Bambounou : “Paris n’a rien à envier à Londres ou à Berlin”

Écrit par Sophia Salhi
Photo de couverture : ©Bambounou Flavien Prioreau
Le 14.12.2015, à 17h49
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©Bambounou Flavien Prioreau
Écrit par Sophia Salhi
Photo de couverture : ©Bambounou Flavien Prioreau
Arrivé avec deux petites minutes de retard, Bambounou s’excuse d’un sourire à faire fondre un pic à glace. Sourire déjà entrevu un soir de mai au Rex, veille de la fête des Mères. Bambounou avait filé à l’anglaise sur les coups de 4 h du matin : “Demain, je déjeune avec ma maman. Faut que je sois frais.” Une sortie qui résume bien le personnage, un garçon de 25 ans, aussi doux et modeste que ses productions, tribales et métalliques, sont piquantes et audacieuses.Article paru dans TRAX#185 (Bambounou, septembre 2015)



C’est sur le canapé cosy des sous-sols de Savoir Faire (son management) que la rencontre avec Bambounou s’est déroulée. Entre pudeur et nonchalance, le DJ et producteur détend vite l’atmosphère avec ses éclats de rire, ce qui fait qu’en moins d’une demi-heure, on a l’impression de discuter avec un vieux pote. Un vieux pote tout de même convié deux fois au Berghain et dans les meilleurs festivals du monde entier, passé chez 50Weapons et ClekClekBoom, et que ses deux albums (Orbiting en 2012 puis Centrum en 2014) et une ribambelle de maxis ont achevé de placer comme fer de lance de la scène électronique parisienne.

Revenons d’abord sur tes années skate à Paris avec ton inséparable pote Valentino, alias French Fries. On peut dire que c’est grâce à lui que tu as commencé la musique ?

Complètement. C’est avec lui que j’ai commencé à bidouiller Fruity Loops dans mon adolescence. Nos productions à l’époque, c’était vraiment n’importe quoi ! On mixait tout : techno, house, funk, rap, kuduro, coupé­ décalé… Ce qui m’intéressait, c’était la construction des sons. Ça a pris une tournure professionnelle quand j’ai recommencé à chiller avec Valentino, dans un vrai studio. Ça change de bosser dans sa chambre avec seulement une enceinte bancale ! Dans son studio, il y avait du matos, des synthés… C’est lui qui m’a expliqué les bases du métier de producteur et DJ.

Si tu ne l’avais pas rencontré, tu penses que tu aurais eu un tout autre destin ?

D’une manière ou d’une autre, j’aurais fait de la musique. Mais avec l’aide de Valentino, disons que ça a été plus facile : il avait déjà des contacts dans le milieu. J’aurais peut­être mis plus de temps, mais j’aurais quand même fini par faire de la musique, parce que c’est ce qui me fait kiffer. J’espère continuer à en faire toute ma vie. Si demain je gagne au Loto et que je n’ai plus besoin de travailler, je ferais quand même de la musique.

“La culture underground est cruciale à Paris, et on n’a rien à envier à Londres ou à Berlin. On a juste quelque chose de différent”



Quelles sont les autres personnes qui t’ont aidé ?

Le label Youngunz. Il y avait Manaré, Valentino, que des potes. On avait à peine 19 ans, on faisait des tracks à l’arrache, on les sortait, ça marchait plus ou moins bien, et après on avait des dates… C’était l’aventure ! On s’amusait beaucoup à cette époque, c’était cool.

Tu t’amuses moins aujourd’hui ?

Ce n’est pas que je m’amuse moins, mais j’ai une approche différente de la musique. Avant, je me disais : “Je vais faire un track ultra-­bizarre, ça va être drôle, je vais l’envoyer à mes potes.” Maintenant, c’est plus professionnel. Je réfléchis un peu plus, je me dis : “Cette mélodie est un peu débile en fin de compte.” Mais je m’amuse toujours autant ! Comme un enfant avec ses jouets Playmobil. Enfin, Lego, parce que je n’aime pas Playmobil. Après, tu grandis, tu aimes toujours autant ça, mais tu n’y joues plus, ou bien tu les collectionnes…

Quels ont été les lieux parisiens décisifs pour toi ?

Je sortais très souvent au Social Club. C’était LE rendez- vous, tout le monde s’y retrouvait. J’allais aussi au Rex Club de temps en temps, même si, à l’époque, c’était un peu plus âgé, et plus compliqué d’y entrer. À part ces deux-là, pas grand­-chose… Je faisais surtout des soirées en appart avec mes potes, on n’allait pas forcément en club. Quant aux rencontres que j’ai pu faire là­-bas, j’avoue que je ne m’en souviens pas trop ! J’ai dû rencontrer sans le savoir des personnes avec qui je bosse maintenant.

Le Social Club a été particulièrement important pour toi ?

C’est là que j’ai commencé à jouer, à développer une petite fanbase, puis à me faire remarquer par des pros. D’ailleurs, les sons que je joue aujourd’hui ne sont pas si éloignés de ce que je pouvais présenter à l’époque.



Je joue juste un peu plus lentement : avant, j’étais dans une fourchette de 128 à 131 BPM, et aujourd’hui, je commence à 118 pour monter à 124 BPM. Pour les grosses soirées techno, où il faut que ça cogne, je retrouve un rythme entre 127 et 130 BPM. Maintenant, je préfère les sons un peu plus sexy et langoureux. En ce moment, je sors d’une phase ambient/expérimentale intéressante parce que j’ai exploré de nouveaux sons. Sortir de ma routine m’a inspiré. J’aime bien perdre mes repères.

Tu crois que tu aurais eu le même destin si tu n’étais pas né à Paris ?

Si j’avais dû habiter en province, je me serais vite installé en ville. Si tout le monde s’agglutine à Paris, ce n’est pas pour rien : c’est là que ça se passe au niveau de la création. J’aurais fait de la musique, c’est certain. Mais elle aurait été différente. Une chose est sûre : j’aurais passé encore plus de temps sur Internet !

Oui, il paraît que tu es un grand fan des Internets… Quels sont tes sites préférés ?

À une époque, je passais beaucoup de temps sur 4chan. Mais il y avait des trucs un peu trop hardcore parfois. Si tu veux les classes des Internets, il y a 9GAG, qui est gentillet. Ensuite, il y a Reddit, qui est parfois gentil et parfois pas. Et puis il y a 4chan, qui est carrément méchant. C’est le trou du cul de l’Internet. Et après, il y a carrément le deep web, où tu peux acheter des armes, de la drogue, des tueurs à gage et même des humains. Je ne vais jamais sur le deep web, je suis perverti mais pas à ce point !

D’ailleurs, il y a eu une superbe exposition en Suisse, où deux gars avaient codé un programme pour qu’il achète des objets au hasard sur le deep web. Puis ils les ont exposés. (Random Darknet Shopper, par le collectif Mediengruppe Bitnik, ndlr)

bambounou

On dit souvent que Londres est une ville métissée et ultra­créative… Mais Paris alors ? Tu trouves qu’elle se défend à ce niveau-­là ?

À Paris, il y a deux genres de soirées : les soirées un peu snobs, c’est très cliché mais ça existe. Ce sont des soirées où tout le monde se regarde en sirotant du champagne… Je pense que les étrangers, les habitants de Londres ou Berlin ont cette image-­là des soirées parisiennes : snobs, trop propres… Mais il y a toujours eu, de l’autre côté, une scène underground très vivace. Et elle explose ces derniers temps, avec de plus en plus de free parties. La culture underground est cruciale à Paris, et on n’a rien à envier à Londres ou à Berlin. On a juste quelque chose de différent.

Quelle est cette différence ?

Avant, on avait la French Touch. Maintenant, avec Internet, tout se mélange. On ne peut pas dire que Paris est aujourd’hui le fer de lance d’un style défini. Les frontières sont outrepassées : c’est normal pour des Anglais de faire de la techno et pour des Allemands de faire la bass music. À l’exception peut-­être de la grime, qui reste une musique ultra­locale. Il y a des styles qui restent très codifiés, où l’on ne peut pas utiliser tel ou tel son… D’ailleurs, je trouve ça très dommage, ce genre de restrictions freine la créativité. Elles sont à contresens de la liberté qui régit notre génération Internet.



Paris est donc une ville où il fait bon vivre pour un jeune producteur ?

À Paris, il y a un bon équilibre entre l’underground et le mainstream. Et finalement, à Paris, tout le monde se connaît, on peut vite se trouver une famille et y évoluer. Et il n’y a pas, à mon sens, de guerre musicale ou politique entre les différentes scènes. On sait ce que les autres font, c’est cool et il n’y a pas de rivalité. C’est beaucoup plus simple qu’à Londres par exemple, où tout est très codifié. En ce sens, Paris est plus libre que Londres. Peut­-être pas plus libre que Berlin, parce que cette ville est quand même ultra-­libre, c’est limite la débauche. C’est d’ailleurs dû à leur histoire, mais c’est un autre sujet !

Justement à Berlin, tu as joué au Panorama Bar. Tu nous racontes ?

La première fois, c’était de 7h à 10h du matin, c’était magique, je me souviens de l’ouverture des volets… C’était la première fois que j’y jouais mais surtout la première fois que j’y allais ! Tous mes potes me disaient : “Tu verras, c’est le meilleur club du monde !” Et moi je pensais, ça va, on se détend, c’est juste un club. Ils avaient bien sûr raison. La deuxième fois, c’était avec Laurent Garnier en février dernier. C’était fou !

Tu danses beaucoup lors de tes sets. C’est le cas aussi quand tu composes ?

C’est essentiel pour moi : j’arrive à juger un bon son s’il me fait danser. D’ailleurs, quand je compose, je dois être à l’aise, en caleçon ou pyjama. Quand on allait au studio avec Valentino, on retirait nos chaussures, on se mettait bien, on avait une vraie préparation, un rituel. Et si on ne danse pas, c’est qu’il y a un problème. Cette musique doit faire danser les gens, elle ne revendique rien de plus que le droit de s’amuser.



Tu n’es donc pas (pas encore ?) d’accord avec Jeff Mills, pour qui la musique électronique ne rime pas forcément avec la danse…

C’est vrai, mais lui a une très longue et belle carrière derrière lui, et je trouve logique qu’il pense cela aujourd’hui. Il prend le contre­pied. J’ai lu une interview où il expliquait qu’il ne regarde même pas le public. Je crois qu’il recherche désormais une expérience spirituelle plus que purement festive. C’est une approche artistique respectable et peut-­être plus mûre. Moi, je n’en suis pas encore là. Chaque chose en son temps.

Autre chose, est-­ce que ça t’arrive de “nettoyer” le dancefloor, comme le font certains DJs, en passant des tracks bizarres ou inaudibles ? Parce que tu aimes bien le bizarre tout de même…

Avant, je pratiquais l’épuration à tour de bras. Même dans mes productions, plus c’était bizarre, plus ça me faisait kiffer. Mais il fallait toujours que ça reste un peu dansant. J’adore casser les habitudes des gens, les sortir du canonique 4 par 4. C’est vrai qu’en ce moment, je mets des tracks coquins dans mes sets, où l’on ne sait pas trop ce qui se passe. C’est très efficace, non pas pour nettoyer, mais pour laisser le temps aux gens de se reposer avant de les secouer pour de bon ! Il faut toujours prendre des risques quand on mixe, c’est ce qui donne du souffle à l’ensemble.

Tu tournes beaucoup en ce moment, en festivals ou ailleurs… Tu as le temps de produire quand même ?

Oui. Mais moins qu’avant, car c’était vraiment compulsif. Maintenant, j’ai une autre approche : je produis seulement quand j’ai des idées. Je pense que mon travail est plus qualitatif. Cependant, j’aimerais bien retrouver cette sensation de compulsion, d’obsession… Quand j’ai fini Centrum (son deuxième album, sorti au début de l’année sur 50Weapons, ndlr), je me suis donné deux semaines de pause.

“Avec Internet, tout se mélange. On ne peut pas dire que Paris est aujourd’hui le fer de lance d’un style défini.”

Je n’ai pas touché à une machine. C’était horrible ! En plus, je me suis fait voler mon ordinateur entre-­temps, donc impossible de faire de la musique. C’est d’ailleurs depuis ce moment que je suis passé à cette approche moins compulsive de la production. Mais en ce moment, je suis pas mal productif, je fais un track par jour que je mets de côté.

Ça veut dire qu’il va y avoir des nouvelles sorties bientôt ?

Pas forcément, parce que j’aime bien avoir plein de tracks que je peux jouer en club, et ne pas les sortir ou même dire ce que c’est. Quand j’étais plus jeune, je voulais sortir tous les tracks que je jugeais cool. Maintenant, quand je fais un track, je le mets de côté, j’attends un peu, je le réécoute plus tard. Sans pour autant le modifier, mais juste pour l’évaluer avec du recul.

Tu sembles avoir de bonnes relations avec des anciens titres, tu ne les juges pas durement comme d’autres artistes peuvent le faire.

Je n’ai pas honte du tout, mais parfois, quand même, je me dis que je n’aurais pas dû sortir tel ou tel morceau. On change selon les périodes de sa vie, ce n’est ni bien ni mal. Et les gens suivent quoi qu’il arrive. Pour d’autres artistes, il y a aussi la dimension de l’identité, savoir si tu gardes le même nom.

Et tes alias, qu’est-­ce que tu en fais ?

J’en ai plein mais je ne les sors pas. Ils ne sont que pour moi ! Ça ne me dérange pas qu’on écoute les tracks de mes alias, parce que si tu as la référence et que tu cherches sur Internet, tu ne trouveras rien. Et ça me fait rire. Si jamais je sors des releases sous mes alias, je ne le dirais à personne. Rester secret, c’est un peu le principe des alias…



D’ailleurs, pourquoi Bambounou ?

Je ne l’ai pas choisi. C’est une copine qui m’a donné ce surnom quand j’avais 15 ans, c’était entre mes potes et moi. Quand j’ai commencé à faire de la musique, je n’avais aucune idée de nom, et je ne me projetais pas du tout. Du coup, j’ai gardé ce nom, même s’il est un peu stupide, un peu raciste et un peu louche. Je le vois comme une forme d’autodérision. Et puis sur Internet, on trouve facilement Bambounou. Tandis qu’un autre blaze aurait peut-­être pu être lié, par exemple, au site d’une industrie de recyclage des eaux usées !

Tu songes à monter un label ?

Oui mais ce n’est pas pour tout de suite. Je sais que c’est beaucoup, beaucoup de travail et surtout, il faut avoir une vraie bonne idée et une vision derrière, sinon, ça ne sert à rien. Des labels, il y en a un nouveau par jour. Ce n’est pas la peine de se lancer pour faire un énième label de techno random. Je préfère me donner le temps de peaufiner tout ça.

50Weapons, c’est la fin. Est-ce que les Modeselektor vont lancer un nouveau label ?

On ne peut rien dire ! C’était prévu depuis le début : sortir 50 bombes et ciao. C’était vraiment malin quand même. Je ne pense pas qu’ils aient choisi cette démarche dans le but du faire du collector, de plaire aux fétichistes. Ils n’ont pas cette prétention.

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J’ai été tellement heureux d’avoir bossé avec eux, ils ont vraiment un son bien distinct, bien à eux.

Tu penses être amené à retravailler avec eux ?

Oui, absolument. Je ne sais pas comment ça va se passer… En fait, je ne peux pas encore en parler !

Sinon, il paraît que tu as rencontré Jay­-Z récemment…

J’étais à New York avec un pote qui fait toutes les scènes pour Jay­-Z, Kanye West, Rihanna, Drake, etc. Je le rencontrais seulement pour prendre un verre, et, sorti de nulle part, très nonchalamment, il me demande si ça me dit de rencontrer Jay-­Z. On est partis dans un studio le rejoindre, il y avait une dizaine de musiciens, un DJ, un ingé-­son… Il répétait pour un event spécial où il allait jouer seulement ses faces B, sans aucun hit. J’ai trouvé cette approche très intéressante et noble.

Quel est ton meilleur souvenir derrière les platines ?

J’ai un problème : je ne suis pas très objectif quand je joue. À chaque fois, je n’ai pas l’impression de faire le meilleur set du monde, mais j’ai l’impression de m’amuser comme jamais ! Même s’il n’y a que trois gars dans la salle et que la soirée est un échec total, je me dis que les trois gars ont dansé, donc c’est cool. Je ne crois pas avoir eu de moment phares, épiques, où j’ai pleuré à la fin de mon set.


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