Christophe, le chanteur d’« Aline » et « Les Mots bleus » est mort

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Jacob Khrist
Le 17.04.2020, à 06h00
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©Jacob Khrist
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Il était cet oiseau de nuit dont on ne connaissait plus que le prénom. Christophe. Le chanteur derrière “Aline” ou “Les Mots bleus”, féru de machines et de synthés, qui accueillait chez lui seulement après 21h, est mort dans la soirée du 16 avril. Christophe était hospitalisé à Brest depuis le 26 mars pour « insuffisance respiratoire ». Nous l’avions rencontré une nuit, dans son fabuleux appartement de Montparnasse.

Cet article est initialement paru en novembre 2017 dans le numéro 206 de Trax Magazine, disponible sur le store en ligne.

Par Arnaud Wyart

Photos Jacob Khrist

Lorsque la porte de chez Christophe s’ouvre, c’est un peu comme si on entrait dans la caverne d’Ali Baba. Il a posé son studio dans son salon, mais il s’agit en fait plus d’une grande pièce où siègent pêle-mêle un piano, un flipper et plusieurs juke-box américains des années 30. Un véritable cabinet de curiosités avec des jouets, des vinyles, des tableaux, des pédales d’effet, des magnétos à bande, des objets design, sans parler des affiches et de belles photos érotiques posées çà et là… Les femmes ont une importance essentielle dans l’univers de Christophe.

Dans ce capharnaüm organisé, le cœur de la musique, son tableau de bord musical, est positionné devant une grande baie vitrée, laquelle offre une vue imprenable sur deux hôtels, une autre de ses passions. « C’est comme le film Fenêtre sur cour. J’adore observer les gens. À quelle heure ils se lèvent, ce qu’ils font le soir… C’est la raison pour laquelle je n’arrive pas à bouger d’ici. Sinon, je l’aurais fait depuis longtemps. D’ailleurs, il faudrait que je songe à nettoyer tout ce bordel. » Voilà quinze ans que Christophe travaille ici, la fenêtre souvent ouverte. Et les voisins ? « J’ai de la chance de ce côté-là. Jamais de plainte. J’ai connu des voisinages moins faciles…». Cela a son importance quand on vit en horaires inversés. 

« Je n’aime pas chanter a cappella, c’est nul. Je fais des mots pour déclencher des sons. »

Christophe

Ouvert et curieux, Christophe aime parler de tout ce qui peut l’inspirer. Mais dès que l’on évoque le son et les synthétiseurs, ses yeux s’illuminent un peu plus, comme un gosse. Il n’est pourtant pas né de la dernière pluie. À 14 ans, parallèlement au blues qu’il jouait sur sa guitare ou son harmonica, « du son », comme il dit, il en faisait déjà à l’aide d’un simple magnétophone. Et c’est bien cette attitude qui le définit le mieux, lui qui ne s’est jamais considéré comme un chanteur. « Je n’aime pas chanter a cappella, tout ça. Ça n’a aucun intérêt, c’est nul. Ce qui me plaît, c’est d’entendre quelque chose de très sophistiqué que j’ai réglé. Je fais des mots pour déclencher des sons. »

Cette différence majeure, il la doit à sa découverte des réverbes et des échos dans les années 60, des machines qui lui ont aussi donné envie de faire de la musique. « Déjà, à l’époque, je chantais en déformant ma voix. Je ne voulais pas faire du Brassens, tout simplement parce que j’aimais trop l’écouter. Et c’est grâce aux échos que j’ai découverts à Strasbourg Saint-Denis (rue René Boulanger, dans un magasin d’accordéons, l’un des premiers à importer des machines italiennes Fratelli Crosio, ndlr). Si je n’avais pas été là-bas à 14-15 ans, peut-être que je ne serais pas là en train de parler. »

Christophe dans son salon-studio,, 2017. ©Jacob Khrist.

70’s : la révolution analogique

La véritable révélation arrivera en 1971, alors qu’il enregistre des morceaux à Londres. Christophe y pose ses doigts sur un Arp Odyssey, son tout premier synthétiseur analogique. « L’un des plus beaux moments de ma vie. Il y avait bien eu des orgues avant, mais le son était affreux, rien de comparable. » Nappes, chorus, basses et bruit blancs, le jeune homme commence à programmer musique et pieds de batterie synthétiques. Le rêve pour ce fan de percussions. Avec le Arp Odyssey (puis d’autres synthés, tel le puissant Memorymoog, l’un de ses préférés), Christophe a la possibilité de fabriquer entièrement sa propre matière sonore, trente ans avant l’avènement des home studios et la démocratisation de la musique assistée par ordinateur.

« Écrire de la musique, le solfège, tout ça, je ne sais pas ce que c’est. Les synthétiseurs m’ont permis de travailler comme un autodidacte en peinture. Il y a des couleurs, une palette et je les utilise. C’est juste une question de passion et d’envie. » Christophe, synonyme des « Mots bleus » (dont les paroles ont été écrites par Jean-Michel Jarre) ou d’« Aline », se considère d’abord comme un producteur, un créateur. « Je pose des ambiances, des mélodies et ensuite mes voix. Par exemple, Les Paradis perdus a été créée avec le Arp Odyssey et ma guitare. Belle aussi. Quand je réécoute ces deux chansons, ce n’est pas pour les paroles ou la voix, mais davantage pour entendre cette matière sonore incroyable. Contrairement à un instrument classique, ces vieux synthétiseurs correspondent vraiment à un instant précis. Si tu bougeais le moindre bouton d’un millimètre, c’était fini. »

« Dans les années 70, j’avais 20 piges et ce que je faisais était très expérimental. »

Christophe

Seul dans le brouillard

Le processus créatif de Christophe est un danse avec la machine, un rendez-vous avec l’inconnu. « La recherche vient du déclenchement que la machine te procure… Tu vas chercher un son pour que celui-ci s’intègre dans ce que tu fais et puis, à un moment, il se passe quelque chose. » À titre d’exemple, il tient à montrer l’une de ses dernières acquisitions, l’application Roli Blocks sur son iPhone, avec laquelle il programme ses séquences rythmiques. À l’ouverture, petite galère, ça ne fonctionne pas immédiatement. « Ce qui est un peu difficile aujourd’hui pour un mec comme moi, c’est que contrairement aux Ricains qui font de la musique de film avec des technologies de pointe et toute une équipe, je travaille seul. Et tout ça, c’est effectivement épuisant à gérer. Mais ça fait aussi partie du jeu. »

Christophe dans son quartier de Montparnasse, 2017. ©Jacob Khrist.

Lou Reed, Prince et Demis Roussos 

On remarque vite qu’une lumière colorée tamise tout l’appartement, une omniprésente couleur violette, référence explicite à Prince. « Avec lui, c’est vraiment une rencontre musicale, ça ne peut pas s’expliquer. Il y a simplement des points de convergence. J’aurais adoré rencontrer Prince, mais je ne suis pas bilingue. Je n’ai rencontré physiquement que peu de personnes, hormis Lou Reed [écoutez son hommage « Lou » sur son dernier album, Les Vestiges du chaos, sorti en 2016, ndlr], ou Nick Cave. C’était chaleureux et grandiose, mais je n’ai pas pu lui parler comme j’aurais voulu le faire. La traduction, c’est vraiment casse-couilles. » Christophe prépare actuellement une reprise d’« Aline », en hommage à Prince. « Ça me fait marrer, les gens croient tout savoir. Quand ils écoutent la nouvelle version, ils disent : « Ah c’est Creep de Radiohead ». Je dis OK, mais allez quand même écouter les hits de 1966 sur YouTube ».

« Le solfège, je ne sais pas ce que c’est. Les synthétiseurs m’ont permis de travailler comme un autodidacte en peinture. »

Christophe

Parmi ses nombreuses influences, le chanteur aime à citer Vanilla Fudge et bien sûr le Velvet Underground. Et la folie des années 70. « Ça bougeait pas mal avec des mecs comme Bowie et Vangelis. Ce dernier, je le connaissais bien. Nous avons habité pendant trois ans l’un en face de l’autre. J’étais aussi très copain avec Demis Roussos. On a fait beaucoup de choses ensemble. Des bœufs, des fêtes, tout ça. Et puis l’été, ils jouaient avec Aphrodite’s Child (le groupe de rock psychédélique de Demis Roussos et Vangelis, ndlr) dans un endroit juste au-dessus d’Antibes. Ce n’était pas compliqué, ils passaient tous les soirs. Je kiffais venir les écouter ». Christophe a su rester admiratif des artistes qui le touchent. Il suffit de l’entendre narrer son prochain album de duos, à sortir en mars prochain. « Laurent Garnier me fait un remix de Tangerine. Sur l’album, tu auras aussi Raphaël, Jeanne Added, Chrysta Bell… Et puis, refaire Les Paradis perdus avec Nick Cave, c’est pas dégueu, même si Christine and the Queens a mis la barre haute, la coquine. »

À l’écoute d’une première version du remix de Garnier, Christophe avoue avoir emmagasiné dans ses tiroirs des bandes bien plus remuantes que les chansons qu’on lui connaît. L’oiseau de nuit a toujours aimé sortir écouter de bons DJ’s. « Aujourd’hui, je vais pas mal au Montana. J’ai aussi fait les Bains Douches, le Baron quand c’était bien rock’n’roll… Sinon, il y a le Raspoutine, ça fait quinze ans que je veux y aller… Le DJ, c’est le truc qui fait que je vais rester ou me tirer. Dans les années 60, les mecs devaient jouer les bons disques au bon moment. » Resté assez hermétique à l’émergence de la house et de la techno dans les années 90, Christophe n’en écoute pas moins quelques artistes électroniques. « Il y a dix ou quinze ans, j’adorais ce que faisaient des mecs comme Paul Kalkbrenner. Aujourd’hui, tu fermes le poste direct. Je préfère les Daft Punk. »

« Je suis un mélodiste, un mec de gimmicks, certainement pas un instrumentiste comme Cory Henry. Le piano, je le joue comme je le joue et ça me va. Je suis un débutant en tout. Le don que j’ai, c’est de ne pas être jaloux des autres. Au contraire, cela m’inspire. »

« Je dis toujours que normalement, j’aurais dû être quelqu’un d’autre musicalement », confie Christophe lorsque l’on soumet l’idée qu’il a toujours été un avant-gardiste, une évidence à l’écoute de sa discographie. « J’aurais pu faire Les Vestiges du chaos (son dernier album, 2016, ndlr) dans les années 90. Mais l’on m’a clairement freiné. Mon son allait trop loin. Après, cela ne m’a pas empêché d’apprécier ce que j’ai fait. C’était même pas mal. Bevilacqua est un bon disque, mais il est sorti en 1995 alors qu’il était déjà prêt dans les années 80. Tu vois le truc ? » Dans ces studios hors de prix où il enregistrait ses chansons, Christophe restait souvent le soir, pour entamer des expérimentations, pour la plupart jamais sorties. « Dans les années 70, j’avais 20 piges et ce que je faisais était encore plus expérimental que maintenant. C’était tellement kiffant d’avoir toutes ces machines. C’est ce qui a fait que j’ai accepté de suivre les maisons de disques. Je n’avais pas le recul nécessaire. Mais quand plus tard, j’ai eu la possibilité de me barrer, j’ai préféré tracer une route du plaisir. Je n’ai aucun regret, mais je constate aujourd’hui que l’on m’a en quelque sorte coupé dans mon évolution. » Dans son salon aux tons violets, trônant au milieu de ses synthés et micros, le dandy de la musique repart dans sa musique. Christophe a peut-être tout fait avec ses machines, mais celles-ci n’ont peut-être n’a pas encore tout dit de lui.

Le dernier album de Christophe, Les Vestiges du chaos, est sorti chez Universal en 2016.

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