Keith Haring aurait sans doute adoré BOZAR, ce palais Art déco bruxellois à la programmation hybride, qui accueille sans discrimination expos, concerts, pièces de théâtre, projections de films et soirées clubbing. Un mélange des arts dans l’esprit de l’Américain, qui vécut une décennie fulgurante – les 80’s – entre peinture, graffiti, mode, littérature, danse et musique. Un bouillonnement créatif dont le lieu culturel donne un aperçu thématique, qui permet de rendre compte de la pluralité de l’œuvre d’Haring, un artiste qui marchait en permanence à l’affect. « Un parcours chronologique classique n’aurait pas eu de sens », explique Alberta Sessa, coordinatrice de l’événement. « L’idée de base était de retracer son parcours personnel et artistique, parce que les deux aspects sont intimement liés. L’expo est donc rythmée par les différents événements de sa vie, les plus forts par rapport aux thèmes de ses dessins et peintures ».
D’entrée, BOZAR assène la devise de Keith Haring, peut-être celui qui a le plus contribué à la démocratisation de l’art, via un immense lettrage sur le mur “Art is for everybody”, donnant le ton d’une exposition qui se veut ouverte à tous. En attestent les files de collégiens aux yeux curieux ou ces gamins qui dansent et dessinent sans complexe devant un dessin de Mickey Mouse, extrait des “early works” d’un Haring dont la vocation est née des premiers dessins animés et de la lecture des comics strips des journaux américains.
Activisme
D’une alcôve à proximité s’échappent les guitares de Devo (“Uncontrollable Urge”), rythmant une vidéo où l’on voit Keith Haring au travail sur une grande bâche, quasiment dansant. Voici une approche performative de la peinture qu’il a développée à force de dessiner des danseurs de break – et d’aller guincher tous les week-ends en club. « C’est quelque chose qu’il a commencé très tôt dans son atelier. Il maîtrise depuis très jeune ce mouvement du bras et c’est devenu presque de la chorégraphie. Haring a engagé son corps tout entier dans son travail au sol, et par la suite, il ne lâchera jamais ce côté physique en allant travailler dans le métro, avec une craie dans sa poche, ou faire des fresques murales avec des gamins des quartiers populaires. »
Inspiré par les mouvements Fluxus et CoBrA, Haring s’évertuera tout au long de sa carrière à rester proche des gens, en donnant à l’art une dimension sociale inclusive, et en ne bridant jamais sa sensibilité exacerbée. Haring réagit à tout ce qui le touche, et BOZAR consacre logiquement une grande partie de l’expo à son activisme visuel. On y retrouve notamment ses toiles anti-apartheid, comme celle, immense, sur laquelle figure un petit bonhomme blanc tentant d’attraper au lasso un grand bonhomme noir. Ces productions ont oeuvré à la sensibilisation de l’opinion publique à la cause de Nelson Mandela – lequel sera libéré de prison le 11 février 1990, cinq jours avant la mort de Keith Haring. L’artiste se mobilise également contre la menace nucléaire et les guerres américaines aux quatre coins du globe, et crée ses propres affiches qu’il distribue lui-même, comme le Poster for Nuclear Disarmament, tiré à 20 000 exemplaires à l’occasion d’une manifestation massive le 12 juin 1982 à Central Park. Quatre ans plus tard, l’artiste sera invité à peindre sur la partie occidentale du mur de Berlin, une fresque aux couleurs ouest et est-allemandes, décrite comme “une tentative de détruire psychologiquement le mur”.
Nightclubbing
Mais Keith Haring, c’était aussi – et surtout – la nuit, avec une large partie consacrée au Club 57, installé dans la cave d’une église de l’East Village, où il côtoya Futura 2000, Kenny Scharf, Klaus Nomi ou Jean-Michel Basquiat. Plusieurs flyers photocopiés mêlant collages, dessins à l’encre et au marqueur témoignent du programme hallucinant de ces nuits underground new-yorkaises. Haring y organisait des performances vidéo et audio de 12 heures d’affilée, entre sessions de “poetry performances”, pièces de théâtre, shows érotiques, lives burlesques et DJ sets. L’expo se termine d’ailleurs sur le groove disco du Let’s Do It de Convention (probablement joué par Larry Levan au Paradise Garage, club auquel Keith Haring vouait un amour infini). Il ponctue un parcours d’une richesse et d’une intensité rare, comme un symbole de la carrière foudroyante de l’artiste américain. « Si on regarde l’échelle de vie artistique de Keith Haring, c’est très court », conclut Alberta Sessa. « Douze ans de production artistique, mais neuf ans de reconnaissance seulement. Et pourtant, très peu d’artistes ont autant incarné l’esprit de leur temps ».
L’exposition sur Keith Haring se poursuit au BOZAR de Bruxelles jusqu’au 19 avril 2020. Toutes les informations sont à retrouver sur le site Internet de BOZAR Bruxelles.