Casa93 : L’école de mode gratuite et responsable qui rebat les cartes de la création de demain

Écrit par Isma Le Dantec
Photo de couverture : ©Eric Garault
Le 09.12.2021, à 16h39
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©Eric Garault
Écrit par Isma Le Dantec
Photo de couverture : ©Eric Garault
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Au cœur de la Seine-Saint-Denis, Casa93 est une école de mode pas comme les autres. Se donnant pour mission de rendre le milieu de la mode accessible à de jeunes talents, à qui un système élitiste et codifié aurait fermé la porte, cette formation renverse la contrainte financière et fait de l’upcycling son fer de lance.

« Pas de profs, pas d‘élèves, pas de notes. La Casa93 est une formation de vie qui aide à apprendre à vivre. Elle n‘apprend pas quoi penser, mais comment penser, elle enseigne à chacun à être son propre maître. » Ainsi se présente cette atypique école de mode montreuilloise, accessible gratuitement, sans condition de diplôme. Seuls critères d‘entrée : avoir entre 18 et 25 ans et être créatifs. La créativité est donc le maître-mot de la fondatrice de l‘école, Nadine Gonzales. Ancienne journaliste de mode, elle donne chaque année une chance à une vingtaine de jeunes, parfois issus de quartiers prioritaires, peinant souvent à trouver leur place entre les murs rigides du système académique, qui n’osent pas ou plus rêver de se frayer une place dans la mode.

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Des favelas au 93

L’aventure commence en 2005, dans les favelas de Rio. Nadine a un coup de foudre pour le Brésil et plaque tout pour s’y installer et développer un savoir-faire dans la mode au sein des favelas. D’abord avec l’association ModaFusion qui travaille avec les femmes, puis au début des années 2010 avec l’établissement de la Casa Geraçao, première “école de mode” dédiée aux enfants et adolescents des quartiers difficiles de Rio. Un parcours compliqué mais couronné de succès, avec défilés à la Fashion Week de São Paulo à la clé. Après les attentats de 2015, Nadine ressent le besoin de rejoindre la France, afin d’y dupliquer son projet. Très vite, le 93 s’impose comme un choix évident : « C’est le département le plus jeune de France, le plus métissé aussi, avec plus de 150 nationalités recensées, mais qui détient aussi le plus faible taux de scolarisation et le record de chômage », explique la directrice. Là encore, c’est un succès. Alors que la cinquième promotion vient de faire sa rentrée, l’une des collections créées par la précédente s’expose, tantôt dans les prestigieuses Galeries Lafayette, tantôt dans les hangars de festivals alternatifs. Là encore, c’est un défi : « L’année dernière, on a eu trois élèves qui n’avaient jamais dessiné de leur vie, quatre qui n’avaient jamais touché à une machine à coudre. Ce sont des talents bruts qui ont besoin d‘être accompagnés », témoigne René Boulais, ancien étudiant désormais assistant de communication à Casa93.

De Rio à Paris, cette école associative mêle avec brio enjeux sociaux et écologiques en faisant d’une contrainte économique son fer de lance pour faire bouger les lignes. Puisque les étudiants ne déboursent pas un centime pour rejoindre les bancs de la Casa et que celle-ci ne dispose que peu de subventions, l‘achat de matériaux pourrait restreindre le déploiement des créativités. Que nenni : l’école a fait de l’upcycling, ou “surcyclage” (action de récupérer des matériaux et produits usagés pour en faire une pièce inédite) sa spécialité. Ainsi, toutes les pièces sont fabriquées à partir de matériaux glanés, des surplus de grandes marques aux vieux rideaux trouvés chez mémé.

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Réinventer le modèle de la mode

En faisant entrer dans la mode des jeunes issus de milieux sociaux diversifiés, en prouvant que la création de vêtements ne perd rien à s’extraire d’un système de surconsommation, Casa93 fait exploser tous les carcans. Si le modèle ultra-consumériste de la mode est souvent dénoncé, si les préoccupations environnementales et éthiques entrent dans les conscience, la possibilité de créer des vêtements en réinventant l’existant plutôt qu’en puisant encore dans les ressources de la planète semble tout avoir de l’alternative évidente. Et pourtant, Casa93 est à ce jour la seule formation de France qui propose d’en expérimenter les usages. « Avant, je rêvais d’avoir ma marque. Mais depuis que je suis à Casa93, je me questionne. Faire de la mode à 100% éthique, c’est compliqué. Je me dis qu’une des solutions, c’est de produire moins, de créer des vêtements avec de l’upcycling, Je sens qu’on a un rôle à jouer collectivement », confirme Noémie Lalaire, de la quatrième promotion.

Durant leur parcours, les étudiants suivent un module “Mode responsable” et ont dans ce cadre participé au Festival des autres modes, à la Cité Fertile de Pantin, où ils animaient eux-mêmes un atelier de réparation à partir de l’upcycling à destination du grand public. Ils y exposaient également leur dernière collection collective, 10 looks créés à partir d‘invendus de La Redoute. « Chaque année, ils listent leur besoin et nous leur fournissons une cinquantaine de pièces. Ils viennent à La Redoute, découvrent les locaux et rencontrent les équipes », explique Sylvette Leperse, chargée du partenariat au sein de La Redoute. Une doudoune devient alors pantalon XXL, un sac à dos se transforme en crop top, le tout dans une ambiance feutrée de fête de famille, que leur a inspiré l‘imaginaire de la marque. 

Ce n’est pas nous qui leur ouvrons la porte : ils la forcent. Ce sont des gens comme ça qui vont faire changer les choses.

Sylvette Lepers, La Redoute

Bourrés de talents, les jeunes de Casa93 créent sous contrainte, surprennent et chamboulent. « Ces grandes marques leurs servent de laboratoire, et comme nos jeunes sont engagés de nature, ils déstabilisent le milieu. Si ces collaborations sont des atouts pour nos étudiants, ce sont surtout eux qui éduquent les marques, pas l’inverse », atteste Nadine Gonzales. Un propos que corrobore Sylvette Lepers : « Ils ne sont pas dans le sérail tout tracé de la mode, ils n’ont pas les codes de ce milieu fermé. Avec leur franc parler, leurs looks démentiels… Ce n’est pas nous qui leur ouvrons la porte : ils la forcent, il n’ont pas peur de l‘échec car ils en ont déjà vécu, ils croient en eux car sinon personne ne le fait. Ce sont des gens comme ça qui vont faire changer les choses, et qui changent déjà les choses ». Et tandis que la cinquième cuvée fait ses armes, les quelque 100 étudiants sortis des précédentes promotions disséminent déjà leur talent chez les plus grands, avec une audace qui laisse croire qu’une autre mode est possible.

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