Par Jean-Paul Deniaud et Smaël Bouaici.
Ce remix est l’occasion de revenir sur l’interview donnée à Black Coffee pour le numéro spécial TRAX 203 “Les fêtes techno du bout du monde”.
Le 16 décembre 2011, 25 000 personnes étaient rassemblées dans le stade Moses-Mabhida de Durban, pour voir Black Coffee, l’icône de la house sud-africaine, rejouer ses hits sur scène, accompagné d’un orchestre de 24 musiciens. Ces deux heures de show historiques ont fait l’objet d’un film, le bien nommé Africa Rising, catapultant Nkosinathi Maphumulo – qui n’était encore qu’étudiant de la Red Bull Music Academy du Cap en 2004 – dans la dimension des superstars. Mais en Afrique du Sud, la house est un sport national et les DJ’s sont aussi adulés que les rappeurs chez nous. Et dans ce contexte, l’histoire de Black Coffee fait office de success story, celle d’un petit gars de la campagne, parti de rien. Et même de moins que rien.
Après avoir perdu l’usage de sa main gauche dans un accident à 14 ans, il poursuit pourtant son ascension sans l’ombre d’un doute, et signe en 2006 un premier album éponyme, confectionné à la souris d’ordinateur, qui le place sur orbite. On le voit pour la première fois en France en 2007 grâce au flair du Djoon à Paris. Dix ans après, ses mix à une main font presque office de modèle pour ses acolytes de la scène sud-africaine, et l’aura de Black Coffee dépasse les frontières. Le chantre de la musique électronique africaine est désormais sur le chemin d’une conquête mondiale – qui passe par les USA et par Ibiza, où il s’installe pour l’été –, dans une situation équivalente à celle Daft Punk après Human After All. Il a bénéficié d’un coup de pouce médiatique de la vedette planétaire Drake, qui a repris le beat de son Superman, et son remix d’Alicia Keys est devenu un hit. Self-made-man, la tête sur les épaules, et n’ayant jamais trempé dans les excès des nouvelles stars, l’icône nationale ne cache pas ses ambitions de « devenir une marque globale ». Mais en ne jouant que des morceaux issus d’Afrique du Sud, Black Coffee veut aussi structurer sa scène, avec son label Soulistic, la création d’un iTunes sud-africain ou sa propre fondation, destinée à l’apprentissage de la musique pour les jeunes en situation de handicap. S’il a tous les atouts en main pour passer de l’autre côté du miroir, sa mission de propager son son sans compromission paraît ardue – mais pas impossible. Conscient de sa responsabilité et adulé par une jeunesse qui n’aurait pas pu trouver meilleur role model, Black Coffee sait jusqu’où il veut aller : il a obtenu le droit de rêver et surtout de faire rêver.
Toi qui es si impliqué en Afrique du Sud, ton pays ne te manque pas trop lorsque tu pars jouer à l’étranger ?
Si, beaucoup. C’est un pays incroyable. Le climat, les gens… Et bien sûr la nourriture. À New York, j’ai trouvé ce restaurant qui s’appelle Madiba (du surnom de Nelson Mandela), qui sert des plats sud-africains, j’y déjeune à chaque fois je suis là-bas ! Je vis toujours à Johannesburg, ma mère est à Durban, je vais d’ailleurs la rejoindre ce week-end. Là, je suis en train de conduire pour me rendre à Pretoria, où mon fils aîné va au lycée. J’aime bien aller, comme aujourd’hui, le chercher après l’école, manger une pizza, le déposer et faire la route du retour.
Revenons un peu sur tes débuts, et ce déménagement très jeune de la petite ville de Mthatha à de Durban, qui a eu tant d’impact sur la suite.
Oui, partir là-bas à l’âge de 10 ans a vraiment été un grand tournant. À Mthatha, il n’y avait pas d’électricité, pas de lumière dans la rue et la nuit était vraiment très sombre. Les routes en terre battue, les vaches ! J’ai grandi en regardant les vaches, en les surveillant, c’est devenu mon premier travail à partir de 11 ans. Je me souviens que je me réveillais à 5 h 30 le matin, et avant l’école, j’allais traire les vaches, puis je revenais, je prenais une petite douche après avoir fait chauffer l’eau dans un pot – puisqu’il n’y avait pas d’électricité, donc pas d’eau chaude – et j’allais à l’école. Et après l’école, je retournais m’occuper des vaches.
Arriver dans une ville comme Durban a dû être un choc !
Complètement : il y avait de l’électricité, des toilettes à l’intérieur. À Mthatha, elles étaient à l’extérieur. Gamin, on faisait ça dans un bac !
Mthatha était un un township ?
Mthatha était une sorte de township, mais avec un statut spécial. La ville était la capitale du Transkei, un bantoustan (une région autonome réservée aux Noirs. Le Transkei a été réintégré à l’Afrique du Sud en 1994, ndlr). Donc elle ne s’est pas développée au même rythme que les autres townships d’Afrique du Sud, qui avaient l’électricité, etc..
Il n’y avait donc pas ces soirées de rues, les six-to-six, avec de la musique comme ailleurs.
Non, pas du tout. Je me souviens que lorsque j’étais très jeune, il y avait encore un couvre-feu : à 22 heures, tout le monde devait être à la maison. Encore aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi. Un petit avion avait survolé la ville en lâchant des papiers disant qu’à 22 heures, tout le monde devait rentrer. Sinon, on se faisait arrêter. L’un de mes oncles s’est fait attraper comme ça.
Mais alors comment as-tu découvert la musique ?
Je n’ai pas composé de musique avant l’université, mais il y avait des cours spécialisés à Durban que je fréquentais assidûment. Mais dans le township, et c’est quelque chose qui est bien connu, celui qui a un gros sound-system doit jouer beaucoup et fort. Et l’un de mes voisins jouait de la musique si fort que je pouvais écouter les chansons. J’ai même fini par connaître toute sa collection de disques.
Et qu’est-ce qu’il jouait ?
Donny Hathaway, Curtis Mayfield, des groupes locaux… Ensuite, j’ai découvert la musique électronique à la radio, avec Technotronic, Soul II Soul. C’était avant que mes parents ne divorcent et que nous partions chez ma grand-mère à Mthatha, qui nous a élevés.
Nous avons appris que l’alcool avait été un problème pour ton père, qui se transformait en un autre homme. Sans rentrer trop loin dans l’intime, quel est ton rapport avec les gens qui boivent aux soirées où tu joues, toi qui n’as pas bu pendant longtemps ?
Je ne bois toujours pas. Je pense que l’alcool, ou peu importe ce que les gens prennent, change les gens, mais de différentes manières. Il y a des gens qui peuvent le gérer, qui ne deviennent pas violents. Mais les hommes sud-africains de cette époque manquaient cruellement de confiance en eux. Le mot d’ordre du gouvernement de l’époque était « ne laissez aucun pouvoir aux hommes africains ». Et c’était cette frustration qui s’exprimait à la maison. Ce que je veux dire, c’est que je n’ai rien contre mon père, je comprends le contexte dans lequel il a grandi. Ils sont complètement différents de nous, la plus jeune génération qui n’est plus opprimée par quiconque. Donc je n’en veux pas à ceux qui boivent, mais je sais que nous avons tous différents démons contre lesquels on se bat. On a tous notre propre rapport avec l’alcool.
Une autre question délicate : est-ce vrai que tu as perdu l’usage de ta main le jour où Nelson Mandela a été libéré ?
Oui, c’est vrai. Quand il a été libéré, tout le pays a célébré l’événement. Et même à Mthatha, nous faisions la fête. J’étais encore jeune, et dès le matin très tôt jusque dans l’après-midi, tout le monde attendait sa sortie en se rassemblant dans la rue. Et là, venu de nulle part, un peu comme ce qu’il s’est passé en France (à Nice, ndlr), une voiture a foncé dans la foule. Et j’étais parmi ces gens-là.
À cette époque, tu savais déjà que tu voulais devenir DJ ?
Oui, depuis que j’ai 14 ans. J’étais loin de penser que j’allais faire tout ça, mais je voulais faire de la musique. J’ai commencé à mixer lorsque j’avais 16 ans.
N’as-tu pas pensé que c’était impossible avec une seule main valide ?
Je sais mais j’ai commencé comme ça ! Je pense que c’est pour ça que ça n’a jamais été un problème.
Tu te souviens de ton premier mix ? C’était déjà de la house ?
C’était un mix de différentes musiques. Mon cousin était déjà DJ et il organisait des fêtes avec son un mobile-disco. J’ai retrouvé une photo récemment, j’étais vraiment jeune, avec un micro dans la main, j’étais le hype man ce soir-là, une fête pour un concours de beauté il me semble, mais petit à petit, je m’y suis mis. C’est comme ça que j’ai appris le job, avec des cassettes d’abord, puis j’ai appris à jouer avec des platines CD, mais j’ai toujours été plus intrigué par l’idée de caler les disques. Mais comme on avait des platines CD de salon, tu ne pouvais pas changer le tempo. Alors j’essayais de mixer des morceaux qui avaient plus ou moins le même tempo que je repérais à l’oreille. Ma façon de mixer était donc très différente, il fallait s’adapter.
Comment as-tu bâti ta popularité en Afrique du Sud ?
Ça s’est fait petit à petit. Plus je jouais, plus les gens savaient qui j’étais, plus ils voulaient me booker à leurs soirées. Un ami de mon cousin a commencé à me faire jouer, et c’est comme ça que ça a démarré. J’étais mineur à l’époque, j’avais 16 ans, je n’avais pas droit d’entrer en club, donc je ne faisais que les soirées en après-midi. Je prenais tout ce que je pouvais faire à mon âge.
Tu penses que tu avais déjà ta propre touche ? Quelque chose de plus que les autres ?
Oui, oui. J’étais très sérieux, je passais beaucoup de temps à m’entraîner, je ne venais pas juste pour jouer. Je cherchais des sons qui matchaient au niveau du tempo, j’essayais de faire quelque chose de différent.
Quand t’y es-tu mis avec l’idée de faire carrière ?
Quand j’ai fini l’école, j’ai déménagé à Durban pour commencer la musique. Là-bas, j’avais vraiment en tête de devenir un DJ, j’avais ma petite collection de disques, chaque billet que je récoltais était investi dans les vinyles. Quelques années plus tard, je suis parti à Pretoria pour continuer des études de musique. J’allais à l’école, et en rentrant, je suis passé devant un club qui s’appelait Voodoo Lounge. Je suis entré, en disant que j’étais un DJ de Durban et que je cherchais un job. J’avais mes livres d’école à la main, je ne connaissais personne. Ils m’ont dit : « OK, on a une réunion plus tard dans la journée avec les DJ’s, amène tes disques. » Je suis revenu avec ma musique, il y avait d’autres DJ’s qui ne me connaissaient pas non plus. Un gars arrive, il s’appelle Bussi, c’est le manager du club : « Vas y, joue ! » J’ai pris les platines, mais personne n’est venu dans la salle pour m’écouter. Je jouais tout seul, je ne savais pas s’ils aimaient ou pas. Trente minutes plus tard, le manager est revenu, et il m’a dit : « OK, le job est à toi. » Après ça, les autres DJ’s ne me portaient pas dans leur cœur ! Et au-dessus du club, il y avait un magasin de disques. Avec ce job, j’ai commencé à rencontrer plus de gens. Sisko, qui travaillait aussi dans le club, était proprio du magasin avec un autre type, un Portugais et un Grec. Et le moment est arrivé où je ne pouvais plus payer l’école. Alors j’ai arrêté et je me suis concentré sur cette carrière de DJ. Et ils m’ont proposé de venir bosser au magasin.
C’était un avantage décisif pour toi, tu pouvais jouer les nouveautés et les exclus.
Clairement, pour moi, c’était énorme. Je n’étais pas très instruit en matière de house, de labels, c’est là-bas que j’ai appris qui était qui, quels labels étaient importants. Jusque-là, j’étais un fan de musique, je connaissais les artistes, mais pas tant que ça. J’ai mieux compris ce que j’aimais. Et puis un jour, j’ai décidé que tout ça me retenait, alors j’ai tout arrêté, le club et le shop. Et j’ai commencé à travailler sur mon premier album.
On a l’impression que tu t’es vraiment construit tout seul.
Pendant une longue période oui, jusqu’au moment où j’ai senti que j’avais besoin d’un manager. J’ai trouvé Amarou, qui est mon manager depuis 2007. il s’occupe du label, des bookings locaux, maintenant on a une équipe de 5 personnes dans nos bureaux pour mon activité, et j’ai aussi un autre manager, Lionel Marciano, un Français installé à New York, qui s’occupe des bookings internationaux.
Aujourd’hui, en Afrique du Sud, tout le monde te connaît dans la rue. À quel moment as-tu passé ce cap de popularité ?
Ça date du premier album. Il y a eu le clip et beaucoup d’interviews télé. Après le second album, j’ai fait beaucoup de dates. Ces deux sorties ont créé un truc.
Comment expliques-tu cette explosion en dix ans ?
C’était beaucoup de travail. En Afrique du Sud, la house n’est pas quelque chose d’underground, c’est mainstream, c’est à la radio et à la TV tous les jours. Par exemple, avant de vous voir, j’ai donné une interview pour une télévision très grand public. En Afrique du Sud, la house locale et Rihanna ont la même exposition. À la radio, tu entends un titre de Rihanna enchaîné à un titre de Black Coffee, suivi par un Jay-Z.
La house était déjà mainstream quand tu as sorti ton premier album ?
La house était déjà à la télévision, mais ce n’était pas encore au niveau qu’aujourd’hui. Ici, la house fait partie de la vie, ce n’est pas quelque chose qu’il faut aller trouver dans certains coins du pays.
Cette popularité implique-t-elle une responsabilité pour toi ? Tu exprimes ta voix sur d’autres sujets ?
Je choisis très attentivement ce que je fais avec ma voix, avec ce pouvoir. Tout à l’heure, il y a une dame qui est venue près de ma voiture, elle travaille au ministère des Arts et Culture. Elle venait voir si on avait avancé sur certains sujets. J’essaye de peser dans ces domaines, c’est ce que je représente. Je ne pourrais jamais aller au-delà et parler de politique. Je ne ferais pas ça, mais clairement, ma position vient avec des responsabilités.
Ce n’est pas forcément l’avis d’autres artistes, qui ne pensent pas avoir de responsabilités avec leur popularité. Pourquoi c’est important pour toi ?
Ce pays est encore en développement, il y a encore du travail à faire pour motiver les gens, les inspirer, les rendre heureux, qu’ils comprennent qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. On est encore en mutation, on a toujours besoin d’entendre ces choses avec un passé aussi sombre.
On a vu cette vidéo où tu parles à des écoliers en leur disant : « I have faith. » C’était très puissant. À quel point ta voix est importante pour les jeunes ?
C”est très important. (Il hésite) J’ai évoqué mon père tout à l’heure, comment l’ancienne génération n’a pas été inspirée, comment le gouvernement de l’Apartheid n’a jamais transmis d’empowerment. Il cassait les gens et les divisait entre Blancs et Noirs. Ça a ruiné notre amour-propre. Les gens plus vieux ne guident pas les jeunes parce qu’ils ne croient pas en eux. C’est donc encore plus important que ceux qui ont ce courage transmettent cette idée qu’on peut faire ce qu’on veut.
Tu as d’ailleurs créé une fondation, qui transmet ces valeurs.
Oui, la Black Coffee Fondation, qu’on a lancée en 2011. À l’époque, le but était d’aider les gens avec des handicaps mais on a trouvé tellement de challenges. On a donné des fauteuils roulants, de la nourriture, des maisons… Ce qu’on fait ne finit jamais. En ce moment, je travaille sur quelque chose de plus grand. Une de mes ambitions a toujours été de lancer une autre école. Si j’ai quitté l’école, c’est parce que j’ai dépensé beaucoup d’argent, et au final, je n’étais pas spécialisé dans ce que je voulais faire. Je voulais faire de la production, mais je devais étudier tellement d’autres choses, auxquelles je n’étais pas bon. Je n’avais de bonnes notes que dans les domaines que je voulais intégrer. Par exemple, si tu veux devenir DJ, et que tu entres dans une école de DJ, et qu’on t’apprend des trucs qui n’ont rien à voir, ça ne t’intéressera pas, à part les cours de mix. Je voudrais donc créer une école avec des filières spécialisées. Je me suis associé avec deux personnes, un artiste et un fashion designer, tous deux Sud-africains. Ce sera une école dédiée à l’art, la mode et la musique située à Johannesburg. On va travailler ces deux prochaines années pour réunir les financements. Quand tu vis en Afrique du Sud, la charité ne suffit pas. Si tu peux aider dans n’importe quel domaine, il faut le faire.
Avec cette fondation et cette école, tu fais le constat de l’échec pour le gouvernement sud-africain ? Quand le gouvernement n’assure pas, la société doit prendre ses responsabilités ?
Partout dans le monde, je pense que les gens ne sont jamais à 100 % contents de leur gouvernement. On veut aussi dire aux gens que tout ne dépend pas du gouvernement, qu’on doit aussi prendre nos responsabilités. On aimerait que les hommes politiques s’investissent mais on n’attend pas après eux ! Nous voulons changer le visage et l’attitude de ce pays, on ne veut plus rester assis et mendier de l’argent. C’est comme ça qu’on était avant. On veut encourager les gens à se lever et faire leur truc.
Il paraît que tu ne mixes que de la musique sud-africaine. Pourquoi ?
Oui, Pour moi, c’est essentiel de propager notre musique. Après, ça dépend du public, parfois c’est 90 % sud-africain, parfois 95 %. J’ai plusieurs personnes qui m’aident et m’envoient des sons. On écoute tous les disques et on choisit ceux qui me conviennent le mieux. D’ailleurs, là, je suis en train de valider un flyer pour lancer une promo list. Je prends de la musique de tout le monde, peu importe si tu es connu ou pas.
C’est important d’être indépendant en termes de business ?
Très. Si, demain, je veux donner une de mes chansons à Louie Vega, je peux le faire. Si j’étais lié à une major, je n’aurais pas cette liberté. C’est aussi ce que je transmets aux plus jeunes qui viennent travailler avec mon label : « Tu es signé sur Soulistic, mais on veut que tu puisses créer ton propre label, que tu sois propriétaire de ta musique. »
Comment évolue la scène électronique en Afrique du Sud ?
On est arrivé à un point où l’on connaît nos points forts. Il y a plein de hits locaux, qui deviennent vite populaires avec Internet. Tu as aussi ceux qui ont plus d’ambitions et visent l’international, donc ils font des chansons en anglais. Moi, je fais encore des chansons en zulu et xhosa pour qu’elles aient ce côté local. C’est toujours une surprise de voir qu’une chanson en xhosa licenciée en France. On sait qu’on a une scène très puissante et on s’en occupe.
Pourquoi cette musique est-elle devenue aussi universelle ?
La house sud-africaine a toujours eu ce côté universel, mais elle manquait d’exposition. La musique américaine est disponible immédiatement sur iTunes par exemple, on n’a pas cet espace où notre musique vivrait. C’est pour ça que je travaille sur une plateforme similaire à iTunes où l’on pourra accueillir toutes les musiques sud-africaines. Mais elles ne sont pas toutes universelles. Une partie de cette production reste très brute, il faut la travailler.
Et dans le reste de l’Afrique ?
C’est différent suivant les pays. Au Nigeria, ils ont leur propre style, et les artistes là-bas deviennent très très populaires dans leur pays. Ils gardent leur essence. Au Kenya, la scène grandit, en Angola, ça reste très limité aux Angolais. Certaines scènes ne s’exportent pas. Je joue un peu partout en Afrique, la semaine prochaine en Angola, j’ai été au Kenya, au Botswana plein de fois, en Namibie, au Mozambique.
Et tu es aussi populaire dans ces pays qu’en Afrique du Sud ?
Yes sir.
Il y a des points communs assez évidents entre ta musique et le R&B américain, vu que tu utilises beaucoup de vocals. Est-ce qu’il est possible d’apporter une touche sud-africaine à la pop/R&B du moment aux USA ?
La plupart de nos influences viennent des Masters at Work. Les choses qu’ils faisaient au début, c’est notre école, c’est avec eux qu’on a appris à produire de la house music. Donc c’est normal que ça sonne pareil. Notre house n’est pas si ancienne. Louie Vega voulait me donner des vieux disques américains, mais pour moi, c’est différent, je ne pourrais pas les jouer. Je ne connais pas ces disques et mon public n’est pas très vieux. Il y a des musiques qui n’existent qu’aux USA, parce que ce sont les seuls à les comprendre. Mon public est bien plus réduit.
« C’est avec Masters at Work qu’on a appris à produire de la house music. »
Tu penses pouvoir pénétrer le marché US de manière durable ?
Devenir un gros nom aux USA, c’est l’objectif. Je veux que Black Coffee devienne une marque globale. J’ai fait des remix, des collaborations, Alicia Keys, le Drake… Je veux grandir au-delà de l’Afrique du Sud.
Quelle est ta stratégie pour pénétrer le marché américain ? Ton remix d’Alicia Keys est ta chanson la plus populaire sur YouTube, et il y a quatre ans, tu nous disais que tu visais des featurings type Macy Gray ou John Legend. C’est toujours le cas ?
Bien sûr. Là, je prépare un remix pour Asa, un autre pour Little Dragon. J’ai aussi travaillé sur un remix de John Legend, on ne sait pas encore ce qu’on va en faire. Et je veux en faire plus, je veux produire pour d’autres. Pour le moment, on propose des chansons et on attend des réponses. L’idée, c’est d’arriver à un album avec des featurings US.
Un peu comme le modèle de David Guetta ?
Oui mais à un niveau différent, un niveau où je me sentirais à l’aise. Je suis sûr qu’il est à l’aise, que c’est son genre de musique préféré, mais je veux travailler avec mon genre de musique favori. Imagine Black Coffee featuring Beyoncé mais sur un beat sud-africain.
D’ailleurs, Drake vient de poser sur ton titre Superman. Tu nous racontes ?
Quand il a fait son premier podcast sur iTunes, c’est la première chanson qu’il a passée. C’était énorme pour nous, parce que c’est un artiste hip-hop, et pour son premier podcast, avec la hype au plus haut avant son nouvel album, les gens s’attendaient à ce qu’il joue ses nouveaux morceaux. Et le premier track, c’est Superman. C’est comme ça qu’on a découvert qu’il aimait le morceau. Son manager s’est mis en relation avec Lionel, et ils ont fini par la demander.
Ce qui est intéressant, c’est qu’ils n’ont pas touché à la production. Ton titre sert d’instrumental pur à Drake. C’est plutôt bon signe, tu n’as pas eu à faire de compromis.
Et je ne veux pas en faire ! Le morceau n’a pas été modifié, c’est important de ne pas sonner comme les autres. Et puis j’ai appris la musique, je ne suis pas limité à la house. Si je suis inspiré pour faire un track de hip-hop, je peux le faire, pas parce que c’est le moment, mais parce que j’en ai envie. L’autre truc cool, c’est que cette chanson date de 2008, et la voir ressortir en 2017 avec autant de succès, c’est très encourageant.
On dit que tu vas ouvrir un bureau à New York ?
À terme, on voudrait, oui. Ça nous offrirait de nouvelles opportunités. Si tu veux pénétrer ce marché, il faut installer une bonne équipe sur place. L’idée, c’est d’en avoir partout dans le monde.
Tu inaugures ta résidence au Hï Ibiza en ce mois de juin. Qu’est-ce que tu veux apporter sur l’île ?
Oui, ce sera tous les samedis de juin à septembre. Je veux amener une vibe différente de l’offre club music qui est en place sur l’île en ce moment. En tant que visiteur, j’ai l’impression que c’est un peu toujours la même chose. Ce feeling house music manque à Ibiza. Il n’y a pas de vocals, c’est la même loop partout. Je veux faire revenir les mélodies et les chansons à Ibiza.
« Ce feeling house music manque à Ibiza. Il n’y a pas de vocals, c’est la même loop partout. Je veux faire revenir les mélodies et les chansons à Ibiza. »
Le remix est à retrouver ici.