Ben Klock, l’autre interview

Écrit par Trax Magazine
Le 24.03.2015, à 15h53
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Écrit par Trax Magazine
Qui choisir pour la couverture d’un Trax « spécial techno » ? Pour des milliers de gens à travers le monde la réponse est évidente : Ben Klock.Interview réalisée par Christophe Vu-Augier de Montgremier

Difficile de les contredire tant son histoire personnelle et sa trajectoire depuis dix ans incarnent le renouveau de la techno moderne. Bien entendu on peut discuter ce postulat, mais on ne peut que constater qu’il touche de plus en plus de gens, et une nouvelle génération qui s’éclate sur sa musique à la fois fonctionnelle mais avec toujours ce quelque chose de plus qui vous invite au “voyage”.

Le rencontrer à Berlin en ce début d’année nous a permis de parler de ses projets futurs et de son actualité du moment, ainsi que de percer un peu plus le personnage qui se cache derrière l’icône. Nous vous offrons ici un complément de notre entretien publié dans le Trax du mois de mars ; il évoque plus en détails les Nuits Sonores de Lyon, le minimalisme, ainsi que ce qu’il nous réserve avec son label Klockworks en 2015.



Tu es en charge de la programmation d’une journée du festival. Peux-tu me dire comment c’est arrivé ?

En fait nous en avons parlé l’année dernière avec José, l’un des organisateurs, car après le showcase Klockworks de 2013 nous n’avions rien fait ensemble en 2014. Nous avons donc décidé de préparer quelque chose de spécial après avoir au début réfléchi à refaire une nuit Klockworks.

La techno ce n’est pas juste sortir et se défoncer.

Lorsque les organisateurs ont présenté le concept, tu as tout de suite accepté ?

Bien sûr ! J’ai trouvé ça vraiment intéressant, ils m’ont dit qu’il y aurait un ou deux artistes (Jamie xx et John Talabot) et ils ont laissé cela très ouvert. Ils m’ont dit que presque tout était possible. Bien entendu il y a une sorte de un budget, mais ils m’ont laissé beaucoup de liberté.

Donc pas de gros groupes de rock ? (rires)

Tu sais que dans les années 80, Prince a été une inspiration très importante. J’ai dit : “On tente Prince ?”, mais on m’a répondu “hmm non peut-être pas” (rires). Tout de suite j’ai pensé Steve Reich avec Music for 18 Musicians.

Tu sembles vraiment avoir été marqué par cette œuvre.

C’est drôle, oui. C’est une œuvre très importante, un lien entre la techno et ma provenance. Elle m’a apporté une réflexion sur la manière de voir la techno dans un contexte plus large. Je ne dirais pas que c’est quelque chose d’intellectuel, mais grâce à cette œuvre, j’ai pu réaliser que la techno, ce n’est pas juste sortir et se défoncer (rires).

Cela a donc fondamentalement changé ta vision de la techno.

Oui, c’était très important et cela m’a rappelé quelque chose que je faisais lorsque j’étais enfant. Lorsque j’étais très jeune, j’avais l’habitude de m’amuser à créer ces séquences répétitives qui changent. Je jouais avec trois enregistreurs cassette et je faisais quelques trucs sans vraiment avoir une sorte d’inspiration. C’était simplement cette toute petite installation que mon frère avait créée pour moi et j’expérimentais dessus. Plus tard, j’ai compris qu’il y avait un genre musical qui se servait de ces techniques.

Enfant, tu expérimentais avec le phasing (déphasage) ?

Je prenais des bribes venant de la radio, des informations, juste quelques voix que j’enregistrais puis coupais, avant d’éditer puis rééditer (il effectue quelque bruitages avant de se mettre à rire). Je faisais mes petits trucs de nerd.

Lorsque tu as découvert Steve Reich, est-ce que tu t’es dit ? : “Tiens, quelqu’un a déjà poussé cette idée à ce niveau.” 

Je ne veux pas comparer ce que je faisais enfant à cela… Mais oui, quelqu’un l’avait déjà fait sérieusement. Je dirais que j’ai eu une certaine idée du minimalisme à un très jeune âge. J’ai toujours aimé ce genre de choses, tout réduire et jouer avec des petits éléments qui vont se déplacer.

Je sais que tu as exercé pas mal de boulots, tu as été barman, graphiste, tu as aussi eu une résidence au Cookies dans les années 90. Mais je ne crois pas que tu aies essayé d’être promoteur ou d’organiser une soirée. C’est souvent un job que beaucoup de DJs font ou ont tenté, cela ne t’a jamais intéressé ?

J’ai eu l’opportunité plus jeune de le faire avec le Cookies, mais j’ai compris que ce n’était vraiment pas mon truc. Je me sentais beaucoup plus du côté artiste que du côté business. À présent je vais doucement vers l’idée d’organiser un show Klockworks moi-même, et de m’occuper de la production avec quelqu’un qui pourrait m’aider. Mais ce n’est pas mon objectif principal d’être un promoteur ou d’avoir un club.

Il y a beaucoup de variété dans le line up des Nuits Sonores. Comment as-tu approché l’exercice ?

J’en suis vraiment heureux parce que ça montre un échantillon assez large de mes influences. Avant d’écouter de la techno, j’étais dans la soul et beaucoup d’autres genres. Nombreux sont les DJs qui se réfèrent à l’IBM/IDM, la new wave… J’écoute vraiment de tout, j’aurais adoré avoir RZA du Wu-Tang Clan car il a un son vraiment spécial, quelque chose de pas vraiment propre que je trouve très intéressant. Alors oui j’avais envie d’avoir de la variété, et aussi envie de surprendre un peu avec par exemple Goldie, le créateur de l’album Inner City Live.



Cette jungle old school.

Oui, quand j’ai commencé à mixer, j’étais vraiment dans la jungle. J’ai commencé comme ça en fait, je jouais du trip hop, de la drum & bass, de la jungle, et ensuite j’ai commencé à jouer de la house et un peu plus tard de la techno. Pour parler d’inspiration, l’album Timeless et surtout « Inner City Life » m’ont époustouflé. La première fois que j’ai entendu ce morceau, j’étais seul sur le dancefloor du WMF pendant un soundcheck et j’ai pensé : “Wow c’est complètement nouveau.” J’aurais vraiment aimé l’avoir en live car il fait cette performance avec un orchestre, mais ce n’était pas possible. Cela dit, c’est génial de l’avoir en DJ aussi, je ne l’ai jamais entendu donc c’est aussi un peu pour moi (rires).

Cela doit aussi être agréable de recevoir ce genre de marque de confiance de la part d’un festival comme les Nuits Sonores.

Tout à fait, je me sens vraiment honoré. Ce n’est pas rien de se voir proposer une telle opportunité. Je me souviens de la première fois où j’ai joué là-bas, et Laurent Garnier m’a confié qu’il ne joue plus vraiment dans des festivals mais qu’il ne manquerait pour rien au monde les Nuits Sonores. C’est un festival spécial et on a vraiment la sensation que les organisateurs aiment et respectent les artistes. Ce sont des gens avec une vision, ce n’est pas une machine à faire de l’argent.

Peux-tu me parler un peu du showcase Klockworks qui arrive à l’Electric à Paris le 3 avril ?


C’est dans cette nouvelle salle avec cette vue à 360° sur la ville. Je ne peux pas encore donner le line up, mais nous voulons faire en sorte que les visuels se superposent avec la vue de la ville !

Tu as des plans pour Klockworks cette année ? Des sorties, de nouveaux artistes ?

J’ai des plans mais rien encore de complètement sûr. Les prochaines sorties seront probablement de Trevino et Etapp Kyle. Je travaille avec de nouveaux artistes mais je suis difficile à satisfaire. Parfois j’ai deux morceaux et on cherche le troisième pendant plus d’un an. Je ne suis pas du genre : “Hmm ok oui pourquoi pas ?” C’est pourquoi je leur dis parfois d’envoyer à d’autres labels… Je dois vraiment avoir le sentiment que c’est fait pour Klockworks.

Ce n’est pas un label qui vise à sortir des disques sur une base régulière.

Exactement, je ne dois pas sortir quelque chose tous les mois. Je n’ai aucune pression de ce côté-là.



J’ai toujours ressenti la techno comme une communauté où il n’est pas vraiment question de stars ou de fans.

On m’a parlé d’un site web, tu peux me dire quelques mots à ce sujet ?

C’est un nouveau projet et c’est toujours excitant d’essayer de nouvelles directions. Il y aura bientôt un magasin en ligne avec des T-shirts et le catalogue des sorties Klockworks.

Ça c’est passé comment, tu en as fait le design toi-même ? C’était une envie de partager avec les fans ?

Pour le moment c’est un design extrait de la production d’Heleen Blanken qui est en charge des visuels lors de nos showcases, mais on a l’intention d’en avoir plus. Je me suis demandé comment on pouvait faire ça d’une manière intéressante. Je m’occupe encore du design des disques, Heleen est partie de là pour amener ces visuels à un autre niveau. J’ai pensé qu’il y avait un potentiel, nous ne sommes évidemment pas les premiers à faire des T-shirts de label, mais j’avais en permanence des gens qui me le demandaient, et j’en ai même vu qui en avaient fait eux-mêmes. J’ai donc pensé à faire quelque chose afin de pouvoir le partager avec les fans… Même si j’hésite toujours avec ce mot que je trouve un peu étrange. Je préfère parler des gens qui suivent ce que je fais. Je pense que pour les natifs anglo-saxons le sens de ce mot est un peu différent.

Tu veux dire qu’il y a une connotation un peu négative ?

Comme une sorte de groupie de groupe de rock. J’ai toujours ressenti la techno comme une communauté où il n’est pas vraiment question de stars ou de fans. Nous partageons tous une même idée.



Tu as encore ces ethos ancrés en toi ? Cette idée d’une communauté liée par cette musique ?

Ce que je veux dire, c’est que la techno ne vient pas des DJs superstars, elle vient d’une communauté soudée. Je trouve ça un peu bizarre que ça évolue de cette manière.

Pour finir, j’ai questionné beaucoup de gens qui “suivent et aiment ce que tu fais” lorsque j’ai préparé cette interview. Une question qui est revenue souvent est : “Comment arrives-tu à jouer de manière si différente en tournant autant ?”

Ça semble tellement plus facile de faire un set similaire à chaque fois, mais tu sembles arriver à créer autre chose à presque toutes tes dates et c’est vraiment impressionnant. J’avais pensé que c’était dû à ta préparation avant chaque set, mais j’ai eu des éléments de réponses pendant notre discussion, comme par exemple que tu essaies de te focaliser sur le moment présent.


Je pense que cela vient aussi de ma résidence, de devoir jouer douze fois par an dans un club comme le Berghain avec un public vraiment averti qui connaît cette musique. Nombreux sont ceux qui y vont chaque week-end, le challenge est d’arriver avec quelque chose de toujours neuf, et parfois je me dis : “Oh mince j’ai encore joué ce disque cette fois.”

La techno ne vient pas des DJs superstars, elle vient d’une communauté soudée.

C’est donc une chose à laquelle tu réfléchis ?

Ça me préoccupe un peu parfois. Mais il y a une telle quantité de musique qu’on peut toujours revenir un peu en arrière et trouver quelque chose de vieux et inconnu, et je ne parle même pas de toutes les nouvelles promos chaque semaine. Je le réalise en ayant eu un seul show ces quatre dernières semaines, j’ai trouvé tellement de musique que je n’ai pas joué un seul morceau de mon show précédent. C’était complètement neuf.

Cette résidence t’a un peu forcé à ne pas être paresseux et à toujours essayer de faire quelque chose de différent.

Oui, mais c’est aussi pour moi-même. Garder tout cela intéressant, sinon je m’ennuierais. Bien entendu il y a des morceaux que je joue tout le temps et on devient même connu pour eux. Ce sont des morceaux que l’on joue lorsqu’on se sent bien, au bon moment, et c’est normal d’avoir ces morceaux fétiches je pense. Mais je suis heureux d’entendre que des gens perçoivent que c’est frais et différent à chaque fois.

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