Ce que 25 ans de collaboration avec Laurent Garnier ont apporté à Scan X

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©D.R
Le 29.01.2019, à 15h47
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Scan X est l’un des pionniers de la techno française. Entre 1993 et 2007, le prolifique producteur a sorti 20 disques dont 3 albums, parmi lesquels l’excellent Chroma. Ensuite… plus rien, jusqu’en 2017. Mais cette apparente désertion n’en est pas une : Scan X, en plus d’être un artiste respecté de la scène hexagonale, est aussi le fidèle homme de studio de Laurent Garnier. Sans lui, “Crispy Bacon” n’existerait sans doute pas. Trax s’est entretenu avec Scan X à propos de cette face cachée de son travail.

Vous avez disparu des radars entre 2008 et 2017 : il y a comme un trou dans votre discographie. C’est parce que vous travailliez avec Laurent Garnier ?

Oui. Je mixe les productions de Laurent depuis 2003. Lorsqu’on a travaillé sur son album Tales of a Kleptomaniac en 2009, on est partis tellement loin dans la production électronique qu’il m’a confié ne pas pouvoir tout gérer sur scène. Il m’a alors demandé de le suivre. C’était la première fois que je partais dans une formation de groupe : Laurent, ceux qui s’occupaient des claviers et des cuivres, et moi. La tournée a commencé en 2009 et s’est achevée en 2013. Après c’est devenu le “LBS” : Laurent, Benjamin au clavier et moi. On a parcouru le monde durant trois ans, avec 250-300 dates sur cette période, ce qui est considérable. Pendant ce temps-là, je n’ai pas produit de musique. Je me suis remis à produire quand cette tournée s’est achevée, notamment sur le label de Stephan Bodzin qui sortait un maxi, parallèlement à d’autres projets de remix. En 2016, j’ai à nouveau repris la route et les tournées pour un an et demi : Laurent avait composé l’album d’Abd Al Malik, que j’avais mixé. Comme Laurent ne pouvait pas aller sur scène, j’ai accompagné le rappeur en prenant le contrôle des machines. Donc même si Scan X était moins visible, en souterrain il était toujours aussi actif !

On pourrait se dire que Scan X passe sa vie en studio, alors que vous avez passé dix ans sur les routes !

À l’origine, je suis un liveur. J’ai débuté en 1993 et j’ai presque instantanément commencé à me produire en tournée. Mais j’ai toujours aimé travailler pour les autres. En étant le binôme de studio de Laurent, au moins pour la partie mixage, la quantité de travail est évidemment assez importante. Il est beaucoup sollicité : j’ai fait des B.O. avec lui, une en 2012, puis une autre en 2015 pour Arte. On a aussi composé pour Marie-Claude Pietragalla. Le bon côté de tout ça, c’est que ça te met un peu dans un état de frustration par rapport à toi-même. Et pendant six mois cet hiver, je me suis enfermé dans mon studio et j’ai travaillé sur un nouvel album. Ces side-projects qui t’éloignent un peu de ce que tu fais au départ, ça m’a encore plus donné envie de travailler pour moi.

Qu’avez-vous appris auprès de ces musiciens en live ?

Les rencontres sont toujours intéressantes et enrichissantes, surtout en musique. On y découvre d’autres points de vue, d’autres univers. Je pense à Abd Al Malik, même si on a beaucoup de points communs. Il m’arrive de faire des propositions qui ne sont pas validées parce qu’elles ne viennent pas au bon moment. Une fois, j’étais en train de mixer un album, et l’artiste m’a dit : « Il y avait tout ce qu’il fallait dans tes propositions mais il fallait que je m’en rende compte avec mes propres oreilles. Désolé de t’avoir peut-être fait perdre ton temps… » Et je lui ai répondu : « Je n’ai pas perdu mon temps ! Si ça ne marche pas chez toi sur ce projet, ça marchera chez moi sur un autre album. » Il y a un parallèle entre le hip-hop et la techno : ce sont des musiques urbaines souvent mal accueillies, avec à l’origine des revendications sociales, qui utilisent la technologie, ont commencé à peu près en même temps et ne peuvent désormais plus vivre l’une sans l’autre.

« La musique électronique dévoile son potentiel dans le détournement de l’outil de son utilisation initiale, dans l’expérimentation. »

Vous avez aussi travaillé avec Ableton sur plusieurs workshops.

J’ai la certification Ableton, mais au départ, j’ai un peu fait ça au hasard. En 2011, il y a eu des ateliers à la Gaîté Lyrique, une semaine avant la Techno Parade : histoire de la danse, histoire des raves… Technopol m’a demandé de faire une masterclass, je leur ai proposé quelque chose d’un peu technique sur Ableton. À cette époque, le logiciel n’était pas encore aussi connu qu’aujourd’hui et il y avait moins de tutoriels sur le Net. Ce fut un succès, il y avait même la queue devant ! Je me suis très vite aperçu que « l’inexpérience » de certains, sans être péjoratif, leur manière d’utiliser les outils pouvaient donner des choses très intéressantes. Alors je me suis pris au jeu. J’aime me confronter à la technique, tout connaître de mon logiciel. Mais avoir des gens qui me disent « Tiens, moi je fais ça comme ça », alors que ce n’est pas du tout ma manière de faire, cela me parle. Je trouve que la musique électronique dévoile son potentiel dans le détournement de l’outil de son utilisation initiale, dans l’expérimentation. Ce n’est pas nouveau dans la musique : les guitares de “Echoes” des Pink Floyd par exemple, c’était des pédales d’effet branchées à l’envers…

« Ce qui compte, c’est d’être à l’aise avec son matériel, et produire la musique la plus personnelle possible. »

Les jeunes générations utilisent les outils que vous connaissez d’une façon complètement différente parce qu’ils n’en “connaissent pas les règles” ?

Ce n’est pas seulement une méconnaissance des règles. Il y a un conflit presque générationnel avec le matériel. À l’époque, j’avais tout en hardware, samplers, synthétiseurs… excepté mon séquenceur qui était un Atari. Puis le virtuel, en clonant les vieux synthés, a commencé à dépasser le physique, avec des softwares tels que Reaktor de Native Instruments. C’est à cette époque, aux alentours de 2004, que j’ai revendu pas mal de synthés et que je suis passé au virtuel. Aujourd’hui, cette jeune génération qui n’a connu que le virtuel rêve à son tour de revenir à l’analogique. Beaucoup délaissent les ordinateurs ou les complètent avec de l’analogique. On est en train de boucler une boucle : ce n’est pas pour rien que l’on revient de plus en plus au modulaire. Ce vieux débat qui oppose analogique et numérique a toujours existé, mais je pense qu’il y a du bon dans les deux mondes. Ce qui compte, c’est d’être à l’aise avec son matériel, et produire la musique la plus personnelle possible. Il y en a qui cherchent un contact avec le son, un toucher. D’autres préfèrent la souris parce qu’elle permet énormément de possibilités sans avoir à noter la position des modules par exemple. Il n’y a pas de recette idéale. En live, c’est plus l’instinct qui va être recherché, tandis qu’en studio ça sera plutôt l’expérience.

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