Pianiste depuis l’enfance, Ben Klock a envisagé pendant un temps une carrière… dans le jazz ! Né à Berlin-Ouest, il a 18 ans au moment de la chute du Mur, et il découvre la musique électronique dans les raves qui ambiancent la réunification dans les 90’s. C’est sur le label Sonar Kollektiv, tenu par le collectif multi-facettes Jazzanova, qu’il sort son premier disque en 1998. Résident du Cookies et de plusieurs clubs berlinois, il explore différentes directions. Puis, le label d’Ellen Allien, BPitch Control, l’accueille pour quelques sorties.
Au début des années 2000, il traverse une période où il se sent musicalement en décalage avec une époque tournée vers l’electroclash. Après différents boulots en tant que graphiste ou dans un centre d’appels, il hésite même à tout stopper. C’est alors qu’il est invité à devenir résident d’un nouveau club berlinois qui ouvre ses portes en 2004 : le Berghain. “La première fois que j’y ai joué, j’ai pensé que j’avais enfin trouvé ma place. Le concept de techno doit être présenté et vécu de cette façon, et c’est ainsi que je me l’étais toujours imaginé”, raconte-t-il.
Ben Klock s’est imposé depuis comme l’un des producteurs et DJ’s les plus fascinants de la décennie. Entre le développement de son label Klockworks – qui proposera bientôt un magasin en ligne –, l’organisation d’une journée aux Nuits sonores et un retour à la production très attendu, 2015 semble apporter son lot de challenges pour cette icône à la fois complexe et désarmante de simplicité.
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Dans le dossier de presse des Nuits Sonores, tu es décrit comme le champion d’une “techno brute et rectiligne”, alors que ta musique provient d’un large éventail d’influences. Est-ce que tu ressens comme un stigmate ce style attaché à ton nom, ce soi-disant “son Berghain” ?
Je dois dire que je ne ressens plus vraiment de pression de ce côté-là. Il y a quelques années, c’était plus présent mais je n’entends plus trop le terme. Il me semble que les gens ont réalisé que mon son est davantage que de la techno rectiligne. Je pense aussi qu’on continuerait de comprendre et de suivre ce que j’essaie d’exprimer, même si je changeais radicalement de style. Je ne me sens pas forcé de faire de la techno pure et dure.
Tu ne ressens pas de pression ? Tu as le sentiment d’avoir la liberté d’exprimer ce que tu veux ?
Oui, et je m’éclate avec la techno. Je le fais car j’aime ça. Il y a des endroits où c’est parfois plus compliqué car le public est focalisé là-dessus (il lève le poing en l’air en écarquillant les yeux) : “Boah boah, tu peux jouer plus dur ?!” On voit ça de temps en temps, mais dans ces moments, je détourne vite mon attention sur autre chose. Ce n’est pas mon approche. J’aime cogner mais pas à cause de cette disposition d’esprit fermée. Lorsqu’il s’agit de choisir les disques, je ne pense pas à ce que les gens vont se dire. C’est une question de confiance en soi, qu’on acquiert avec l’expérience.
“Je ne me sens pas forcé de faire de la techno pure et dure”
Tu as récemment joué pendant plus de dix heures aux côtés de Marcel Dettmann lors du dixième anniversaire du Berghain. Qu’as-tu ressenti ce jour-là ?
C’était assez logique de faire ce set final tous les deux. J’avais joué à Tokyo la veille et je n’étais même pas certain d’y être. Je me suis dit : “Non, c’est impossible que je rate ça.” Le samedi, à la fin de mon set, je suis parti directement à l’aéroport et ensuite au Berghain. Je pense que nous aurions pu mieux jouer, mais parfois, il est dur d’être à la hauteur lorsqu’il y a une telle attente.
À ton avis, quel genre d’impact a eu le club lors de la dernière décennie sur la scène club et la techno ?
C’était spécial, dix ans… Comme tu dis : comment ça a influencé la scène ? Je pense que le club a joué un rôle majeur dans le retour de la techno au sommet. Je me souviens que lorsqu’on a commencé, elle avait complètement disparu. À Berlin, on entendait une musique complètement différente.
Il y a quelques années, tu disais : “La techno est, d’une certaine façon, sans compromis, et la question d’être célèbre ne se pose pas.” Qu’en penses-tu aujourd’hui ?
J’ai l’impression que plus je vieillis, plus je m’éloigne de la scène et de ce qui s’y passe. Je trouve que ça se professionnalise de plus en plus mais j’en reviens toujours au même point : le noyau est si important que ce n’est pas une question de business. Lorsque je parle à des collègues que j’apprécie, nous pensons tous la même chose, nous ne devons jamais oublier d’où tout cela vient. Nous avons la responsabilité de ne pas trahir la techno.
Tu es devenu, peut-être malgré toi, une icône. C’est intéressant que tu parles de responsabilité.
Parfois, je n’y pense pas, surtout en ce moment. J’étais en vacances six semaines, complètement coupé de tout ça. (rires) C’est un peu étrange pour moi car je vois la techno comme une communauté : nous partageons une idée, il n’est pas question de stars. Mais je dois dire que ça me fait réfléchir davantage, et que je m’y prends parfois à deux fois avant de choisir certaines directions. Lorsqu’on devient plus connu, on a plus d’opportunités pour aller à droite ou à gauche. Il faut donc bien choisir. Ça commence par les collaborations, les festivals où l’on joue ou pas. Parfois, il y a plus d’argent dans certains mais l’endroit ne correspond pas.
C’est assez admirable que tu refuses des dates car elles sont inadaptées ou trop commerciales.
J’ai assez d’expérience pour savoir que les choses pourraient partir dans la mauvaise direction. On peut recevoir un peu de hype et ensuite plus rien, c’est fini. J’essaie d’avoir une vision sur le long terme. C’est la même chose lorsque je crée de la musique : je me demande si c’est quelque chose que j’aimerais encore dix ans plus tard.
En ce moment, tu es en vacances, mais d’habitude, tu as un calendrier extrêmement chargé. J’ai l’impression que ces dernières années, tu avais décidé de te concentrer sur le DJing. Es-tu en train de te remettre à la production ?
Oui complètement, je n’ai pas produit depuis au moins deux ans. C’est un redémarrage total en ce moment, ce qui est vraiment excitant. Je me sens comme un gosse dans une salle remplie de jouets, j’ai acheté du matériel et je suis en train de réarranger mon studio. Je dois réapprendre beaucoup de trucs, c’est vraiment amusant.
Quelque chose a déclenché ce redémarrage ?
C’était toujours dans un coin de ma tête. Le plan avec cette petite pause, c’est de tout préparer et voir si je vais être inspiré. Là, je ne compose pas encore, je rentre dedans à nouveau.
Comment était ta vie quotidienne ces dernières années ? Tu ne produisais pas vraiment, c’était plus une question d’être prêt et en forme pour chaque date ?
Lorsque tu voyages autant, c’est presque impossible de faire de la musique. Si tu joues quatre jours d’affilée, tu dois ensuite récupérer, t’occuper de la masse d’e-mails, rencontrer ton agent, et voilà, tu es de nouveau dans l’avion. Pendant un temps, j’ai aussi pensé que ma création musicale était le DJing et j’ai tout mis là-dedans. On peut parfois le voir comme de l’arrangement, presque de la production, et j’édite aussi beaucoup de morceaux. Mais il est temps de changer et de retrouver un équilibre avec la production, et au passage de me prendre quelques week-ends de repos.
Tu sembles revenir vers l’analogique avec l’achat de matériel. Recherches-tu une qualité spécifique, une certaine chaleur ?
Je cherche de l’inspiration, qu’importent les moyens ! J’ai l’impression que repasser à du matériel analogique m’en apporte, même si j’ai toujours essayé de garder ce son lorsque c’était produit de façon digitale, comme sur l’album One. Je pense qu’on peut vraiment ajouter quelque chose de plus lorsqu’on combine les deux. Pendant longtemps, je voulais avoir ce truc à la Total Recall (rires). Lorsqu’on a ces possibilités pour tout changer en permanence, il y a le risque de trop en faire. Avec l’analogique, c’est impossible, on ne peut pas tout sauvegarder donc il faut enregistrer. Ça me force à être plus spontané, à vraiment finir et à mettre sur papier. Ensuite, on peut faire de la postproduction et éditer.
“J’aime cogner mais je ne suis pas fermé. Quand un type me dit : ‘Tu peux jouer plus dur ?’, je me détourne vite fait.”
Tu as déjà des plans pour des sorties, un album peut-être ?
Pas vraiment, c’était très important de prendre un nouveau départ et de me sentir un peu comme un gosse qui commence à faire de la musique. Je n’ai aucun plan, je possède le luxe de ne pas avoir ce genre de pression. Je ne dois pas sortir quelque chose pour dire : “Hello, je suis en vie !”
Nous l’avons un peu évoqué avec tes choix, et c’est quelque chose que j’avais ressenti avant de te rencontrer : tu mets beaucoup de réflexion dans tes actions. Est-ce que tu prépares tes sets pour trouver ces moments de transe ou tu cherches plutôt à entrer dans cet état second, où tu n’as plus besoin de réfléchir ?
Si je prépare un set avec des transitions et une dizaine de morceaux, lorsque je le joue, il n’y aura jamais cette magie. Si on planifie quelque chose dans sa tête, ça n’aura rien à voir avec ce qui se passera à l’instant T. C’est lorsqu’on se laisse aller et qu’on se focalise sur ce que le moment vous amène qu’il y a un déclic et que la magie peut arriver. Parfois, on lutte pour trouver les morceaux, on réfléchit trop et ça ne marche pas. Soudainement, on arrête de penser et on suit son instinct et là, tout s’imbrique. Chaque morceau s’enchaîne parfaitement. Il y a définitivement quelque chose de magique là-dedans.
C’est pour ça que tu penses que la techno est la musique du présent ?
Un moment zen, oui (rires) .
Tu pratiques la méditation, le yoga, ce genre de choses ?
En ce moment, je fais du yoga, mais ça ne dure jamais longtemps. De la méditation, par contre, j’en fais pratiquement tous les jours, je pense que ça aide à garder un équilibre. Ça aide aussi à aller au fond des choses. Je pense qu’il faut tenter d’aller au-delà de la superficialité, essayer de trouver un sens à sa vie, et réaliser son potentiel.
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Interview parue dans TRAX #180 (spécial techno, mars 2015)