Brice Coudert (DA du Weather) : « On veut que la techno soit accessible à tous »

Écrit par Roxanne Gintz
Le 27.08.2015, à 12h30
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Écrit par Roxanne Gintz
On a parlé avec celui qui fait la pluie et le beau temps du Weather, Brice Coudert, DA de Concrète et du festival que vous connaissez bien.

Brice Coudert, c’est l’une des trois têtes de Cerbère non pas des Enfers, mais de la pétillante agence Surprize. L’institution mère a enfanté les discrètes et prématurées Twisted avant que la maturité ne les transforme en barge de guerre Concrète, puis en véritable vaisseau titanesque avec le Weather Festival. Le premier festival techno en France qui, du haut de ses (officielles) trois bougies, s’est fait une place aux côtés ses légendaires homologues rock’n roll comme le Solidays ou Rock en Seine.

Car l’officieuse première édition se dévoilait à la SIRA en juillet 2012, dans une ancienne imprimerie d’Asnières. Bien que son line-up sonnait déjà bien pro (Onur Ozer, Mark Broom, Lucy, Dasha Rush, Praslea…), la Twisted était si expérimentale qu’elle ne fut pas retenue au compteur. Seules comptent donc les éditions de ses trois dernières années : en 2013, le suintant premier Weather Festival à Montreuil ; en 2014, la consécration à l’aéroport du Bourget, puis le réussi de cette année, au bois de Vincennes.

Ambitieux, Weather a aussi offert deux plateaux plus petits lors de son Weather Winter en février dernier. Il remet d’ailleurs le couvert le 12 septembre avec le Weather Summer au Paris Event Center. Ça fait beaucoup en un an et c’est justement pour cela que nous avons voulu refaire le point avec Brice Coudert, le directeur artistique du Weather, aux oreilles certaines et au franc-parler.

Rencontre avec Brice Coudert

Brice Coudert

Parle-nous de cette programmation. Vous nous servez encore un sacré plateau de techno.

Comme pour nos derniers évènements, pour ce Weather Summer, il fallait forcément une scène avec de la techno bien virile. Sur la première, il y aura de la grosse techno bien rentre dedans avec Rebekah, mais aussi Tommy 47, Dave Clarke, Paul Ritch, UVB, W.L.V.S (The Driver et Electric Rescue)…

Ce pourquoi on se bat tous les jours, c’est pour que la techno soit accessible au plus grand nombre. Et il est où le problème avec ça ?

Comme au Weather Winter, la deuxième scène sera plus tournée vers de la house, mais vu qu’on est toujours dans un gros hangar, on a programmé une house plutôt efficace, avec cette fois-ci Levon Vincent, Lazare Hoche, Carl Craig, Phuture… On voulait quelque chose qui reste physique dans les salles intérieures.

Il y a la première mondiale du live Delano Smith aussi. Tu peux nous en dire un peu plus ?

En fait, Delano Smith n’a jamais fait de live avant. Son booker nous a dit qu’il hésitait à en faire un, avant qu’il ne laisse finalement tomber l’idée, faute de temps. Mais quand je lui ai dit que je voulais le booker pour le Weather, il nous a filé l’exclu. Du coup il s’est remis à bosser dessus. Ce qui est plutôt génial parce que j’apprécie beaucoup les productions de Delano Smith. Mais la grande particularité de cette édition, c’est qu’on rajoute un open air toute la journée.

Il y aura Dungeon Meat (Brawther & Tristan Da Cunha) qui font de la grosse house musclée et super efficace, tout en restant super bien produite et très fine musicalement ; puis Barac qui, en terme de production, est pour moi l’un des meilleurs roumain du moment. Il nous prépare aussi un live spécialement pour l’occasion. Il ne faut pas oublier Detroit Swindle. Ils feront un live spécial puisqu’en plus de leur duo, il y aura une troisième personne pour le clavier. Ça va être super jazzy. Et Chris Carrier qui est l’un des DJs/producteurs les plus sous estimés en France alors que ça fait quinze ans qu’il est une référence pour beaucoup de monde.

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Et le trio Italo Johnson. Comment les avez-vous eu ? Ils ont la réputation d’être assez durs d’accès, et refusent toute médiatisation.

Peu de personnes les programment parce qu’à trois, les frais grimpent vite. Pour les avoir déjà eu à Concrete en after un dimanche matin, ces mecs sont comme leurs disques : des tueurs. Ça marche, ça sonne bien, c’est parfait. Ils ont fait le buzz directement avec la sortie de leur première release ItaloJohnson. Tout le monde le jouait, que ce soit les artistes house au Panorama Bar ou les artistes techno au Berghain… Et personne ne savait vraiment qui ils étaient. Idem pour leur deuxième release.

Vous agissez comme un festival tremplin pour ces artistes. Comme Astropolis et sa scène dédiée, sauf que vous positionnez vos poulains aux côtés d’autres grandes têtes d’affiches internationales.

Oui, c’est le but. Le festival est l’un de mes outils pour faire découvrir les artistes auxquels je tiens. Et quand il y a un nom français sur un line-up où il y a Ben Klock par exemple, ça a une portée énorme auprès des promoteurs et des bookers.

Le festival est l’un de mes outils pour faire découvrir les artistes auxquels je tiens.

Vous avez une double fonction : faire découvrir les pépites internationales aux français et inversement, exporter les pépites françaises à l’étranger. On peut appeler ça un retour sur investissement, non ?

Complètement et c’est super palpable ! C’est arrivé presque à chaque fois. Par exemple quand j’ai booké Mawimbi, ils n’avaient encore joué nulle part et je ne connaissais que leur blog. En jouant sur la terrasse, ça les a aidé. C’est une méthode que l’on applique aussi pour nos résidents pour les faire avancer. Et quand ça marche, je ne peux qu’en être super content.

Beaucoup se posent la question : vous êtes tout de même un festival très jeune et vous avez pourtant fait trois évènements cette année. C’est ambitieux mais assez prématuré. Pourquoi tant d’empressement ?

Ça dépend de comment on se positionne. Si vous me dites que trois festivals c’est trop pour le public, c’est complètement faux. Les gens aiment ça et en attendent limite autant.  Par contre trois évènements pour nous, oui ça fait trop de travail. L’année prochaine on va sérieusement ralentir. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’on ne s’est pas dit « allez, on va faire trois festivals dans l’année ça va être mortel ! » Ce n’était pas notre objectif mais l’un a amené l’autre, etc. Nous avions déjà prévu notre gros festival de cet été mais quand on nous a ouvert les portes du Paris Event Center, on s’est dit qu’un spot comme ça ne pouvait pas nous filer entre les doigts. Mais pour l’avoir, il fallait honorer deux dates à l’année. Du coup après le Winter, voici le Summer.

[PORTFOLIO] Les visages du Weather Winter

Comment avez-vous trouvé ce lieu d’ailleurs ? Accordez-vous du temps pour en défricher ? Il vient de mes collègues et de leurs relations. Maintenant que nous sommes suffisamment importants, on nous fait confiance. Lorsqu’il y a des spots comme ça, on nous contacte assez facilement. Mais nous n’avons pas le temps d’aller chercher des lieux comme ça. Pour une fête à la limite mais même… Et le Péripate ? Des rumeurs racontent que vous voudriez le racheter ? Pas du tout. C’est marrant parce que j’ai vu la rumeur passer quand j’étais au Dekmantel. J’étais juste au Péripate le jour où il a fermé, j’ai même vu la police débarquer. Sur place, beaucoup de personnes blaguaient avec moi en me disant que j’allais racheter le Péripate, mais c’est sûr à 300 % que non. Les rumeurs ont du partir de là. On a déjà Concrete, c’est déjà bien assez ! (rires)

C’est sur à 300% qu’on ne va pas racheter le Péripate.

Puisqu’on parle business, vous arrivez à vous autofinancer ?

On arrive à être indépendant oui. Le Weather Festival n’est pas rentable pour le moment, car tout coûte très cher en France. Notamment cette année où il a fallu construire une ville entière au cœur du Bois de Vincennes, avec l’accès à l’eau potable, l’électricité, Internet, la sécurisation du site… On arrive quand même à ne pas mettre la clé sous la porte grâce à Concrete, et au Weather Winter et Summer. On reste tout de même très loin des fantasmes que les gens se font sur nous au niveau des bénéfices.

C’est le prix de la gourmandise…Vous avez eu les crocs en fait.

C’est juste que nous sommes des hyperactifs, nous adorons ça. Alors oui on se met beaucoup de boulot sur les épaules, voire beaucoup trop, et on en est tout le temps submergé, mais il y en a toujours un qui se dit “ça, on ne peut pas ne pas le faire”.

Il faut arrêter avec cette mentalité où on reproche aux gens d’écouter de la musique de merde, puis lorsqu’ils viennent à nous, on leur dit que cette musique est trop bien pour eux. C’est nul. Accueille-les et explique-leur les codes plutôt que de les rejeter. C’est ça la techno et la house music !

L’année prochaine, on vous attend avec six évènements alors ? 

Oula, non… On va se calmer un peu. On est encore en réflexion, mais pour l’instant nos priorités sont de faire un super festival l’année prochaine et d’arriver à être rentable pour nous permettre de continuer à nous developper sereinement. Le Dekmantel par exemple a le même âge que nous, mais en Hollande ils disposent de structures techniques et financières super favorables aux festivals, car ce business existe chez eux depuis plus de 20 ans à très grosse échelle. En France on ne dispose pas de tout ca, et tout est compliqué et cher. 
C’est l’un des intérêts du Weather Festival, prouver que la techno et la house sont de vrais phénomènes culturels, et commencer à créer un vrai écosystème autour de nous, avec des sponsors, des partenaires techniques compétents et habitués à ce genre d’événements etc…

C’est l’un des intérêts du Weather Festival, prouver que la techno et la house sont de vrais phénomènes culturels.

Brice Coudert

Vous avez eu une belle couverture médiatique pour la dernière édition… C’est devenu national et même au delà.

Oui c’est super que le sujet ait intéressé les médias nationaux et internationaux, mais ils ont aussi suivi l’effet de mode. Dans les médias généralistes, quand un de leurs confrères parle d’un sujet, il faut le faire immédiatement sinon ils loupent quelque chose.

Ça rejoint la grande question du moment, et reflète surtout que la techno est définitivement devenue mainstream.

Oui mais tant mieux non ? Mainstream ça ne veut plus rien dire. Ça désigne juste que le nombre de personne qui sont touchées est plus gros. Nous, c’est clair, c’est exactement ce que l’on veut. Ce pourquoi on se bat tous les jours, c’est pour que la techno soit accessible au plus grand nombre. Et il est où le problème avec ça ? Est-ce que l’on veut vraiment revenir à cette époque où la techno n’était écoutée que par 15 personnes, où les artistes n’avaient pas de dates, qu’ils n’étaient pas payés ou qu’ils ne pouvaient même pas se payer de machines ? Je ne pense pas.

Ce mouvement est une représentation du genre humain.

Mais à condition que l’authenticité du mouvement ne se perde pas.

Elle ne se perdra pas tant qu’elle sera toujours présente dans la démarche des artistes. Tant qu’ils continueront à faire de la bonne musique, le public suivra. Qu’ils soient passionnés ou beaufs, on s’en fout : il faut qu’il y ait de tout. L’important c’est que le message passe à un moment ou un autre. Avant, nous nous adressions à des niches, tout le monde se ressemblait, mais ce n’est pas ça la vie. La musique, et plus particulièrement la techno, ne doit pas s’adresser qu’à une elite, mais à tout le monde. Le public techno se doit d’être universel et doit representer les humains en general, pour le pire et le meilleur, et pas juste une petite partie d’heureux élus. Ce mouvement est sensé être une représentation du genre humain.

La musique, et plus particulièrement la techno, ne doit pas s’adresser qu’à une elite, mais à tout le monde.

Trouves-tu, comme certains, que la techno manque aujourd’hui de revendications ? Est-ce qu’elle serait apolitique pour toi actuellement ?

Techno et politique à proprement dit, c’est une chimère. C’est très difficile d’avoir un message politique avec une musique sans paroles… La techno, il faut la prendre comme un art et cerner son côté esthétique. Mais le côté politique existe toute de même, mais de manière moins visible. Pour moi, quand 50 000 personnes viennent au Weather Festival, ca montre qu’on peut avoir d’autres intérêts dans la vie que regarder TF1 et écouter la musique qu’on nous impose à la radio. Ca montre qu’on est une vraie contre-culture et qu’on est de plus en plus nombreux à ne pas vouloir rentrer dans leur moule. Et que donc il faut commencer à nous prendre en compte.

Ca montre qu’on est une vraie contre-culture et qu’on est de plus en plus nombreux à ne pas vouloir rentrer dans leur moule.

Ça rejoint justement ce que l’on disait par rapport au mainstream, c’est pour ça que c’est important. Pourquoi laisser le grand public se faire lobotomiser par la TV, la radio etc… Pourquoi ne pas essayer de se battre contre ca et essayer de toucher du monde avec de la musique, des valeurs et des messages qui ont du sens et de la profondeur ?

Une conclusion sur la musique électronique en 2015 ?

C’est de la folie. Les festivals que tout le monde s’arrache ne sont plus Tomorrowland ou autres. Maintenant ce sont le Dekmantel ou le Dimensions. Et même si on va se récupérer des mecs en fluo avec des sifflets, c’est la vie et c’est même cool. Ce que l’on aime est enfin reconnu. Il faut arrêter avec cette mentalité où l’on reproche aux gens d’écouter de la musique de merde, puis lorsqu’ils viennent à nous, on leur dit que cette musique est trop bien pour eux. C’est nul. Accueille-les et explique-leur les codes plutôt que de les rejeter. C’est ça la techno et la house music !

Retrouvez le Weather Summer au Paris Event Center le 12 septembre

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