Par Christian Bernard-Cedervall
On entend souvent que troisième album = album de la maturité… Sauf qu’en musique électronique, tu te fais souvent remarquer après avoir brisé les règles, alors qu’à l’approche d’un troisième opus, on a tendance à un peu trop les avoir apprises ces fameuses règles ! L’avantage avec ce disque de Peverelist, c’est que le « dubstep hero » qu’il fut s’est affranchi de tout pour se retrouver à livrer ce qui sort du plus profond de lui face à des machines, une musique hybride qui parle autant du passé que du futur, une proposition absolument « UK », un métissage unique que le Brexit ne saurait nous faire oublier.
Pionnier du dubstep version Bristol, Tom Ford a largement contribué à le faire entrer dans l’âge adulte, quitte à en précipiter la chute quelques années plus tard : après avoir fondé le label Punch Drunk et lancé nombre de jeunes talents (Guido, Hodge, Bass Clef, Kahn, Ekoplekz, etc.), il est depuis 2011 aux commandes de Livity Sound, probablement le label britannique le plus pertinent des années 2010, brouillant les pistes entre dubstep et techno jusqu’à rendre ces qualificatifs caducs. La vraie constante dans la musique de Pev et de sa bande, c’est cette énergie si UK, aussi influencée par l’électro que la house, la jungle, la techno ou le dub jamaïcain, une culture qui nous interroge encore un peu, nous autres continentaux, une rave culture que nous n’avons fait qu’adapter, oubliant bien trop souvent son exubérance, sa folie, voire sa naïveté.
En effet, derrière la musique de Pev, pas de grands secrets : longtemps conçue à l’aide de simples logiciels et de quelques samples issus de vieux maxis de jungle, le producteur a toujours fonctionné à l’instinct, privilégiant une forme de hasard dont le seul élément de contrôle demeure une oreille forgée par des années de teufs. Si le succès de Livity Sound l’a amené à développer le live avec ses camarades Kowton et Asusu en empruntant petit à petit la voie du hardware, sa démarche reste particulièrement minimaliste : « Tout part d’un beat – samples ou boîte à rythme –, s’ensuit un processus d’accumulation avant d’entrer dans l’élimination, et enfin, je fais ressortir un caractère harmonique à l’aide de pédales d’effets ou de plug-ins. » Voilà, ce n’est pas plus compliqué que ça, la dance music. Sauf qu’après quelques trente années d’existence, s’il n’a jamais été aussi facile de mettre en boîte un titre, produire un album est devenu un sacré challenge : « Je ne crois pas que les jeunes soient encore intéressés par ce format. En tout cas, il me semble qu’on n’écoute plus les albums comme avant. Et dans la musique électronique, on a trop souvent droit à des compilations de tracks, parfois même uniformes. J’en sais quelque chose : mon précédent album fut composé à partir de ce que j’avais en stock ! »
Conscient de cela, il aborde donc Tessellations comme une page blanche, mais le principal challenge s’avérera assez imprévisible : « Je ne sais pas si on peut dire que Livity Sound est un grand succès, mais c’est certainement beaucoup de boulot, car depuis deux trois ans, je passe littéralement ma vie à gérer les sorties, les comptes, les envois, etc.. Entre ça et les dates DJ, je n’ai jamais autant galéré à trouver du temps pour produire ! En janvier dernier, ça faisait bien deux ans que j’avais commencé, alors je me suis dit qu’il fallait mettre un point final, sinon je pourrais continuer jusqu’à l’écœurement. »
Alors que ses premiers amours remontent à la jungle de LTJ Bukem et compagnie, Tessellations revient encore plus loin, évoquant la blip techno, les aventures rythmiques de Sweet Exorcist et autres projets de Richard H. Kirk, LFO, une musique où les beats sont rois et peuvent s’évader n’importe où. Mais le plus savoureux demeure cette musique si blanche, subissant pourtant les influences inconscientes d’un passé colonial, l’accent sur les bongos et les toms procurant une couleur « quatrième monde » qui n’est pas sans rappeler le travail de Shackleton, un ancien collègue champion de cette esthétique. Humble, cet album n’en est que plus passionnant et se pose comme manifeste absolu de ce qui fait de Livity Sound un des labels les plus insaisissables.