Par Christian Bernard-Cedervall
Bonne élève absolue, la musicienne du Michigan, a débarqué avec un premier disque acclamé en 2012, et, honneur suprême, meilleur album de l’année tous genres confondus pour la Bible The Wire ! Entre expérimentations pop et techno, Halo est parvenu à rendre « acceptables » les transgressions d’Oneohtrix Point Never et autres James Ferraro, une variation plus intimiste des fulgurances de Björk, clairement en mode DIY. Sorti sur Hyperdub – le label de Kode9, grosse plus-value street cred ! – ce Quarantine se trouve l’année suivante un successeur qui intensifie les accents club, avec des influences techno, breakbeat et footwork qui laissent progressivement moins de place à la voix. Depuis Berlin, In Situ prolonge en 2015 cette tendance, avec des structures encore plus abstraites, mais toujours en écho avec une certaine idée du dancefloor. Quelle ne fut donc pas notre surprise de découvrir son nouvel album regorgeant de chansons et d’esquisses plus acoustiques que jamais !
Dust s’ouvre sur une sorte de petite comptine pleine de drones et de boîte à rythme maltraitée, la voix de Laurel y figure tantôt claire, tantôt pervertie comme la lecture d’une bande magnétique récalcitrante, le tout soutenu par quelques accords d’orgue et phrases de synthé. Ce Sun to Solar annonce une intention plus ludique, mais surtout une véritable rupture avec un dancefloor qui pointait toujours le bout de son nez dans ses précédentes productions : « Quand j’ai commencé cet album, j’avais une idée en tête, mais je ne savais pas quelle forme il prendrait. Durant ces deux années de travail, j’ai trouvé pas mal de collaborateurs en route, ce qui a grandement fait évolué l’esthétique des premières démos. Au final, j’avais tellement de matière qu’il a fallu raffiner au maximum. » Pendant ces deux années, outre la composition, ses concerts et ses DJ sets, Laurel a développé son show radio à Berlin, une activité qui influence sa propre musique : « Mixer à la radio – et parfois en club –, c’est trouver des liens conceptuels entre des musiques qui n’en ont pas forcément, ce qui constitue un challenge créatif qui informe également mon écriture. Ça te rend plus courageux et plus curieux en tant que musicien. »
Un disque social
L’autre avantage d’une activité radiophonique pour un musicien – et particulièrement une chanteuse – , c’est qu’on peut en profiter pour apprivoiser sa voix. Et pourtant… « Je ne parle jamais à la radio : je déteste le son de ma voix ! J’ai un ton nasillard avec un accent ricain du Midwest atroce. Quand j’enregistre, j’ai droit de recommencer jusqu’à trouver la bonne prise, alors qu’à la radio, c’est live. Mais ça m’a tout de même permis de moins détester mon chant, j’arrive à le tolérer aujourd’hui. C’est très intimidant d’écouter sa propre voix, mais c’est pareil pour la musique : j’entends ma musique d’une manière très personnelle, et le reste du monde ne capte pas les mêmes nuances, c’est déstabilisant. » C’est peut-être douée de cette assise accrue que Laurel ose de nouveau la voix, pour un résultat étonnant. Car si la plupart des chansons ressemblent à de douces fantaisies exotica à peine esquissées, sa voix y paraît l’élément le plus volontairement maîtrisé : « Je pense que mes précédents disques présentaient des univers très contrôlés, alors que Dust laisse plus de part à l’impro, aux idées spontanées et subjectives. J’ai fait plus confiance aux machines et leur potentiel qu’à mon contrôle sur elles. J’ai toujours été quelqu’un d’assez solitaire, mais je suis devenu bien plus sociable depuis que je vis à Berlin, et c’est peut-être cela qui me permet d’aujourd’hui d’intégrer d’autres voix à ma musique, et donc d’avoir moins de contrôle. Le monde a tant changé ces deux dernières années, et pas pour le meilleur, alors la dernière chose que je voulais faire avec ce disque était de m’isoler. Dans un tel contexte, il devient plus important que jamais de donner un peu de sens à l’art, même si c’est juste de donner un peu de joie aux gens, et pas juste à moi. Je voulais faire un disque qu’on veuille écouter avec des amis, et qui permette de se sentir moins isolé si on est seul. » Belle ambition pour un disque de musique « expé », mais au fil des écoutes, force est de constater que Miss Halo ne s’est pas perdue en route.