Bruxelles : Comment le Listen! Festival a fédéré les deux Belgique autour des musiques électroniques

Écrit par Thémis Belkhadra
Photo de couverture : ©D.R
Le 06.05.2019, à 10h51
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Écrit par Thémis Belkhadra
Photo de couverture : ©D.R
Chaque année un peu plus sous l’œil des radars, Bruxelles célébrait sa scène électronique en avril dernier sous la bannière du Listen! Festival. Itinérant, ambitieux et exigeant, l’événement se donnait pour mission de rassembler toutes les forces de l’underground belge et rendre compte de son potentiel. Fruit d’une coopération exemplaire entre les différents acteurs locaux, le Listen! Festival illustrait surtout l’infini de possibilités que représente aujourd’hui la ville de Bruxelles.


L’association des deux Belgique

Installé pour la quatrième année consécutive au cœur de Bruxelles, le Listen! Festival est né de l’union entre deux acteurs de la techno belge, actifs depuis les années 90. À l’époque, Dirk De Ruyck se cache derrière les soirées Eskimo, exportées plus tard au Culture Club de Gand, dont 2manydjs étaient résidents. Quelques années après, il fonde un label éponyme qui devient mythique. Nicolas Bucci, co-fondateur de Kiosk Radio et membre de l’équipe du Listen!, se souvient : « Eskimo Recordings a eu un impact bien au-delà des frontières belges puisque moi aussi, adolescent en Italie, je me passais leurs disques en boucle. Dirk était un visionnaire, les anonymes qu’il a signés sont devenus des artistes majeurs quelques années plus tard ». Lorenzo Serra, le second fondateur, a commencé son aventure techno avec les résidences Dirty Dancing au Mirano. « Au début des années 2000, c’étaient les soirées les plus populaires de Bruxelles, reprend Nicolas. Lorenzo était le premier à booker Erol Alkan, The Magician, Paul Kalkbrenner ou DJ Hell dans la capitale… »

Les deux hommes se rencontrent plus tard et décident d’allier leurs forces. Ils mettent en commun leurs goûts, leurs expériences et leurs réseaux respectifs pour fonder les soirées Libertine Supersport. Naturellement, leur duo devient un emblème de l’underground belge. « Dirk est Flamand et Lorenzo est Wallon, nous renseigne Nicolas. Le fait qu’ils aient décidé de lancer ensemble Libertine Supersport, puis le Listen! Festival, permet aux deux cultures belges de coexister sur le dancefloor. Par ailleurs, leur présence sur la scène à travers toutes ces années confirme leur engagement et leur statut de pionniers en Belgique. »


© Nachtschaduw

En quatre ans, le Listen! Festival s’est développé de manière exponentielle. Pourtant, en 2016, alors qu’il s’apprête à ouvrir sa première édition, le festival est dangereusement menacé. « Une semaine avant le coup d’envoi, un attentat a touché Bruxelles, rappelle Nicolas. La police et les militaires étaient déployés dans toute la ville. En coulisses, on parlait d’annuler le festival… » La ville donnera néanmoins le feu vert et le festival se déroulera sans encombre. Aujourd’hui, il est devenu un immanquable de l’agenda bruxellois grâce à ses deux grandes forces : une programmation exigeante et son armada de soirées parallèles qui mobilisent les collectifs locaux à connaître.

Tout pour Bruxelles

Le festival se construisait donc autour d’un événement central où des artistes en ascension croisaient des noms légendaires et des signatures plus secrètes. Comme son nom le laisse entendre, le Listen! propose une expérience tournée vers l’écoute. « La programmation du festival est motivée par notre envie de balayer les genres et de faire découvrir un maximum de nouvelles sonorités », affirme Nicolas qui participait avec Dirk et Lorenzo à l’élaboration du line-up. Ainsi, Jeff Mills ouvrait le bal accompagné de Tony Allen. Puis, entre les quatre scènes du festival, c’est la techno avant-gardiste d’Avalon Emerson qui croisait le jazz de Kamaal Williams ou la house de old-school de FunkinEven et MCDE. Figure montante en Belgique, Lefto aura proposé sur deux scènes des sets musclés mariant toutes ses influences house, techno, trap et électro. On gardera aussi en mémoire le set obscur d’Helena Hauff et ceux plus solaires de Giuseppe Leonardi ou de l’artiste belge Le Motel. Connu pour ses collaborations avec Romeo Elvis, le beatmaker révélait ses talents de DJ avec un set varié entre house tropicale et afrotrap. Déjà riche et exhaustive, cette programmation s’ajoutait à un ensemble d’événements parallèles, d’ateliers et de conférences.


© Nachtschaduw

« Depuis la première édition du festival, nous démarrons par une journée d’événements dédiés aux collectifs belges. Il nous semble important que l’événement principal, la visibilité et les revenus qu’il génère servent l’underground local. Tout le programme du jeudi soir est donc proposé en entrée libre ». Cette année, le Listen! invitait ainsi 7 labels et collectifs à investir les berges du canal où se succèdent clubs, musées et salle de spectacle. Au Kanal – l’antenne bruxelloise du Centre Pompidou –, les labels We Play House et Play Label réunissaient plus d’un millier de personnes. Au Bonnefooi – un bar surtout connu pour ses afters – les labels Kalahari Oyster Cult et Le Pacifique proposaient une odyssée house vibrante. Nicolas précise : « Comme la programmation initiale, cette sélection de collectifs est motivée par une recherche de fraîcheur. On veut mettre en avant les collectifs qui nous semblent être les plus prolifiques et pointus, ceux qui s’investissent sur des projets qualitatifs ». Le circuit nous menait ensuite au ViaVia, au Kumiko et Chez Jacques mais c’est à LaVallée que l’on s’attardera le plus longtemps, aux côtés du collectif Les Actionnaires.

Découverte inattendue, LaVallée est une salle alternative nichée dans le quartier de Molenbeek. Ouverte il y a deux ans, elle incarne une initiative sociale et artistique inédite. Alors qu’on y pousse la porte d’entrée, le mélange de techno, d’œuvres d’arts sauvages et d’une légère odeur de bière rappelle l’atmosphère des plus beaux squats parisiens. Fête, créativité, liberté… À la différence que LaVallée, elle, est un espace de 2 800 m², un musée et une salle de concert dans lequel les propriétaires – la coopérative SMART – aura investi près d’un million d’euros. Aujourd’hui, le lieu accueille et accompagne 150 artistes internationaux dans leurs projets. Sa scène et ses salles d’expositions sont à la disposition des artistes et des collectifs locaux, qui trouvent à LaVallée le soutien nécessaire pour transgresser les règles et concevoir de nouvelles idées.


© Daniil Lavrovski

Si le projet étonne, sa localisation à Molenbeek également. « Avant l’attaque de l’aéroport de Zaventem, il y a eu le Stade de France à Paris. Le point commun entre ces deux événements, c’est que certains des terroristes venaient de Molenbeek. La commune en a énormément souffert, que ce soit à cause de la présence policière ou du traitement médiatique ». Après une période difficile, le quartier de Molenbeek trouve un nouveau souffle dans la multiplication des initiatives culturelles qui s’y développent. Pour l’équipe du Listen!, « le festival devait passer par LaVallée. On avait vraiment envie que les gens viennent à Molenbeek, qu’ils voient le quartier de leurs propres yeux et en gardent un bon souvenir. »

Ville de fête

S’il y a bien une chose qu’illustrait parfaitement le Listen! Festival, c’est à quel point la politique belge se différencie du désintérêt français en matière de culture nocturne. À Bruxelles, le pari d’une coopération entre pouvoirs publics et promoteurs de musiques électroniques est un ingrédient clé. « Ici, tout le monde a saisi le potentiel que représentent les musiques électroniques, reprend Nicolas. Les pouvoirs publics croient au tourisme et voient dans la culture techno une chance d’attirer plus de visiteurs étrangers. Ils n’ont jamais hésité à venir voir nos événements et ont fini par croire en notre travail à tous. »

Ainsi, le Listen! Festival, s’est attiré les bonnes faveurs de la Ville de Bruxelles. Un investissement qui paie puisque l’événement attire plusieurs milliers de visiteurs étrangers. « Nous avons reçu des Français mais aussi des Allemands, des Néerlandais et des Britanniques. Bruxelles occupe une place centrale en Europe et je crois que de plus en plus de festivaliers réalisent son attrait. Les prix sont moins élevés qu’aux alentours, la ville a beaucoup de charme et les gens sont vraiment géniaux. C’est un paradis pour des jeunes qui aiment faire la fête. »

Grâce à ce partenariat, le Listen! aura bénéficié de toutes les autorisations nécessaires pour installer ses quatre scènes dans l’une des entrées de la Gare Centrale de Bruxelles, à deux pas de la Grand-Place. Quatre scènes, plusieurs dizaines de kilowatts et une pluie de décibels jusqu’au lundi matin. « Lundi, à 10h, l’entrée de la gare était de nouveau accessible, confirme Nicolas. La scène du Tunnel était rouverte et les gens pouvaient accéder aux quais. » Si un projet similaire avait eu lieu à la Gare Saint-Lazare en 2016, la mise à disposition de tels lieux dans le cadre d’événements festifs reste exceptionnelle à Paris. C’est cette simplicité des relations entre promoteurs et pouvoirs publics qui étonne à Bruxelles. Abandonnant leurs stéréotypes, les deux parties dialoguent et la coopération porte ses fruits.


© wallisannika.com

Bruxelles aura donc vibré à haute fréquence et sans coupure du jeudi 17 au lundi 21 avril. Sur ces quatre jours de festivités, l’énergie atteindra son point culminant dans les bras des collectifs Speck et Gay Haze – parrains respectifs des scènes LGBT+ flamande et wallonne. Fondé par le duo d’un promoteur flamand et d’un autre wallon, le Listen! incarnait dans son ADN la contradiction des thèses opposant les deux communautés belges. Non content d’affirmer que la collaboration et la mise en commun des identités puisse exister, le Listen! Festival prouve qu’elle peut déplacer des montagnes. Et, à mesure que le festival grandit, porté par ses soutiens, c’est Bruxelles qui s’affirme comme une capitale européenne qui n’a résolument pas peur de faire la fête.

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