Par Maxime Gueugnau
Les dernières nouvelles que nous avions de Charlie O. – outre sa participation au Sciences Politiques de Mendelson – venaient de son Marguerite sorti en 2015 chez La Souterraine. Un disque à la majestuosité légère, enregistré en l’église Sainte-Marguerite de Marseille et qui laissait la puissance de l’orgue liturgique se mêler aux basses préoccupations de la musique populaire pour un résultat aigre-doux au bon goût de reviens-y. On y est donc revenu avec plaisir, aux côtés de Charlie O., pour plonger dans le répertoire unique d’un homme qui n’a que faire des étiquettes pourvu qu’il y ait danger. « Je crois que nous sommes tous assez peu attachés au style, aux catégories, au hashtag de ce que nous jouons (et écoutons), et plus à l’énergie, à l’émotion qui circule. Et que nous aimons tous le hasard des rencontres, qui est propice à l’aventure, à l’expérimentation. » On le croit, ce Marseillais qui a enregistré au côté de Katerine, Bernard Lavilliers, Rubin Steiner, eRikm ou encore David Grubbs.
Faire rentrer l’église dans le studio
Nous avons ainsi replongé, mais la saveur était bien différente de son disque précédent. « C’est volontairement une rupture avec Marguerite, qui a une forme classique et des thèmes iconoclastes. Là, c’est un peu dans l’autre sens, des thèmes classiques et une forme iconoclaste. » Car Charlie O. est un maître juste mais dur. Et s’il a offert, avec Marguerite, un écrin sur mesure à ses claviers d’amours en leur lâchant la bride, pour M2, il resserre quelques boulons et condamne son instrument à la loi totalitaire de son bon vouloir. Il s’agissait de « faire rentrer [l’orgue d’église] dans un studio d’enregistrement. En travaillant au casque pour composer sur la base des effets transformant ce que captent les micros, en supprimant le son direct et l’acoustique du lieu. Puis en découpant, en montant, en rejouant des couches successives, du Minimoog, du Hammond, du piano, et avec le percussionniste brésilien Edmundo Carneiro comme cerise sur le gâteau. Ce dernier étant d’ailleurs à ne pas négliger puisqu’il offre à M2 sa rythmique singulière, vivante, naturelle.
Loin de son cadre solennel, où il montre sans crainte crocs et poils, l’orgue se fait ici chat. Ses rugissements ne fendent plus l’air, n’en appellent plus à toutes les forces de la Terre et ne font plus trembler les vivants. Charlie O. a la maîtrise pleine de son instrument, il est ce superpouvoir utilisé avec toute la responsabilité qu’il implique. Alors qu’il le tient bien en laisse, il le laisse sans trembler se promener dans les contrées barbares de l’ambient, du dub, de l’exotica ou du trip-hop, avec ce qu’il faut d’intelligence pour qu’il en ressorte toujours grandi. « Un orgue à tuyaux, au final, c’est un (très) gros générateur de fréquences, pas très différent d’un synthé. » Est-ce un hasard, alors, si l’album s’appelle M2, clin d’œil volontaire au duo d’électroniciens Maurizio/Basic Channel, et si Charlie O. embarque goulûment ses sons analogiques dans son laboratoire de machines ? « L’avantage de l’orgue à tuyaux, c’est qu’il y a des spectres de fréquences d’une richesse incroyable, forcément, les traitements et les bidouillages électroniques sortent des sons inouïs, et c’est motivant, ça donne des idées. » Et un grand album.