B12 : le mythique duo techno de Warp Records fait son grand retour en live

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©B12
Le 24.11.2017, à 10h52
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Photo de couverture : ©B12
Ce samedi, le duo anglais de l’âge d’or de la techno européenne vient pour la première fois depuis plus de 20 ans à la rencontre du public français, et quoi de plus charmant que cet évènement se produise à Concrete, là où tout à redémarré de ce côté de la Manche. Auteurs de deux albums pour Warp et d’une série de maxis plus cultes les uns que les autres sous des alias des plus ésotériques, Mike Golding et Steve Rutter ont inventé au début des années 90 une techno inspirée du romantisme de Detroit, mais lui insufflant une dimension toute européenne au charme désarmant.

Par Christian Bernard-Cedervall

Aux côtés de Stasis, Black Dog, Nuron, As One et quelques autres, ils allaient produire une musique aux accents mélodiques prononcés, depuis bien longtemps portée disparue des dancefloors : les mid-nineties sont en effet une période charnière, car alors que Warp records est le grand label fédérateur en terme d’albums de musique électronique, leur catalogue est autant consacrés aux skeuds dancefloor qu’aux expérimentations d’Aphex Twin, Autechre et autres Squarepusher. Seulement, ce sont ces derniers qui portent le plus l’excitation, celle de repousser les limites, de constamment se remettre en question, ce qui n’était pas vraiment le but de B12.

« Après nos deux albums pour Warp, ils nous ont demandé de changer notre style, d’essayer de faire des choses plus dans l’air du temps, et c’est pour ça que notre troisième et dernier disque pour Warp s’orientait vers la drum’n’bass, un peu à la Photek. Mais sans que nous regrettions ce disque, notre désir était tout de même de continuer dans notre voie. Cette frustration conjuguée avec la disparition de Rob Mitchell (cofondateur de Warp) nous a progressivement poussés à prendre du recul sur le monde de la musique ».

Ainsi, avec l’avènement de l’IDM d’un côté, et les free parties de l’autre, l’entre-deux qu’occupait jusqu’alors le duo se réduit à peau de chagrin, et c’est par là même que tout un savoir va se perdre pendant plus d’une décennie. En effet, une des caractéristiques majeures de B12 réside dans leur capacité à produire des live analogiques hautement inventifs, et pour le coup vraiment « live ».

« On était quelques-uns à l’époque à se casser la tête ainsi, mais ce n’était pas facile : on était obligé de ramener deux Atari ST 1080 sur scène avec deux samplers, le tout pour pouvoir atteindre la mémoire suffisante pour stocker les sons d’une petite dizaine de morceaux, un seul n’en contenait qu’à peine quatre ! Donc nous étions en plus obligés de ruser lorsque le premier avait fini son œuvre, de balancer des grosses nappes de synthés pendant qu’on débranchait et rebranchait la nouvelle machine sur la table de mixage, avec tous les accidents sonores que tu peux t’imaginer. Mais ça avait évidemment son charme, et ça te rend également créatif. Quand on tournait avec Warp, combien de fois n’avons nous pas vu AFX passer des bandes DAT, avec des morceaux qui sonnaient donc exactement comme sur les disques… Lui et d’autres te ramenaient leur musique sur scène, nous on te ramenait carrément notre studio !»

Ce labeur qui constitue une de leurs marques de fabrique sera également à l’origine d’une forme de crise d’identité profonde dans la seconde partie de leur carrière.

« Au milieu des années 2000, sur l’invitation de vieux fans (Posthuman!), nous sommes ressortis de notre « retraite » pour faire un live dans une sorte de festival. Et là, alors qu’on avait tout préparé comme à l’ancienne – n’ayant que tout juste remplacé les Atari par un PC – on s’est retrouvé face à des « collègues » limite médusés à la vision de notre setup – une table 24 pistes, deux boites à rythmes, des synthés, des séquenceurs, des effets, des montagnes de câbles, et donc un PC – C’est quand on a vu le musicien qui nous suivait sur scène s’installer avec son MacBook et à peine plus qu’on à compris qu’on avait loupé une étape ».

Steve et Mike se délestent alors de tout leur matos (au pire moment) pour embrasser la production digitale. En résulte une intense période de créativité entre 2007 et 2009, avec la réactivation de leur label éponyme, un nouvel album à la promesse prématurée – « Last Days Of Silence » – une petite dizaine de maxis des amis et d’eux-mêmes, ainsi qu’une série de compilations réunissant leurs archives complètes.

« Même si aujourd’hui on a un peu les boules d’avoir vendu toutes nos machines pour 5-10 fois moins que ce qu’elles valent aujourd’hui, nous avions sans doute besoin de nous libérer du studio. Après avoir arrêté de produire pendant aussi longtemps, reprendre les réflexes et la discipline que nécessite cette manière de produire, avec les nombreux changements dans nos vies respectives et les nouvelles responsabilités engendrées, la liberté de pouvoir produire quand on veut, peut importe où on se trouve était sans doute la condition sine qua non à notre retour. Si aujourd’hui nous rééquilibrons largement notre setup vers les machines, si nous retrouvons des rituels plus physiques induis par la confrontation avec les machines versus être assis devant un écran une souris à la main, il était important de passé par là afin de se rendre compte de ce qui était perfectible dans notre ancienne façon de faire. »

Ce retour coïncide avec un premier retour en grâce de cette techno à l’ancienne, avec d’autres héros de ce passé relançant la machine, à l’instar de Kirk Degiorio (As One) ou Lee Purkis (Insync). Hélas, si les trainspotters et autres geeks de la techno répondront présent, c’est aussi l’époque de l’avènement de la Berghain techno… Sans doute trop délicate pour l’époque, la musique de B12 fait alors figure d’artefact du passé, peu être encore trop présent pour les fans du début, mais encore trop nébuleuse voir ésotérique pour les nouvelles générations, ce qui est paradoxal lorsqu’on connait leurs origines.

« Bien sûr que nous étions fascinés par les premiers Transmat, les premiers Model 500, Mayday, etc. Mais justement, nous étions tellement fascinés qu’il nous aurait été impossible de trouver dans cette musique l’inspiration – ou plutôt l’aspiration – pour nous saisir nous-mêmes de cette énergie et créer notre propre musique. En fait, le déclic ça été Frankie Bones. Nous étions DJ’s, ou du moins très intéressés par ça, et quand on a entendu la série des Bonesbreaks (mythique série de maxis techno et house, essentiellement composés de samples et de collages de funk, post punk et electro, le tout produit de manière parfois assez roublarde, NDR), ça nous à parlé. Déjà, on connaissait les morceaux qu’il utilisait, et donc c’était moins intimidant, et on s’est dit que ça, on serait peut-être capable de faire quelque chose de semblable. »

C’est peut être cette même charmante naïveté qui est à l’origine de leur actuel retour en grâce : depuis deux ans, Steve à repris le chemin des studios, produisant une remarquée série de maxis pour Delsin, Soma, CPI, et son nouveau label Firescope, au point de pousser Warp à rééditer Electro-Soma, le premier album de B12, ainsi qu’un second album « compagnon », remplis de titres inédits ou jamais compilés. Et c’est là qu’intervient le destin : la critique est élogieuse, RA, Fact, Pitchfork, Trax, tout le monde célèbre cet artefact du passé comme une pertinente expression contemporaine ! Est-ce que l’incertitude de notre époque nous pousse vers des rivages plus insouciants, vers une musique plus directe et plus universelle sans pour autant être simple ? Qui sait… Toujours est-il que ce succès à également poussé Mike hors de sa retraite, B12 reprenant ainsi la route des clubs en héros. Et si le facteur nostalgie et l’aspect marketing de faire une tournée autour d’un vieil album culte ne sont sans doute pas étrangers à cet inespéré troisième chapitre à leur histoire, n’y voyez là aucun cynisme.

« Déjà à l’époque nous jouions nos morceaux, mais en live ! C’est-à-dire que ce n’est jamais deux fois la même choses : il y a des éléments mélodiques qui structurent un peu les performances, mais au-delà de ça, nous n’avons aucune idée de ce que nous allons faire, tous les rythmes sont improvisés sur le pouce, comme dans le jazz, et nous nous surprenons parfois autant voire plus que le public (rires). Si à l’époque de Warp notre identité était devenu une faiblesse – tout du moins d’un point de vue marketing – elle s’avère sur le long terme une force, car on constate que notre démarche de toujours semble parfaitement naturelle aux nouvelles générations, que cette façon de faire quasi artisanale est devenue la norme. Alors nous ne prétendons pas avoir inventé quoi que ce soit, mais c’est tout de même une forme de satisfaction de voir que peut-être, quand nous avons refusé de nous conformer à ce que l’on attendait de nous, nous n’avions pas complètement tort, même si ça à été très long (rires). »

Devant le succès de ces nouvelles prestations, Warp à déjà prévu de rééditer leur second album l’an prochain, ce qui va laisser suffisamment de temps au duo reconstitué pour produire leur prochain album, de retrouver le fil d’une histoire trop souvent construite dans l’adversité voire le dédain. Alors que Mike embrasse avec plus d’aisance les musiques les plus avant-gardistes, Steve a toujours revendiqué sa conviction d’une musique plus directe, solaire, qui ne s’embarrasse pas de bruits parasites, de chaos « expérimental », la techno de B12 s’exprime dans une forme de pureté, même si c’est souvent pour explorer des voies particulièrement contrastées, finalement assez proche de là où peuvent aujourd’hui se trouver Luke Slater ou Aleksi Perälä !

« Un jour, j’ai croisé Derrick May en club (nous dit Steve), presque par réflexe de fan transi, je suis allé me présenter et lui serrer la main, mais il m’a complètement ignoré. Cette génération de Detroit sait qui nous sommes, mais ne nous a jamais respectés. J’arrive à comprendre pourquoi, les implications économiques peut-être, le fait qu’ils pouvaient nous percevoir comme des concurrents illégitimes ou je ne sais quoi, mais c’est dommage, car au final, je pense que ce que nous et quelques autres comme Steve Pickton (Stasis) faisions était une sincère émancipation de tout ça, une proposition originale. Ça nous touchait ce manque de reconnaissance. Je ne sais pas si c’est uniquement lié à ça, mais Steve ne veut plus produire de techno maintenant, c’est tellement dommage. Tout ce que j’espère, c’est que cette nouvelle chance de présenter notre musique n’est pas seulement liée à la nostalgie, que les jeunes qui nous découvrent vont se saisir de ça pour faire des choses dont nous n’aurions nous-mêmes pas l’idée, et nous serons leurs premiers supporters ! »

B12 sera en live à Concrete ce samedi 25 septembre aux côtés de Marcellus Pittman, Embryo, Mud Deep, Sandro…

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