Ce label a eu une idée géniale (et incongrue) : promouvoir sa musique sur des sites porno et sur Tinder

Photo de couverture : ©Racolage
Le 13.07.2018, à 12h27
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©Racolage
Photo de couverture : ©Racolage
Tout le monde s’accorde à dire qu’Internet représente une énorme opportunité pour les artistes afin de promouvoir leur musique. Mais peu de gens seront allés aussi loin que Jane Racolage. Pour faire la promotion de son label, Racolage.xxx, elle a décidé de pousser l’autopromotion à son paroxysme, allant jusqu’à utiliser le spam ou à profiter de l’énorme trafic des sites pornographiques en y plaçant des bannières publicitaires. Trax s’est entretenu avec celle (ou celui ?) qui se cache derrière ce projet.


Lancé en 2017 avec une première release envoyée à plus de 500 000 personnes innocentes par email, ce label expérimental s’est approprié les outils de spam en tout genre, que ce soit sur Twitter, Facebook, Tinder ou même sur des sites pornos. Son dernier coup en date : accoler la musique de ses artistes à des vidéos porno volées (NSFW) et les diffuser par la suite sur des sites spécialisés. Jane Racolage a aussi organisé, dans le cadre des 10 ans du PS festival, une Branlr Room (sic) diffusée en live sur Chaturbate (un site de streaming de sexcam) et à l’Untitled Club de Moscou. Le concept se veut parodique car il cherche les moyens les plus absurdes pour promouvoir des musiques allant du noise à la free improvisation ou à la musique electro-acoustique. Des styles assez confidentiels qui ont du mal à se faire une place dans les circuits de communication classiques… et se retrouvent donc plus enclins à les subvertir. Car comme toute bonne parodie, Racolage.xxx dit quelque chose de la société d’aujourd’hui et de ses travers.

Comment s’est construite l’identité de Racolage.xxx ?

Il n’y a pas de politique éditoriale très claire. Au départ j’ai demandé à quelques amis qui font de la musique pour démarrer le truc, mais en ce moment, je reçois beaucoup de morceaux par le biais de l’appel à candidatures sur le site. Je choisis des artistes qui produisent de manière assez professionnelle, mais c’est musicalement très divers. À un moment, j’avais même eu l’idée que le label pourrait carrément accepter toutes les propositions de façon à ce que ça devienne une plateforme, un peu comme un service. Tous ceux qui seraient prêts à se rabaisser à ce niveau seraient les bienvenus. Mais je me suis dit que pour essayer de passer un minimum pour un label respectable, il fallait garder une exigence artistique. Mais bon, j’aimais l’idée selon laquelle le seul critère d’entrée soit le fait d’accepter de se rabaisser à ça. J’ai donc décidé de combiner les deux en acceptant sur le label n’importe quel artiste motivé qui fait de la bonne musique expérimentale.

Tu n’as pas peur que cette façon assez « immorale » de promouvoir la musique nuise aux artistes et au label ?

À la base, le label est fait pour promouvoir exclusivement de la musique expérimentale. C’est une scène minuscule, c’est toujours les mêmes gens qui vont aux concerts et qui s’intéressent à ça. Ce sont donc des artistes qui doivent se mettre en « mode survie » et ils ne le vivent pas très bien. C’est un peu humiliant de devoir constamment faire sa promotion, de faire du networking, de poster leurs trucs sur Facebook. La plupart n’en ont rien à foutre, ils veulent juste faire de la musique. Donc les artistes qui ont publié de la musique sur le label comprennent bien le but et l’idée du truc. Ils sont d’accord avec mon constat, ils sont un peu désabusés, donc ils n’ont rien à perdre. Ils n’ont pas vu de côté vraiment dégradant dans cette méthode de promotion étant donné qu’ils ont compris la blague et qu’ils se sentent déjà dégradés dans leur travail de tous les jours.

Et concrètement, est-ce une bonne méthode de promotion ? Parvenez-vous à toucher un public nouveau ?

C’est difficile à évaluer. Tout ce qu’on a, c’est le nombre de vues, de lectures, tout ça. Quand on considère qu’une des dernières releases qu’on a faites sur un site porno a presque 400 000 vues, on se rend compte que c’est inimaginable sur n’importe quelle autre plateforme. Alors si on se fie uniquement à cette métrique, il y a énormément de personnes qui n’auraient jamais écouté cette musique qui finalement ont été obligées de l’écouter, même si ce n’était pas leur but. Ils l’ont probablement écouté entre deux masturbations … 

Tu joues aussi beaucoup sur ton anonymat. Est-ce un style, ou est-ce que ça dénote une crainte personnelle ?  Comme une crainte que le projet ne soit pas compris dans la communauté musicale.

Il y a plusieurs réponses à cette question. À la base, comme le projet traite d’autopromotion dans la musique, mais aussi dans toute la société, si je me présentais avec ma vraie identité comme étant la tête pensante de ce projet, ça n’aurait aucun sens. Je souhaite rester anonyme pour présenter un projet artistique en extrayant la personnalité de l’individu dissimulé. Aujourd’hui, l’artiste est extrêmement mis en avant, et dans certains cas, la musique se vend uniquement grâce à la personnalité de l’artiste. Mon projet est une opposition à cette tendance. Ça serait donc totalement paradoxal de critiquer l’autopromotion et de me promouvoir simultanément par le biais de ce projet. Après, il y a aussi un aspect pratique. Spammer, c’est très compliqué. Ça peut paraître simple, mais dès que tu essayes de tricher sur les plateformes tu es très vite banni. En fait, je ne pourrais même pas utiliser mon nom, même si je le voulais.

Ce n’est pas contradictoire avec ton propos de parler à des médias « normaux » ?

Je ne pense pas vraiment qu’il y ait une contradiction puisque le projet est public et que je fais tout mon possible pour le promouvoir. L’idée, c’est de faire de la promotion à tout prix. Le fait que je fasse des choses contraires au projet dans le but de le promouvoir n’a aucune importance. D’une certaine manière, le meilleur moyen d’aller au bout du projet, ce serait d’être en contradiction avec l’idée même du projet en me vendant totalement. Mais c’est ce que j’essaye d’éviter, notamment en restant anonyme. Mon objectif est d’avoir le plus de diffusion possible. Donc ça m’est égal que ce soit des médias traditionnels qui fassent la promotion du projet. C’est même plutôt bien.

En fait l’idéal ça serait d’aller chez Michel Drucker pour faire ta promo. Ça n’aurait aucun sens. 

Oui, il faudrait aller dans l’émission la plus pourrie possible juste pour faire de la promo. Après je ne voudrais pas être en plateau, donc ça serait mieux d’être dans 20minutes ou Metro. Ça, ça serait génial.

Tu utilises des vidéos porno sur lesquelles tu mets les morceaux du label, mais tu as pensé à produire toi-même un film porno pour clipper un titre ?

J’y ai pensé. Après je ne suis pas vraiment dans ce domaine, je n’ai pas trop d’expérience là-dedans. J’ai eu plein d’idées qui pourraient marcher pour faire de la promo crado, mais à partir du moment où tu commences à produire des trucs toi-même, c’est des coûts. Si on se mettait à dépenser même 5000 euros, ce qui en soi n’est pas énorme pour un film, ça ne serait plus la même chose. Ça deviendrait un projet avec un budget institutionnalisé. Il faudrait passer par le système normal qui nous obligerait à jouer le jeu de l’autopromotion basique. On retomberait dans le cercle classique et ça serait fini. Mais le fait de produire nous-mêmes sans budget, j’y ai pensé. Pour l’instant je ne vois pas trop l’intérêt parce que c’est tellement facile de voler, de ne pas avoir de respect pour les copyrights et pour la production.

Est-ce que ça t’ai déjà arrivé d’avoir un commentaire positif sur le son dans une vidéo porno ?

Non, jamais sur les films pornos. Sur Tinder j’ai eu quelques retours positifs, mais c’était certainement juste pour me pécho. Sur les sites porno, un des commentaires c’est « Fuck this audio crap ! » Ça, c’était sur un porno horrible d’inceste. Sur un porno gay y a un mec qui n’est pas content qu’on ait mis la musique à la place des dialogues parce qu’il ne peut plus suivre le scénario, du coup. Sur un BDSM il y a « what the hell with the background music ? ». Donc voilà, en général c’est pas super positif.

Mais finalement, par ricochet tu parviens à toucher un public, puisque des médias plus traditionnels sont intéressés par ta démarche. 

C’est quelque chose que je n’avais pas anticipé, mais c’est vrai. Cependant, j’ai quand même l’impression que mes méthodes, même si elles sont un peu parodiques, ne sont pas si éloignées de ce qui se fait en général. Les gens ont l’impression que le concept est bizarre, mais en quoi c’est plus bizarre qu’un mec qui publie ses morceaux sur Facebook en disant « envoyez-moi vos likes » ou des trucs comme ça ? Y a plein de gens qui sont à fond, et qui n’ont absolument aucun scrupule à spammer tous leurs potes, à leur demander de liker et partager leur page. Donc c’est la même chose. C’est présenté à travers des canaux qui sont tabous pour les gens, donc ça parait bizarre, mais en fait c’est des choses que les gens normaux font aussi.

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