C’est après avoir halluciné devant Franckie Knuckles mixant sur quatre platines au club Boccaccio, à Destelbergen en Belgique, que le jeune Ch’ti Emmanuel Top décide de se lancer lui aussi dans la musique électronique, à la fin des années 80. Il a alors 16 ans. Très vite, le jeune homme, né à Tourcoing, écume les clubs de Belgique – où il vit encore aujourd’hui – et fait le choix de se concentrer sur la production, plutôt que sur les bookings en tant que DJ, pourtant de plus en plus nombreux, le week-end.
En 2001, écœuré par le métier et le monde de la musique, il met sa carrière entre parenthèses. Un premier pas vers le retour en 2010, avec une sortie sur son propre label, Attack Records. Et quelques dates, qui lui remettent le pied à l’étrier. Cette année, après un passage par Astropolis la semaine dernière, il débarque dans le game avec sa première date au Berghain. L’occasion pour Trax de faire le point.
Depuis tes débuts tu fais le choix de rarement jouer en public et de te concentrer sur la production. Pourquoi ?
Il faut resituer l’époque. J’ai commencé très jeune et puis, dans les années 1990, quand t’habites à Lille, que t’es pas à Londres, à New-York ou à Los Angeles : t’as pas de mecs qui font le métier de managers, comme il en existe aujourd’hui. Donc, au début tu commences à faire ta musique, puis très vite, en plus de la production, il faut gérer le label, le contact avec la distribution et tout ce que la production de musique comporte. Donc, à un moment donné, tu dois choisir : soit tu deviens DJ ou alors tu fais de la production musicale. Parce que tu ne peux pas être aux champs et à la ville. Tu ne peux pas partir en tournée le week-end et revenir le lundi, frais et dispo pour gérer tes rendez-vous avec des contrats. Même si maintenant, ça a changé. Le problème c’est que tu te perds là-dedans, parce que tu finis par exercer un autre métier et tu fais tout sauf ce que tu aimes vraiment : la musique.
Extrait d’un de ses premiers albums solo.
Dans une précédente interview, tu racontes que la tournure que prenait le modèle économique de la musique t’a dégouté. Peux-tu expliquer ?
Lors des années 2000, avec l’avènement d’Internet et de la copie CD. Très vite, tout le monde s’est mis à pomper la musique via des plateformes telles que emule ou limewire. Chacun prenait des kilos de musique pour rien du tout. Le modèle économique de la musique s’est cassé la gueule, parce que le vinyle, on ne voulait plus en entendre parler, on voulait que du download, à fond la caisse. Et c’était pas structuré comme maintenant : il n’y avait aucune rémunération pour les artistes. Le CD était en train d’exploser, plus aucun album ne se vendait puisque tu le pompais en deux secondes sur le web. Donc, je me suis dit : “C’est fini ! Je vais arrêter.”
Arrêter complètement la musique ?
Non, la musique je ne l’ai jamais complètement arrêté, pour moi. C’est comme le DJing, je n’ai jamais arrêté, je le faisais pour moi ! Et là, la musique, je l’ai faite pour moi pendant longtemps, parce que je me suis dit que ça ne servait à rien d’essayer de se battre. Alors, en plus, il y a aussi eu le phénomène des majors companies, qui sont rentrées dans la course à la techno, parce que les politiques ont dit que c’était une musique intéressante, alors ils ont fait la techno parade en 1996. Les majors ont ramené l’argent avec elles dans la danse. Ça devient un peu compliqué pour toi, surtout si tu souhaites rester indépendant. C’était peine perdue donc j’ai pris un peu de vacances, plus d’une dizaine d’années. J’ai fondé une famille, j’ai eu des enfants et je me suis reposé un petit peu. Après j’ai aussi eu des difficultés, notamment à cause d’un problème de santé, que j’ai désormais résolu. À ce moment–là je n’arrivais plus trop à envisager les choses, étant donné que je n’étais pas en bonne santé.
Comment expliquer que, depuis six mois, tu sois de retour sur scène ?
J’ai eu une résurrection, je me suis dit que j’en avais marre de rester comme ça au bord de ma piscine. J’avais envie de redire des choses ! Mais, il y a eu 3 ans de préparation intellectuelle et psychologique. Ça ne s’est pas fait comme ça. Un jour, je discutais avec un pote organisateur de soirées près de chez moi, en Belgique, il me demande si je ne voulais pas rejouer. Il y a un an, il m’annonce dans une soirée non-officielle, sans me prévenir ! Je lui dis : “T’es fou d’avoir fait ça !”. Il me rétorque aussitôt : “Ouais, mais attend, sinon tu ne l’aurais jamais fait par toi-même !”. Pour être franc, je pensais que j’étais peut-être trop vieux, mais, en fait, pas du tout ! Ce truc m’a électrisé. J’ai eu vraiment un grand plaisir à rejouer. Puis, 6 mois plus tard, j’entamais ma première date en démarrant direct par le Berghain !
Bam ! Tu n’as pas perdu de temps ! Qu’est-ce que ça fait de commencer une première tournée par le Berghain ? Ça s’est bien passé ?
Ouais, carrément ! Et ça se passe de mieux en mieux, c’est-à-dire que je me sens de plus en plus investi dans le truc, puisque je retrouve les mêmes vibrations qu’à mes débuts, lorsque je commençais la musique ! Parce que je faisais vraiment de la musique pour la musique. C’est tout ! Aujourd’hui, je veux bien recommencer mais je ne veux plus m’occuper de tous les à-côtés ! Parce que ça m’a coûté trop cher dans le sens où, à un moment donné, je me suis perdu. D’où le titre de mon premier disque Lost In Berlin, sur mon nouveau label. Ça s’appelle comme ça parce qu’à un moment donné dans ma carrière, je faisais tout, sauf mon métier : producteur, promoteur, distributeur, etc.
Tu dis que la chute du marché de la musique t’a dégoûté. Mais tu ne penses pas que le MP3, par exemple, a aussi ses bons côtés ?
Si bien sûr, mais parce qu’aujourd’hui, les choses commencent à se lisser. Cela devient plus cohérent. Mais, au début, c’était un peu la jungle. Tu pouvais blinder un disque dur de MP3. La musique n’avait plus de valeur ! Alors qu’un vinyle, t’as une pochette, t’as un truc que tu touches, c’est matériel !
Quelle valeur ajoutée cela t’apporte ?
Tu as le contact ! Les records shops commencent à repousser. Tu entretiens un contact humain avec les disquaires. Quand tu parles avec ces mecs, qui s’y connaissent, ils te disent : “Tiens, prends ça, écoute ça, ça tue !”. Quand t’es tout seul derrière ton ordi à chercher du son, c’est pas le même trip. Et puis le conseil, c’est important. C’est comme Beatport : il y a 10, 15 ans j’y allais souvent mais maintenant c’est terminé ! Tu as tout et moi j’y trouve tout … sauf ce que j’ai vraiment envie de trouver ! Tandis que chez les disquaires, j’ai mes petites adresses. On revient comme c’était avant et je trouve ça terrible ! Mais je ne suis pas totalement contre le MP3. Lorsque tu ne vis pas pour la musique et que tu veux télécharger le dernier album de U2, le MP3 rend service mais quand c’est ton métier, sur le MP3, il y a rien … Sans oublier les pochettes des vinyles, je pense à celle du Sergent Pepper avec les Beatles, ou encore la pochette coulissante de Téléphone où ils sont à poil. Ce sont des objets mythiques !
Du coup, à propos de comeback, qu’est-ce qui va se passer pour toi dans les prochaines années ? Comptes-tu enchaîner les tournées ?
J’ai un agenda qui se remplit au fur et à mesure même si je refuse encore pas mal de trucs, parce que je ne peux pas tout accepter. J’ai aussi des nouvelles productions qui vont sortir. Et lorsque tu fais le Berghain, le Rex, Astropolis, etc., faut pas te rater ! Ce sont des dates pendant lesquelles tu as intérêt d’envoyer, parce qu’aujourd’hui avec Facebook, la moindre merde que tu balances, tout le monde le sait, en deux secondes ! Mais, jusqu’ici les choses se passent très bien et ça devrait continuer.
Un récent DJ set d’Emmanuel Top, pour de mieux cerner le personnage :