Par Maxime Jacob. Propos recueillis par Jean-Paul Deniaud.
Avec son treillis militaire et sont marcel kaki, l’homme pourrait passer pour un festivalier psytrance. Seulement, il fait en réalité partie de la poignée de militaires panaméens dépêchés sur le site du festival Tribal Gathering pour faire respecter les mesures de quarantaines décidées en raison de l’épidémie de coronavirus. Fusil d’assault à la main, il hurle des ordres destinés aux festivaliers occidentaux, arrivés au Panama le 29 février pour une parenthèse psytrance. Ce qui devait être une expérience paradisiaque s’est transformé en enfer vert : plage de sable fin, mer turquoise mais aussi distanciation sociale, rationnement des vivres et coups de pression diplomatiques.
Les images insolites et terribles sont extraites d’un reportage filmé par Amir Weiss pour Vice. Le caméraman qui couvrait le festival Trbial Gathering a filmé le moment où tout a basculé : la fin du festival et les premières annonces de confinement, l’aggravation de la situation puis la détention sous les palmiers. Alors que beaucoup de festivaliers angoissés ont patiemment attendu le moment où leur retour serait possible, Amir Weiss filme également un groupe de touristes qui a décidé de vivre l’expérience pleinement. Une vingtaine de personnes qui ne souhaite finalement pas quitter la quarantaine panaméenne pour retrouver leur vie d’avant. Ces festivaliers, les derniers de leur genre sur Terre, sont encore sur les lieux. Alors qu’Amir Weiss est toujours sur place, plus de deux mois après le début du festival, nous l’avons joint par téléphone pour évoquer la situation actuelle et le tournage de son film.
La vidéo montre comment la situation est devenue de plus en plus stressante pour le public sur place. Comment l’avez-vous vécu ?
La vidéo ne retrace pas vraiment les choses dans l’ordre. En réalité, les premiers malades qui ont été enregistrés au Panama l’ont été le 12. Au 12e jour du festival, sur la plage, avec peu de réseau téléphonique, personne ne pensait au virus. Tout le monde était déconnecté, c’est le but même du festival. Le 14, le gouvernement est arrivé pour arrêter la musique. Mais, ce n’était pas très clair. Personne ne s’est décidé à partir à ce moment-là, d’autant que les vols de la plupart du public étaient prévus pour la fin du festival. Lorsqu’il fut temps de partir, tout semblait donc ok. Là, de nombreuses informations ont commencé à circuler. Il fallait d’abord être testé avant de partir. Certains sont partis. Mais l’après-midi, les règles ont changé : personne ne pouvait partir, et un couvre-feu nocturne a été instauré. Certains étaient venus pour deux jours comme les DJs, d’autres avaient des vols, un chien à la maison, un travail, de la famille, mais ne pouvaient partir. Puis de nouvelles informations ont été transmises, et d’autres venaient les contredire. L’incertitude créée a été très contagieuse, plus contagieuse que le corona. Dans un grand groupe, même si l’on est particulièrement calme, cela rend tout le monde fou.
Comment les fêtards après tous ces jours de festivals, de drogue parfois, ont fait face à cette situation très réelle ?
La plupart des gens dont je connais la consommation de drogue ont en fait été bien plus relax que les gens “normaux” ! Toutefois, la plupart des gens ici ne consommaient pas. Ce n’est pas l’esprit du festival, et surtout ils sont des habitués de ces festivals. Par contre, les gens qui n’ont pas l’habitude de voyager, ou qui viennent d’une culture très occidentale, comme les Américains, et un peu les Allemands aussi, ont été un peu plus dramatiques et stressés que les autres. Ils étaient très cool, et lorsque cela a commencé à être plus sérieux, ils ont switché et ont souhaité partir au plus vite.
Pourquoi êtes-vous encore là-bas ?
Pour plusieurs raisons. Nos mouvements sont encore très limités. Beaucoup ont essayé d’avoir leur avion et se sont retrouvés bloqués à Panama City, qui n’est pas le meilleur endroit pour être confiné. Certains se sont retrouvés sur les routes pendant 10 heures avant d’être ramenés ici. Je n’avais pas envie d’être à l’extérieur avec tout ce qui se passe alors que nous avons un safe space ici. Et bien sûr, j’aide ici, j’ai documenté la situation, c’est aussi mon boulot.
Comment avez-vous tourné ce film ?
Je suis un traveller, un nomade, originaire d’Israël. J’ai 38 ans, et je fais des festivals partout dans le monde depuis 7 ans en tant que photographe. C’est ma 3ème fois au Tribal Gathering, je suis très connecté au festival et à cet organisateur. Je suis venu au Panama pour documenter ce festival. Lorsque c’est devenu un peu plus compliqué ici, j’ai décidé de rester. Deux semaines après le début de la quarantaine, nous avons essayé de prendre contact avec l’extérieur, pour montrer que nous étions encore là, qu’il y avait un problème, et que certains d’entre nous n’avaient reçu aucune aide pour sortir d’ici. Les ambassades ont réagi très différemment selon les pays. Nous avons alors contacté plusieurs médias pour appeler à l’aide et sortir cette histoire. Plusieurs articles dans le Guardian, la BBC, sont sortis, mais ils n’étaient pas vraiment exacts. J’avais beaucoup de matière, donc j’ai commencé à travailler avec Vice. Plusieurs éléments ont malheureusement été sortis de leur contexte au montage. Ce festival est unique, il existe depuis longtemps. Il dresse de nombreux ponts entre les arts et les cultures indigènes locales. Ils font un super travail. La vidéo semble montrer que ce n’est qu’un festival de hippies, mais la plupart des gens sont d’abord des fans de musique, des gens qui bossent pour le festival, et surtout une grande partie du public travaille auprès des indigènes, pour l’apprentissage de la lecture, et diverses actions sociales.
Aujourd’hui, où en est la situation ?
Nous sommes environ 40. Des gens partent tous les jours. Mais ils ne peuvent pas quitter le Panama en raison des régulations. Il y aura peut-être des vols humanitaires pour les rapatriements après le 11, mais c’est difficile d’en être sûr car nombreux vont être ceux qui voudront s’en aller. J’ai une très bonne amie qui travaillait ici a essayé de partir le 17 avril. Elle est désormais bloquée en quarantaine dans une maison à 5 minutes d’ici avec d’autres groupes. Je n’ai pas pu aller la voir depuis lors parce que nous sommes aussi en quarantaine. Ils n’ont pas pu avoir de vol de retour, ils ont essayé de passer au Costa Rica mais la frontière est fermée… C’est compliqué.
Quel est l’état d’esprit général ?
La plupart des gens sont assez relax maintenant. Le festival est géré par des Britanniques, et la plupart d’entre eux qui étaient énervés par la situation ont décidé de prendre une maison à une heure d’ici pour régler les choses de là-bas. Il y a une fête tous les week-ends. Le premier mois, il y avait de la musique quasiment tous les jours. Il restait quelques petites scènes où les gens jouaient. Tout le monde va bien, mais aussi un peu préoccupé parce que la mousson arrive. Les tentes doivent être déplacées pour ne pas être détruites par les inondations et la montée des eaux. Nous devons donc déplacer tout le monde en haut d’une colline à 5 minutes d’ici. On sera aussi plus serrés qu’ici mais ils ont construit des petites huttes pour nous héberger.
Comment faites-vous pour manger, pour payer ce qu’il vous faut ?
Les organisateurs et l’équipe prennent soin de tout le monde, font le marché, la cuisine. Nous ne manquons de rien. Le festival a commencé à donner la nourriture au début, mais cela n’a pu tenir plus de 2 ou 3 semaines. Désormais, tout le monde paie pour sa nourriture. Certains travaillent pour le site en échange du gîte et du souper.
Pourriez-vous partir si vous le souhaitiez ?
Si je le voulais vraiment, ce serait possible. Mais ce serait sans savoir vers où et ce que je trouverai là-bas. Dans une maison, ou un Airbnb, on serait toujours confiné, et ce serait difficile de trouver à manger. La ville est confinée. Pour quitter le pays, il faudrait un vol humanitaire. Et s’il faut prendre trois ou quatre vols pour revenir, et que l’on attrape le virus sur la route pour rejoindre un endroit en sécurité, quel est l’intérêt ?