Blanca Li, la plus célèbre chorégraphe de musiques électroniques ?

Écrit par Lucien Rieul
Photo de couverture : ©Dominik Herman
Le 29.06.2017, à 14h28
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©Dominik Herman
Écrit par Lucien Rieul
Photo de couverture : ©Dominik Herman
Du 29 juin au 1er juillet, le club SALÒ donne carte blanche à Blanca Li pour 3 soirs d’improvisation, de DJ sets et d’installations vidéo. Rencontre avec une chorégraphe de renom et fêtarde dans l’âme, dont les pas de danse ont fait plus d’une fois le tour de la planète électronique.

Son nom ne vous dit peut-être rien, mais vous êtes des millions à avoir vu ses chorégraphies. La natation synchro sur fond de spotlights disco, les squelettes en survêtement, les momies qui font du popping dans le clip d’Around The World des Daft Punk, réalisé par Michel Gondry ? Ça, c’est Blanca Li. Début 2017, la danseuse et chorégraphe franco-espagnole récidivait, en apposant sa patte au clip de Samurai, tube éponyme du dernier album de Joakim, le boss du label Tigersushi. Si ces faits d’arme en font sans doute la chorégraphe la plus connue du milieu électronique, c’est avant tout dans la danse moderne que Blanca Li s’est fait un nom. En 25 ans de carrière, elle a su imposer un style qui flirte avec le hip-hop, l’électro, le classique, le flamenco… Un melting-pot embrasé qui se décline tant sur les planches de l’Opéra de Paris que sur celles du théâtre Mogador. Quand elle ne fait pas danser des robots (ROBOT, 2013), c’est carrément 14 000 personnes qu’elle invite sous la Nef du Grand palais pour lâcher prise à sa Fête de la danse.

Une candidate toute trouvée pour les résidences de SALÒ, qui l’invite du 29 juin au 1er juillet pour une carte blanche. Trax a voulu en savoir plus sur l’intrusion de l’actuelle résidente du Théâtre National de Chaillot dans l’un des clubs les plus bizarres de la capitale. Entre deux séances de préparation pour son prochain spectacle Solstice, Blanca Li nous l’aura bien fait comprendre : « J’adore faire la fête ! »

Daft Punk – Around The World

Vous êtes actuellement chorégraphe résidente au Théâtre National de Chaillot, comment cela a-t-il débouché sur votre carte blanche à SALÒ ?

C’est le théâtre qui m’a proposé ce projet avec SALÒ, comme je suis en train d’y préparer une pièce pour septembre. Nous sommes sur le point de terminer notre première phase de création avec les danseurs, et comme le spectacle s’appelle Solstice et que nous sommes proches de la période de solstice, on s’est dit que c’était le moment de faire la fête ! (rire)

“J’ai plus ou moins grandi dans les clubs, je m’y sens vraiment à la maison.”

Vous connaissiez déjà SALÒ ?

Oui, mais ça faisait longtemps que je n’y étais pas allée.

Comment est-ce que vous concevez une résidence dans un tel lieu, qui n’est pas juste une scène, mais un endroit hybride entre bar, club…

Je le vois comme un club, et pour moi le club c’est un lieu où l’on s’amuse. Tout ce que je veux, c’est m’amuser avec les danseurs et avec les gens qui viendront. Il y aura des improvisations, et moi je prépare une surprise.

C’est la première fois que vous faites quelque chose dans un club ?

Non, j’ai plus ou moins grandi dans les clubs, j’y vais depuis que j’ai 15 ans (rire). Je m’y sens vraiment à la maison, ça doit être mon côté espagnol. Et puis j’étais à New York dans les années 80.

Vous diriez que ça a influencé votre manière de danser ?

C’est un peu le grand écart. La danse c’est mon métier, c’est ma vie. Le club, ça a toujours été synonyme de fête avec les copains. Après, c’est vrai que quand on est en boîte, on danse (rire). Mais pas de la même manière.

En quoi est-ce différent ?

En tant que danseur professionnel, on étudie, on apprend des techniques, des chorégraphies, alors qu’en boîte on danse comme tout le monde. Ou plutôt, tout le monde devient danseur professionnel. On profite de la musique à fond, on laisse aller son corps sans contraintes.

Ces deux manières de danser, est-ce qu’elles procurent la même sensation ?

Je pense que quand on est avec beaucoup de monde dans un même espace, il se crée quelque chose de très fort, une sensation de transe, presque primitive. J’ai remarqué que lorsqu’il y a une fête, il suffit que deux personnes se mettent à danser pour que tout le monde se lâche. Cette sensation d’être ensemble, de pouvoir danser comme on veut, sans être le centre d’attention, ça me procure une grande joie. C’est pour ça que j’adore aller en boîte.

Vous y allez encore souvent ?

Ah oui ! Surtout quand je suis en tournée, ça finit souvent en boîte. La vie nocturne, c’est une autre manière de découvrir la culture d’un pays. Il y a peu, on était à Séoul en Corée avec la compagnie, et nous avons dansé toute la nuit jusqu’à 5 heures du matin, en enchaînant 3 ou 4 clubs différents. Séoul, c’est merveilleux, les gens sont incroyables.

Il y a d’autres endroits qui vous ont marqué ?

À mon arrivée à New York, lorsque j’avais 17 ans, il y avait le club gay The Saint, Area, le Pyramid Club, le Tunnel… C’était une époque incroyable, et je suis beaucoup sortie dans ces endroits, c’était très inspirant.

Si vous faites une distinction entre la danse professionnelle et la danse en club, est-ce que votre résidence au SALÒ n’est pas un peu paradoxale ?

Justement, je ne vais pas y amener la danse professionnelle. Celle-là, je la réserve pour les spectacles, pour le théâtre. Là je viens pour faire la fête, comme dans un club. Chaque danseur s’inventera un personnage et fera de l’improvisation, mais ce ne sera pas de la chorégraphie comme ce que vous pourrez voir à Chaillot. Tu sais, on passe des heures et des heures ensemble avec les danseurs, il y a une énergie qui s’accumule, et à un moment on a juste besoin de se défouler ! On a envie de s’amuser, d’avoir la même liberté que les spectateurs.

Est-ce que ce n’est pas un peu dommage au fond, que le club soit, pour ceux qui ne sont pas professionnels, le seul lieu où l’on ait le « droit » de danser ?

C’est vrai, c’est aussi pour ça que j’avais organisé la fête de la danse au Grand Palais en 2011. Il faut plus d’événements où les gens puissent se défouler, et pas seulement à 3 heures du matin avec un verre à la main. Ça peut être dans un parc, à la plage… Des événements où les gens peuvent danser ensemble sans être en club. Car les gens aiment danser.

Vous trouvez ?

Oui, ils adorent ça. Les opportunités de danser avec les copains ou de manière anonyme sont rares, et c’est dommage. Tout le monde n’a pas le temps ou le courage de sortir la nuit pour faire la fête. La danse, c’est comme le sport, ça produit une sensation de bien-être. C’est pour ça que nous sommes accro (rire).

Toutes les danses sont revendicatives, c’est toujours un moyen de sortir de son quotidien, d’exister.

Vous avez aussi collaboré avec des artistes liés à la musique électronique, comme Daft Punk, Matthew Herbert et plus récemment Joakim. C’est un style que l’on retrouve souvent dans votre travail ?

Oui, je l’utilise depuis longtemps dans mes chorégraphies, et je travaille souvent avec des danseurs électro. L’un d’eux sera d’ailleurs DJ au Salo ! J’adore la musique électronique, et je pense que c’est l’une des musiques les plus dansantes qu’il y ait. Je ne la trouve pas froide du tout. Ce côté répétitif, ça crée vraiment un état de transe. J’aime aussi d’autres styles comme le disco, mais la musique électronique t’emmène dans un endroit plus étrange, non ?

Vous avez réalisé un film avec des danseurs électro, Elektro Mathematrix, où vous présentiez cette danse comme un moyen d’émancipation. Aujourd’hui, c’est le vogueing qui fait son retour sur la scène club française. Vous y voyez aussi une dimension politique ?

Toutes les danses sont revendicatives, c’est toujours un moyen de sortir de son quotidien, d’exister. Avec des danses comme le hip-hop, l’électro ou le vogueing, ça commence souvent au sein de petites communautés, parfois dans le ghetto, et ça parle de leur vie. C’est pour ça qu’elles sont très intéressantes. Beaucoup de danses commencent par des histoires précises, et deviennent universelles par la suite.

Qu’est-ce que vous avez prévu d’autre dans le cadre de la résidence à Chaillot ?

Il y aura un bal pour l’ouverture d’une nouvelle salle au théâtre, et Solstice. C’est quelque chose d’assez nouveau pour moi, un spectacle environnemental ! Ça traitera de la pollution, du réchauffement climatique… On vit dans des villes polluées, on s’enduit de crèmes toxiques, on voit que notre monde s’altère, et à côté de ça nous avons des grands gouvernements qui font comme si de rien n’était. Je crois que chacun d’entre nous peut faire quelque chose, et si l’on ne peut pas changer les choses d’en haut, il faut le faire d’en bas.

Comment ça se traduit pour vous, en tant que danseuse et chorégraphe ?

En spectacle, déjà. Et puis je suis en train de réfléchir avec des fondations à une manière d’interagir avec le public à la sortie de la salle. Pour l’instant, je n’ai pas encore décidé de la forme que ça allait prendre, mais je veux que Solstice ne soit pas seulement quelque chose que l’on contemple. Je souhaite que ça débouche sur une action concrète.

Après sa carte blanche à Blanca Li, SALÒ invitera encore Bentega Independant Kiev Scene le 4 juillet et Asia Argento du 6 au 8, avant que ce projet éphémère démarré en octobre dernier n’arrive à son terme. Ses résidences se poursuivront au Silencio.

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