À Lille ou à Nice, lundi matin, les promoteurs de la musique électronique se sont réveillés avec la gueule de bois devant les résultats du premier tour des élections régionales qui donnent notamment Marine Le Pen en tête en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Marion Maréchal-Le Pen au même niveau en PACA. Fanny Bouyagui, la fondatrice d’Art Point M, qui organise le N.A.M.E. Festival, nous confiait par e-mail jeudi : “On est tristes, on flippe. On en parle beaucoup. Et bien sûr, ce qu’on redoute le plus, c’est que Marine Le Pen soit élue présidente de la région dimanche. On est en mode bataille rangée.”
Du côté de Nice, chez Panda Events, organisateur des Plages électroniques ou du festival Crossover, l’ambiance n’est pas non plus à la fête : “Tout le monde est catastrophé dans le milieu de la culture, explique Yan Degorce-Dumas, le responsable de la communication. Sur les réseaux, c’est partagé entre les appels au Front républicain et les appels à ne pas voter, parce qu’Estrosi comme rempart contre le racisme, c’est quand même une vaste blague.”
Quel serait l’impact d’une présidence de région FN sur les structures organisatrices d’événements dédiés à la musique électronique ? Si un festival comme Marsatac (à Marseille), largement subventionné par la région, peut légitimement avoir des craintes, une présidence FN n’obligerait pas la plupart des promoteurs à mettre la clé sous la porte. Dans le Nord, Art Point M ne reçoit rien du conseil régional. “Le N..A.M.E n’a rien à voir avec la région et encore moins si le FN l’emporte. Concernant les lieux, c’est la mairie qui décide d’accorder les autorisations.”
Même son de cloche chez Panda Events : “On n’est pas sous perfusion de la région. Les subventions régionales correspondent à 2 % de notre budget global. Ça ne va pas remettre en cause notre existence, même si ça risque de la compliquer. Perdre 20 000 ou 30 000 euros sur un event, même à 600 000 euros de budget, ça fait un creux difficile à rattraper. Ça remettra peut-être en question certaines façons d’agir sur nos festivals.”
Pour Pascal Maurin, orga des festivals électro Résonance à Avignon et Kolorz à Carpentras, “si le FN passe, nous ne devrions pas être impactés. Nous ne recevons pas de subvention de la région sur nos événements, sauf pour Résonances à Avignon où l’on s’attend à une possible diminution.” Selon Yan Degorce-Dumas, si “les dispositifs de soutien du secteur culturel sont menacés”, le contrecoup serait surtout moral. “Il risque d’y avoir une baisse de la volonté politique d’accompagner la culture en règle générale, et ça, c’est important.”
Le mauvais exemple des mairies FN
À Paris, Tommy Vaudecrane, le président de Technopol, a peur pour les petites structures. “La région subventionne de nombreux lieux, associations ou institutions culturelles. Quels choix feront-ils ? Nous ne le savons pas. C’est aussi ça le problème : ils n’ont pas de programme. Leur méthode est celle de la punchline à la télévision, et leur discours, c’est : ‘Vous avez tout essayé sauf nous, alors essayez-nous.’ Lorsqu’ils sont arrivés aux responsabilités aux municipales, on a bien vu ce qu’ils faisaient, ou ne faisaient pas, pour la culture. On a déjà mis un doigt dans la merde, et on irait y mettre le bras ?”
Le Front national a effectivement déjà démontré son peu d’affection pour la culture et pour la scène électronique, notamment dans les onze villes gagnées lors des municipales 2014. Lucas Defosse, le président de Pléiade Prod (K-Live, World Trance, Positiv, Insane), a immédiatement réagi : “Lorsque Beaucaire (Gard) est passé FN en 2014, nous avons aussitôt décidé de déplacer le festival. Nous n’étions soutenus financièrement qu’à hauteur de 5 % par la mairie, mais nous ne voulions pas être associés à leur image et surtout, le maire Julien Sanchez a eu des mots bien sentis sur la techno.”
En août 2014, le maire FN de Luc-en-Provence, dans le Var, avait interdit l’Amne’Zik Open Air Festival pour “des raisons de sécurité”. À Fréjus, à la même période, c’est le festival Funk Family Fest qui avait été annulé par le maire Front national. Thomas Renault, le trésorier de Joga Prod, raconte son expérience : “L’annulation du festival tient surtout au fait que le FN fonctionne par copinage : ils ne veulent travailler qu’avec des structures qui font partie de leur cercle. À Fréjus, la mairie travaille avec une agence événementielle qui a remporté un appel d’offres, La Patrouille des Événements, très proche du parti (lire cet article de Marianne Comment les copains de Marine Le Pen festoient à Fréjus). Pour organiser des événements dans la ville, il faut que ça passe par eux, ou être en bonne relation avec la société ou la mairie. Ce n’est donc pas la musique qui a joué, d’autant que quelques semaines après, la mairie a organisé une grande fête EDM dans les Arènes. Le maire de Fréjus, David Rachline, est jeune et sort souvent en boîte pour écouter de la soupe électronique. Il n’aura donc jamais officiellement un discours anti-techno, surtout à une époque où tout le monde écoute de l’électro. Par contre, il est plus paillettes et champagne que techno qui tape dans la boue.”
Apprendre à vivre avec le FN
Pour Pascal Maurin, il va falloir s’habituer et apprendre à vivre avec des élus frontistes. “Dans notre territoire, le parti d’extrême droite a fait 48 %, avec 25 ans de forte implantation. Ici, le vote FN n’est pas une surprise, c’est un vote d’adhésion, notamment parce que la droite locale est divisée et a déçu. Si nous maintenons le Kolorz à Carpentras, donc dans la circonscription de Marion Maréchal-Le Pen, c’est d’abord parce que le maire nous soutient complètement, et aussi pour montrer que le FN n’est pas la seule solution. Le festival permet aussi de changer l’image de la ville.”
Mais les conséquences négatives d’une présidence de région FN sur la scène électronique ne seraient qu’un moindre mal. Le champ de compétences des conseils régionaux est large : transports, logement, politique de la ville, lycées… “Il ne faut pas voir qu’à travers notre prisme culturel, confirme Yan Degorce-Dumas. C’est surtout au niveau social qu’il risque d’y avoir un impact. Quand je vois que Marion Maréchal-Le Pen veut supprimer les plannings familiaux…”
Pour Pascal Maurin, l’arrivée du FN serait mauvaise en termes d’image, et aurait certainement un impact sur l’économie du tourisme. De son côté, Fanny Bouyagui, d’Art Point M, s’inquiète pour 2017. “À quelques jours du second tour, je n’en suis pas à me demander si ça peut avoir un impact sur Art Point M et ma seule petite personne… Ce qui importe, c’est l’impact global à l’échelle de la région, qui sera forcément désastreux. Et pourtant, je suis sûre qu’avant les présidentielles, il ne se passera rien. MLP ne fera aucune vague, c’est ça qui est pernicieux. Nous lui servons de marchepied pour 2017.”
Tommy Vaudecrane, de Technopol, craint une régression de la techno si la vague FN se confirme aux présidentielles et s’inquiète des rapports entre organisateurs d’événements et élus d’extrême droite : “Avec Les Républicains, c’est déjà plus difficile mais ils ont une oreille attentive. Mais le FN ne comprend pas du tout ce qu’on fait. Avec eux, on va revenir en 1995, à devoir réexpliquer que la techno, c’est de la musique, et que les organisateurs ne sont pas des dealers de drogue.”
Propos recueillis par Smaël Bouaici et Jean-Paul Deniaud