Ce jour de 1988 où le Rex a organisé la première soirée électronique en club de Paris

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©D.R.
Le 02.07.2019, à 18h14
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En mai 1988, le Rex Club accueille ses premières nuits électroniques, les mythiques soirées house Jungle imaginées par les promoteurs anglais de Pure Organisation. Aux platines, Colin Faver, un pilier de Kiss FM (aujourd’hui décédé), et Colin Holsgrove. Quelques mois plus tard, un jeune DJ français, tout juste revenu de Manchester où il a mixé à The Haçienda, va se greffer aux soirées : Laurent Garnier. Avec les soirées Jungle, Paris découvre la house music et l’acid house et le Rex Club, alors une salle de concerts rock et new wave, va progressivement basculer dans la musique électronique.Trax a retrouvé plusieurs acteurs de ces premières Jungle pour raconter l’ambiance de ces soirées qui ont duré un peu moins de deux ans. Réservées à quelques initiés et branchés au départ, ces soirées vont être le creuset d’une première génération d’amoureux de la house qui vont s’évader le temps de quelques nuits, absorbant cette révolution esthétique autant que musicale. Les soirées Jungle vont précéder les premières raves franciliennes, qui vont par la suite décupler le public d’une musique encore totalement nouvelle et très confidentielle. Flash-back.

Cet article a initialement été publié en janvier 2018 dans le Trax Magazine n°207, encore disponible sur le store en ligne.

Par Smaël Bouaici et Olivier Pernot

The beginning 

Christian Paulet, ex-gérant du Rex Club

« Les promoteurs de Pure Organisation cherchaient une salle sur Paris. Ils faisaient déjà les soirées Heaven à Londres. J’ai rencontré Kevin Millins, le boss, et Barbara, son associée/assistante. Elle parlait très bien français et sera responsable des soirées Jungle à Paris. Cette rencontre, qui a eu lieu au Rex, c’était de la science-fiction ! J’étais dans le milieu rock. J’avais écouté quelques sons électroniques lors d’un séjour aux Pays-Bas mais je ne connaissais pas du tout le milieu house. J’avais 22 ans à l’époque, comme les gens de mon équipe, au bar, à la porte, au vestiaire, etc.. Nous étions de la même génération et j’avais envie de faire des expériences, d’ouvrir le club à des musiques nouvelles. Je pense que toutes ces premières soirées, hip-hop comme house, n’auraient pas pu se faire dans une discothèque parisienne traditionnelle. La première a eu lieu en mai 1988. Comme le Rex Club était très connoté rock, ils ne voulaient pas mettre le nom du club sur les flyers. Il n’y avait que l’adresse. C’était une manière de dire : là, on part ailleurs ! »

Kevin Millins, cofondateur de Pure Organisation

« Le Rex, c’était une discothèque à l’ancienne, et un club de rock à l’occasion. Personne ne l’avait utilisé pour autre chose, et je me souviens que tout le monde nous disait qu’on était fous, et que ça ne marcherait jamais dans cet endroit. On trouvait que c’était un bel espace et c’est tout ce qui comptait pour nous. » 

Steve Swindells, cofondateur de Pure Organization 

« On avait décidé de délocaliser la Jungle de Londres, qui avait un succès immense tous les lundis soir. Il n’y avait pas d’espace VIP mais toutes les stars de Londres venaient, et nous étions les premiers à jouer de la house music. On a choisi le Rex Club parce que c’était l’endroit où les consos étaient les moins chères à Paris. Et ils nous ont donné un super deal, avec 100 tickets boissons pour la soirée. Avec 6 tickets, tu pouvais acheter une bouteille de champagne. J’ai rencontré ce peintre américain, il faisait le RP pour ce groupe de restaurants, dont La Coupole, Chez Julien. Je l’ai embauché pour faire la même chose pour Jungle Paris. Le premier soir, on avait un dîner gratuit chez Julien à 40 personnes, juste au coin du Rex. Il y avait Béatrice Dalle et l’acteur britannique Rupert Everett, qui faisaient semblant d’être amants. Le RP avait fait un boulot incroyable. On avait des articles dans plein de magazines, comme Paris Match, L’Express. Pour dormir, on avait un deal avec un hôtel près des Folies Bergères, on payait la chambre à 20 livres par nuit. Notre équipe de sécurité, c’était un Black et un Blanc avec leur Harley Davidson devant le club, c’était supercool. »

Christian Paulet

« Les Anglais amenaient le nom de la soirée et le concept. Ils s’occupaient de la promo. J’intervenais très peu en fait. Ils venaient avec des danseurs qui allaient donner l’impulsion aux soirées. Ces danseurs apportaient une folie colorée. Pour la première, un bus était venu spécialement de Londres, avec les danseurs, les amis des organisateurs, etc.. Pour la déco, ils avaient ramené des toiles qu’ils ont tendues sur les murs, avec des lions peints, des plantes. Il y avait aussi des filets de camouflage, des plantes en plastique. C’était l’esprit Jungle. »

DJ DRD, distributeur d’invitations

« Avec mon meilleur ami, on a rencontré la bande de Pure à Ibiza à l’été 1987, dont Colin Holsgrove. Ils nous ont passé des cassettes marquées “House” ou “Acid Funk”. Quelques mois plus tard, Colin nous a contactés pour nous annoncer qu’il organisait deux soirées à Paris, au Palace et au Rex Club. Colin logeait chez mon ami. Il n’était pas dépaysé, car la mère était Anglaise, elle faisait ses courses à Mark & Spencer ! On est venus à la première, et les orgas nous ont proposé de distribuer des cartons d’invitation et de réduction pour la soirée. J’avais 16 ans, et je faisais rentrer qui je voulais dans le club. En plus, les orgas étaient très généreux, ils offraient des verres à tout le monde. Le Rex est vite devenu ma deuxième maison. »

Un nouveau son 

Christian Paulet

« À l’époque, au fond du club, là où il y a la cabine DJ actuelle, il y avait la scène pour les concerts. Le Rex de l’époque avait encore sa petite salle au fond à droite, avec des coursives en hauteur. Cette partie sera amputée quelques années plus tard. La cabine était située juste après le grand bar sur la droite, orientée vers le dancefloor. Les DJ’s avaient cette nouvelle façon de mixer, au tempo. Ils insufflaient un nouveau rythme et dictaient une nouvelle façon de danser, avec plein de nouveaux mouvements. »

Colin Holsgrove, DJ résident de la Jungle

 « On était que deux DJ’s par soir. Avec Colin Faver, on se partageait les nuits, je faisais la première partie de la nuit et lui la seconde, ou l’inverse. Après, j’ai partagé les platines avec Laurent Garnier. »

Kevin Millins 

« Avec Laurent Garnier, la connexion s’est faite via New Order. J’étais très ami avec eux et j’étais le promoteur des concerts de Joy Division. Et comme Laurent jouait à l’Hacienda… Il venait toutes les semaines à la Jungle et il a fini par passer aux platines. Jungle, ça a toujours été la musique avant tout. C’était la première soirée acid house de Londres. Et ça a superbien marché à Paris, c’était très différent de tout ce qu’on entendait dans la ville à cette époque. »

Colin Holsgrove

« On savait qu’on apportait quelque chose de différent. À Londres, tout le monde dansait sur la même vieille musique, tous ces trucs commerciaux. Et quand la house est arrivée de Chicago, on l’a tout de suite jouée aux Jungle, une nouvelle vague est arrivée et a tout submergé. La musique commerciale est devenue ringarde. Pour moi, les clubs servent à jouer de la musique nouvelle. Si ça passe à la radio, tu ne devrais pas le jouer ! D’ailleurs, dès qu’un titre que je jouais passait à la radio, je le sortais de mon bac à disques. Tu n’avais plus besoin d’aller en club pour l’entendre. »

Christian Paulet

 « J’étais bluffé par le son. Par l’effet du son. Par la sensation de cette musique. Je ne connaissais aucun morceau, mais ce son acid house était une révolution ! À l’époque, je n’avais évidemment pas conscience de vivre un moment historique. Mais même avant la fin de la soirée, j’étais enthousiaste par le déroulement de cette première Jungle. En fait, dès l’ouverture des portes, car nous étions surpris qu’il y ait du monde. C’était un mardi soir ! Et cette musique était totalement nouvelle ! Les gens qui étaient venus étaient beaux, dans un esprit festif. À la fin de la soirée, je me suis dit : « Vivement mardi prochain ! » Ces soirées Jungle ont donné envie à plein de gens de sortir. »

Un nouveau clubbing

Romain BNO, DJ et clubbeur

« La clientèle des soirées Jungle était principalement composée de gays. Il y avait pas mal d’Anglais, et plutôt des personnes de 25-30 ans. Je m’en souviens, je n’avais que 18 ans à l’époque. Ils avaient des looks branchés, comme on disait à la fin des années 1980. Quelque chose d’assez délirant, à la Jean-Paul Gaultier. Avant à Paris, il n’y avait que les initiés arty et les VIP à la Thierry Ardisson qui allaient en club. Là, c’était le début d’un nouveau clubbing, le début d’un clubbing musical. Musicalement, les soirées Jungle faisaient découvrir l’acid house et la house, mais il y avait aussi dans mon souvenir des morceaux rare groove, de la vieille soul, du funk. À l’époque, je travaillais chez le disquaire Bonus Beat et Sal Russo, le patron, était aussi à la première soirée Jungle. Je crois que Didier Lestrade avait parlé des soirées Jungle dans Libération et Philippe Vandel avait écrit quelque chose dans Actuel . Radio Nova en avait également parlé. »

Manu Casana, pionnier de la rave française

« Au début, les soirées Jungle au Rex, c’était loin d’être plein. Il y avait 400 personnes grand maximum. Le public n’était pas encore très curieux. Le clubbing parisien était encore le clubbing branché des années Palace. Au Rex Club, il y avait pas mal d’Anglais et une ambiance comme les soirées que j’avais faites à Londres ou à Brighton. Il y avait beaucoup de gays, et une grande majorité de mecs. Les ecstas étaient de qualité et il n’y avait pas de barrière entre les clubbeurs. Tout le monde se parlait, se souriait. Ses soirées avaient un côté unificateur : on vivait une expérience nouvelle, tous ensemble. Cela allait au-delà de la musique. En club, normalement, les personnes se regardent, se toisent. Là, pas du tout. L’ambiance était décontractée, festive, un peu euphorique. Il se passait quelque chose de fort. Et moi, j’étais content d’entendre à Paris ces sons, ces musiques, que j’avais découverts en Angleterre. Les DJ, notamment Colin Faver, mixaient de la house américaine et de l’acid house anglaise. Avec aussi une touche de breakbeat que les Anglais ont toujours eue. Je me souviens notamment d’un moment épique, de communion sur le dancefloor, sur le Promised Land de Joe Smooth. »

DJ DRD

« Ça a démarré doucement, mais les gens étaient excentriques, il y avait une très bonne ambiance. L’organisation avait toujours le souci d’apporter un petit plus, avec des animations, de la décoration, des gogos danseurs qui venaient de Londres. Il y avait aussi un effort de décoration qui participait à l’ambiance de la soirée. Semaine après semaine, on voyait toujours les mêmes têtes, donc on avait l’impression d’être en famille, une petite secte. On avait l’impression de tous se connaître, il y avait une osmose. Les gens n’étaient pas centrés sur eux, on croisait Boy George, Jimmy Sommerville, des comédiens comme Jacques Villeret. Les deux tiers étaient gays, et l’autre tiers venait pour la musique, parce qu’on savait qu’on allait écouter des choses qu’on entendrait nulle part ailleurs, comme Fingers Inc. ou Humanoid. C’était un cercle d’initiés excentriques et après la première année, on a vu débarquer plein de gens qu’on n’avait pas l’habitude de voir. Ça annonçait ce qui allait arriver après, l’ère du clubbing plus massif. »

The end

Colin Holsgrove

« La soirée était devenue très populaire, comme celle du Palace. Laurent Garnier avait pris le relais, et on me proposait des gigs à Londres, qui payaient mieux, à dire vrai (rire). C’était le moment de passer à autre chose. Mais c’était de super souvenirs, j’ai toujours les flyers chez moi. Vu que je ne suis jamais retourné au Rex, je n’ai jamais réalisé les conséquences que cette soirée avait eues sur le club, mais maintenant, je comprends mieux ! »

Kevin Millins

« Ça a duré presque deux ans. À ce moment-là, je prenais l’avion deux fois par semaine, le mardi pour Pyramid au Palace et le vendredi pour Jungle au Rex (les soirées étaient passées le week-end, ndlr). Je passais donc plus de temps à Paris qu’à Londres et j’étais épuisé, même si j’adorais ça. C’était donc la raison principale. Et puis la soirée avait suivi son cours, on avait fait ce qu’on avait à faire. Pyramid et Jungle étaient devenues des soirées incroyables, avec une réputation fabuleuse. J’ai toujours arrêté mes soirées avant qu’elles ne déclinent. C’est toujours mieux d’arrêter quand on est au sommet, comme ça, les gens en parlent après, sinon, ça meurt lentement. Je n’étais même pas à la dernière soirée. Je m’en souviens, j’étais à la Pyramid au Palace un mardi et j’ai regardé Barbara et je lui ai dit : “On ferme cette semaine, je ne veux plus continuer.” Je suis rentré chez moi et je ne me suis jamais retourné. »

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