Par Christian Bernard-Cedervall
Rédac chef de l’influent Groove Magazine en Allemagne, c’est d’abord sa passion qui l’amènera à participer à la programmation artistique à l’Ostgut – ancêtre du Berghain – avant de sortir de l’ombre en devenant résident du Panorama Bar lorsque l’équipe prend possession du Berghain. Une des raisons du succès de l’entité réside dans cette faculté à avoir créé une famille d’artistes, un projet véritablement lancé sous la houlette de Nick avec le label Ostgut Ton en 2005 et dont il en assurera la direction jusqu’en 2012. Cette mise en retrait (une décision personnelle) fait sauter un verrou et il embrasse enfin sérieusement la production avec un premier album il y a deux ans – Folk –, un nouveau reboot de sa carrière suivi aujourd’hui d’une révolution bien plus profonde avec le présent Work.
Avec toutes ses casquettes, Nick n’a pas forcément la personnalité la plus facile à cerner : dans un monde du clubbing où chaque acteur chasse une place au soleil – parfois à tout prix –, il est souvent plus facile de se présenter tel une pub TV, un concept simple qui ne nécessite aucune explication, saisi du premier coup d’œil. Or, Nick est resté dans une sorte de flou artistique, et c’est sans doute ce qui le sauve : « Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui me connaissent mais qui ne savent pas encore bien qui je suis ou qui j’ai été. Suis-je un journaliste ou toujours le label manager d’Ostgut Ton ? Suis-je un DJ ou un producteur ? Est-ce que je joue de la house ou de la techno ? Quand je lis des articles me concernant, je retrouve parfois des traces de ma bio d’il y a dix douze ans ! Le truc, c’est que dans ma tête, je ne me suis jamais spécialisé, je suis toujours passionné par toutes les musiques, d’où qu’elles viennent. Je viens moi-même du punk hardcore, c’est pour dire ! »
S’affranchir du dancefloor
Point de trace de ce lointain passé dans Work, si ce n’est peut-être une volonté de défier les attentes, avec notamment le sombre et superbe Dark Segment : « Je n’avais pas de projet stylistique spécifique en démarrant cet album, à ceci près que je voulais m’octroyer plus de liberté, m’affranchir du dancefloor. En tant que DJ, je me sens souvent assujetti aux attentes en matière de ce qui serait acceptable ou non de la part d’un DJ house, ce que je peux comprendre, mais en tant que producteur, mon studio devrait toujours être le lieu d’explorations sans limites. Cela ne signifie pas que je ne touche plus à la club music, mais mes envies personnelles doivent être ma seule contrainte. » Ces envies semblent aujourd’hui s’aligner avec une mise en abîme de ses influences – All By Themselves My Belle évoque le vieux Warp (Plaid/Black Dog, NOW, etc.), In My Mind rappelle l’insouciance de Chicago, Hole Head la jungle du label Good Looking, mais nous ne sommes pas pour autant dans un trip rétro : « Ma seule véritable ambition avec cet album était d’exprimer des sentiments de sincérité et d’authenticité, qu’on ne se dise pas à son écoute qu’il s’agit juste de la carte de visite de DJ en mal de gigs. »
Effectivement, Work ne décline aucun projet précis autre que celui d’une balade désorientée parfois enivrante, annonçant un clair point de rupture avec la doxa techno actuelle : « Produire un hit de club est plus dur qu’il n’y paraît, et je ne suis pas très doué pour ça. Ce n’est pas dans ma nature, je suis incapable du minimalisme que cela requiert. En même temps, même si je comprends qu’on puisse vouloir une boucle hypnotique pour danser jusqu’au bout de la nuit, on a eu notre dose depuis quelques années, non ? Je continue d’acheter des news club toutes les semaines, mais je me passionne autant pour le roots et le dub, le lovers rock ou le digital dancehall – il a mixé exclusivement reggae pour la release party de Work. Le public change, s’ouvre un peu plus, comme en témoigne ce regain d’intérêt pour la jungle, impensable il y a cinq ou six ans. Il y a peut-être de la lumière au bout du tunnel. »