons intéressants, d’avoir une production ultra-maîtrisée. Mais avec Roll The Dice, on a vraiment une phase de réflexion en amont. Après, je ne dis pas non plus que c’est facile… Je comprends qu’on puisse chercher refuge dans l’aspect purement fonctionnel de la dance music, et il n’y a rien de mal à cela, au contraire. La simplicité du dancefloor peut être très noble, mais je veux également avoir des choses à dire. » Pourtant, quand il s’agit de produire un track de destruction massive, il n’est pas le plus maladroit : « Dans la culture suédoise, il est mal vu de se faire remarquer. On ne doit pas se mettre en avant plus que les autres, et c’est peut-être pour ça qu’on est philosophiquement idéalement armés pour produire de la techno qui respecte avant tout le dancefloor avant même de se poser de grandes questions artistiques, en cherchant à éviter les gimmicks. Mais moi, je me projette aussi en tant qu’artiste, et je dois vouloir un peu changer le monde, sinon à quoi bon ? Après, je te dis ça depuis ma campagne, en préparant Pâques pour mes enfants, ça reste donc contrasté. » Qu’on vive à la campagne ou en ville, ça revient un peu au même en Suède, mais justement, la vie d’artiste le confronte suffisamment au monde : « Je me sens assez isolé en vivant ici, mais je trouve justement l’équilibre avec les gigs. Bon, le monde nous rattrape, on vient de subir un attentat, mais ça ne va rien changer, je pense. Ma musique était déjà assez sombre, et peut-être que c’est plus facile de se confronter aux turpitudes du monde quand on vit bien, on n’a pas autant besoin de “distraction” que dans une favela ou un township. »

Woman to woman

Ce qui reste à améliorer ici, c’est peut-être de mettre la scène techno au niveau de la société suédoise pour la place des femmes, et Peder y contribue pas mal : « Ce n’est pas un objectif affiché de ma part, mais bon, je fais attention à ne pas me contenter de ce que j’ai sous le nez. Avec mes potes, ça serait facile pourtant. Mais je vais toujours essayer d’aller retourner une pierre de plus, ça rend quand même les choses plus intéressantes de se retrouver avec des femmes, et ça ne tient qu’à moi. » Après avoir signé Klara Lewis, Machine Woman et Sissel Vincent, il vient d’ajouter l’Américaine Isabella Koenet sa techno tribale industrielle à son écurie : « Il m’a contacté par SoundCloud sur suggestion de Sissel, nous explique-t-elle. J’étais sous le choc car son label est une des plus belles plateformes pour une dance music hétérogène dans le son comme dans ses acteurs. Tout s’est passé hyper naturellement et j’espère bien travailler avec lui pour longtemps ». Les rencontres et la collaboration sont dans l’ADN de Peder, une démarche qui lui vient naturellement : « Je sors bientôt un EP avec Hodge, on ne s’est rencontrés qu’une fois dans un taxi après un concert. Tout s’est passé sur Internet, très rapidement, en quelques heures, c’est comme ça que ça se passe pour de la bonne dance music ! » Le résultat est une sorte de rave music hallucinée particulièrement jouissive, une proposition dancefloor aussi pertinente que la musique plus exigeante de Roll The Dice, preuve que le bonhomme s’est trouvé sur tous les fronts.

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant