Qu’est ce qu’un souvenir, sinon la mémoire ressentie par l’ensemble de nos sens à un moment donné et incessamment – aussi inconsciemment — réinterprété par l’individu qui évolue, lui aussi, sans cesse ? C’est justement la force des sensations éprouvées sur le moment qui va déterminer la longévité et la clarté du souvenir. Se souvenir est un processus pluriel, organisé par différents modes : la mémoire sémantique, épisodique et cognitive.
Selon une étude réalisée par des chercheurs de Harvard, les réseaux sociaux auraient un impact direct sur nos processus de mémoire et notre cognition sociale, c’est-à-dire notre capacité à créer des interactions sociales. En effet, nombreux se rendent à des événements dans le but d’immortaliser l’activité par le biais des réseaux, plus que pour l’évènement lui-même. C’est d’ailleurs pour cela qu’un nombre croissant d’artistes décident d’interdir l’utilisation de téléphones pendant des concerts. On prend des photos pour se souvenir, mais le résultat occasionné est contraire : on oublie le véritable souvenir, car la matière est insuffisante.
Alors, l’image prend le pas sur réel et le besoin de reconnaissance dépasse celui la volonté de vivre dans le moment. John R. Suler, professeur de psychologie explique : « Quand nous partageons des photos, nous espérons que les autres vont valider les aspects de notre personnalité que nous avons intégrés à ces images. Le fait de savoir que d’autres vont voir la photo partagée lui confère un plus grand pouvoir émotionnel, tandis que leurs commentaires lui donnent plus de poids ». Autre problème créé par la “marketisation” de soi et son lifestyle est celui de la concentration, c’est-à-dire, la capacité à ralentir.
Constamment s’extirper de la réalité pour poster ou scroller est un réflexe de plus en plus commun et normalisé alors qu’il détruit à petit feu la capacité de s’immerger dans un travail, un projet ou une situation vécue. La lecture qui nécessite une attitude de concentration et de réflexion dans la durée en est bon exemple. Enfin, comme le souligne le photographe Aaron Rickets, il faudrait aborder le réflexe de documentation de sa vie sur les réseaux avec parcimonie, nous rappelant que ce geste peut avoir un impact sur le souvenir lui-même, lui faisant perdre son essence. Ainsi, c’est la réalité, qu’il faudrait favoriser, et non son image.
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