Par Louise Vanoni
Promenades nocturnes et underground
Les jeunes créateurs venant des nuits grises bercées par la saveur des bières brunes s’immisce dans les nuits chaleureuses méditerranéennes. Les artistes présentés à l’exposition SIGNAL, curatée par Aurélie Faure et Lola Meotti, sont tous passés par Bruxelles et s’inspirent de ses multiples et frénétiques cultures pour produire des pièces marquées par un territoire cosmopolite. David Brognon, en duo avec Stéphanie Rollin depuis 2011, a une relation très particulière à la ville : « Membre actif d’un crew de graffiti depuis quinze ans, j’arpente la ville de nuit, je peins des trains, je traîne sur les bancs bruxellois avec des Pils… c’est le côté mélancolique de la ville qui m’anime, rencontrer des gens improbables à des heures improbables. Ce qui se passe la nuit peut être magique, et ça influence nos productions » . Tous les artistes ont un rapport puissant à la nuit, tant par son caractère festif et électrique que calme et hors du temps. Pour Claire Williams, étudiante à la Cambre puis au Fresnoy, « la musique m’a amenée vers des choses très physiques, elle m’a permise d’être dans la matière, avec des machines qui vont produire des sons, de la matérialité… Il y a beaucoup de gens qui vont dans ce sens, avec le retour du synthé modulaire par exemple ». Les lieux qu’elle fréquente à Bruxelles sont à mi-chemin entre des espaces de créations, des squats et des ateliers comme le Café Central, le HS63 ou Constant, « associations sans but lucratif d’artistes autogérés active dans les domaines de l’art, des médias et de la technologie […] qui prend pour point de départ le féminisme, le copyleft et les logiciels Open Source. »
Dans le sillon de la créativité belge
Au-delà de la nuit, c’est la ville qui détermine les productions des artistes exposés à la Friche la Belle de Mai. Doctorante à l’ALBA, Anna Raimondo est marquée par l’interculturalité qui fait la magie de Bruxelles. L’artiste italienne est fascinée par ce territoire stimulant et ses multiples langues, qui permettent de voyager d’un trottoir à l’autre. « J’adore me balader la nuit à Bruxelles. Les bruits de la ville me nourrissent ; mes créations sont le fruits d’un travail de composition inspirés de la musique répétitive à la Terry Riley et des styles minimalistes et polyphoniques ». Les rencontres, les échanges : autant de bouillonnement qui sont la genèse des œuvres du duo d’artistes Brognon & Rollin. Pour SIGNAL, ils présentent My heart could still, œuvre en néon du tracé d’une ligne de cœur prise sur la main droite d’un homme marié de force. « Les lignes de la main ont une vraie puissance de destinée, c’est un médium poétique, on va chercher dans le vrai en parlant à des gens qu’on rencontre dans la rue, des détenus, des toxicomanes. » Tirée de la série Fate will tear us appart, en hommage à la new-wave de Joy Division , la pièce de Brognon & Rollin relate des interactions humaines qui ont lieu dans cette capitale grâce au fameux « compromis à la Belge », qui permet à chacun d’avancer dans la même direction.
Bricoleurs du sonore
L’énergie dégagée par les nuits froides et festives belges s’immisce dans le travail de Claire Williams, qui met en valeur le processus collectif de recherche et expérimente avec toutes sortes d’outils. Zoryas, pièce hybride présenté à Marseille, est composé de formes tissées de plasma qui pulsent au rythme de l’activité électromagnétique du soleil. Les deux coudes posés sur le disque plat qui entoure ces méduses emplies de gaz, on entend l’étonnante l’activité intérieur de notre corps. De la musique expérimentale aux pulsations du cœur, il n’y a qu’un pas.
Comme un chemin vers l’expérimental, la liaison entre les œuvres présentées à SIGNAL est non linéaire, sinusoïdale. Travaillant également avec les sons comme matière première, Anna Raimondo réactive une performance de 2013 où elle se balade dans Londres, casque sur les oreilles, dans lequel se joue une composition sonore d’orgasmes féminins venant de films pornos « avec un potentiel mélodique assez important. Je pars de sons contagieux pour contaminer à ma manière l’espace autour de moi ». Une œuvre présentée comme un film, qui interroge effrontément la place de la femme et son intimité dans l’espace public. Oscillant entre plusieurs pratiques, l’artiste fréquente à Bruxelles autant Q-O2, espace de recherche et d’expérimentation sonore, que Nadine, « pépinière créatives d’artistes avec approches très différentes qui sont amenés à se confronter ».
Pour découvrir le travail de ces bricoleurs du son et autres créatifs nocturnes, exposés aux côtés de Julien Maire, Emmanuel Van Der Auwera ou les Mountaincutters, rendez-vous à la Friche la Belle de Mai à Marseille du 14 mars au 10 mai 2020. Toutes les informations sont à retrouver sur le site Internet de la friche.