Chronique : Björk – Utopia

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Björk
Le 30.01.2018, à 11h17
02 MIN LI-
RE
©Björk
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Björk
Titré en toute hardiesse Utopia, l’autoproclamé « album Tinder » de l’artiste la plus iconoclaste de la musique électronique est un de ses plus réussis. Ça méritait bien une double chronique.


Par Arnaud Wyart et Bruce Levy

Neuvième album de Björk et produit cette fois par le Vénézuélien Arca (qui a déjà collaboré avec Kanye West et Franck Ocean), Utopia débute dans une atmosphère qui rappelle Homogenic, sorti en 1997 (le dernier track “Future Forever” utilise également un sample de “All Is Full of Love”). On est loin des derniers albums… Comme d’habitude, la voix de l’Islandaise est manipulée comme un instrument. Mais c’est un air de quiétude qui se fait sentir tout au long des 71 minutes (c’est le plus long opus de Björk), avec parfois même des accordéons de l’espace (“Sue Me”). Un album expérimental des plus envoûtants. Souvent d’ailleurs, avec l’apparition de flûtes, de chants d’oiseaux et de cornes, il tourne même à l’incantation (“The Gate”). Parfois aussi, les chansons se transforment en ritournelles enfantines… Les pistes défilent, les unes après les autres et la quête continue dans un univers de plus en plus féérique (“Utopia”, “Paradisa” et le magnifique “Saint”, une sorte d’aboutissement). Il faut vraiment le souligner, le jeune Arca fait des merveilles à la production (il a également coécrit quelques titres), surtout lorsqu’il joue avec plusieurs pistes de voix (“Blissing”, “Me, Loss”, “Courtship”). La complicité entre les deux artistes est remarquable. On peut dire que trois ans après Vulcania, Bjork semble enfin apaisée. Elle est surtout au sommet de son art.

Contre toute attente, 2017 aura été une année de musique utopique. L’un, Chino Amobi, cofondateur du formidable label NON s’est imaginé un Paradiso dans les entrailles d’une Amérique dantesque – exécuté en union avec une nouvelle mythologie d’artistes électroniques passionnants. Björk, elle, aura fait de l’utopie un schisme discographique puisque le clair obscur Vulnicura avait pour parti pris d’expier la souffrance d’un divorce. Irrévérencieusement ordonné une fois de plus entre langage pop et production d’avant-garde, Utopia se veut le kabuki d’une deuxième jouvence – aux sons de la flûte et d’une nature aussi vierge qu’exaltée. Arca, devenu moitié sur cet album, responsabilise avec brio une Björk printanière et érotique (« Blossoms and embraces oral, anal entrances », dans Body Memory), qui, peu avant la sortie de son album, aura elle aussi brisé le silence – en aval des accusations contre Harvey Weinstein. Rescapée du patriarcat, la Björk d’Utopia flotte sur son île et sa nébuleuse de collaborateurs (le producteur Rabit, également fondateur du stimulant label Halcyon Veil, Jesse Kanda ou encore la mystérieuse drag-queen Hungry, parmi d’autres) peu derviches que commutateurs d’une même syncope. « Huge toxic tumour bulging underneath the ground here », métaphorise l’Islandaise dans une voix d’éther, alors que les avaries d’Arca rappellent l’indocile tapage du monde. “Future Forever”, la dernière piste de l’album, rappelle sans grand mal l’euphorie d’”All is Full of Love” dont l’intention, bien que triviale, n’aura jamais été aussi indispensable. Atlantide dans l’imaginaire de Chino Amobi, Eden matriarcal selon Björk, l’utopie, aussi richement interprétée, aura scellé un sentiment collectif.

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant