Par Christian Bernard-Cedervall
On me dit que l’électro jouit depuis deux trois ans d’un retour en grâce presque inexplicable. Je constate surtout qu’après d’innombrables rééditions du (fabuleux) catalogue de Drexcyia et de ses multiples projets parallèles (Other People Place, Dopplereffekt, Transllusion, Clarence, etc.), les trois quarts de l’electro nouveau sonne comme du Drexcyia, voire comme du Cybotron. De son côté, DMX Krew n’a pas dévié d’un pouce, fidèle à une muse dotée des mêmes influences, mais les soumettant à une grille de lecture tout anglaise, tout du moins des Cornouailles de Richard D. James qui emprunta, lui aussi, – entre autres – les chemins tracés par James Stinson et Gerald Donald. Ed n’a jamais vu les déviations et sorties de route, enchaînant tel un stakhanoviste les sorties, produisant une sorte de catéchisme d’un culte oublié, sans pour autant tomber dans le militantisme. Et c’est d’ailleurs ce qui fait la force de son œuvre, une absence quasi totale de besoin de reconnaissance, et donc aucun compromis à accepter pour faire avancer sa carrière : « Ma vie consiste juste à produire track après track. Quand un label veut bosser avec moi, je les laisse puiser dans mon disque dur, décider de ce qui leur convient. Ce n’est pas mon boulot. »
Strange Directions est une nouvelle illustration de cette démarche, où la seule cohérence thématique à trouver est celle de la musique de DMX Krew, y compris dans ce qu’elle a de plus effrontée. « J’aime introduire des sortes de blagues, faire des trucs idiots dans ma musique, c’est ma personnalité, car je n’aime pas vraiment l’art constamment sombre. » Résolument enclin à la mélodie – notion aujourd’hui quasiment obsolète dans la dance music « underground » –, c’est aussi là qu’il peut déconcerter les oreilles contemporaines. « Je pense que c’est juste trop difficile pour pas mal de producteurs : il y a aujourd’hui tellement plus de monde en position de sortir des disques, mais il n’y a pas plus de monde prêt à prendre le temps « d’apprendre », de trouver leur voie, et la majorité des prods est donc simpliste. La pop est également très simpliste aujourd’hui. »
Ce nouvel album pourrait paraître relativement « facile » à première écoute, mais Ed passe son temps à chahuter ses structures par l’introduction de nouveaux motifs mélodiques et rythmiques qui viennent bouleverser le groove (Zero Sum) sans s’annoncer par le recours au drop. Mais au-delà de ça, parle-t-il d’autre chose que de sa musique même ? « C’est plus difficile de se remettre en question aujourd’hui : notre culture a rendu le passé indéfiniment disponible. Dans le passé, t’aurais pu entendre un morceau de Larry Heard, et avec un peu de bol, un an après, t’aurais pu trouver un second disque de lui dans une boutique d’occasion. Maintenant, tu peux entendre Can You Feel It pour la première fois et instantanément télécharger son intégrale et aller sur un forum pour savoir exactement quels synthés il a utilisés pour tel ou tel track, puis juste copier la vibe. Et c’est ce qui se passe. Donc je m’inspire de moi-même pour préserver ma naïveté. »
Strange Directions serait donc un album incestueux ? « Forcément un peu : quand j’écoute mes anciennes prods, je suis souvent surpris de constater que ça sonne mieux que dans mon souvenir. J’aime à penser que je suis devenu largement meilleur avec le temps – en termes de son et de production – mais il y a une innocence et une naïveté qu’il est difficile de ne pas perdre avec l’expérience. Rester connecté avec ça, c’est sans doute mon principal objectif. »