Avec 100 synthés pour enfants, cet artiste japonais crée une fascinante symphonie électronique

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
Le 13.09.2018, à 09h48
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Asuna Arashi est un artiste sonore japonais qui se démarque des autres créateurs de drone music, d’ambient ou de minimal. Son originalité ? Il crée un espace sonore qui, s’il s’apparente à une installation d’art contemporain, plonge le spectateur dans une transe induite par des synthétiseurs pour enfants. Sa performance “100 keyboards” pourra être vécue en chair et en os le 23 septembre prochain, au festival Scopitone de Nantes.


L’artiste a signé plusieurs albums, dont Mille Drop et Organ Leaf. Seul ou en collaboration, Asuna Arashi pense des compositions expérimentales. Depuis quelques années, il se focalise sur la performance sonore. Avec “100 Keybords”, il crée un océan de fréquences, dans lequel il faut se mouvoir pour profiter pleinement de l’expérience. Arashi a répondu aux questions de Trax sur la genèse du projet et sa vision de la musique.

Quand as-tu possédé ton premier clavier ?

À l’époque où j’étais enfant, il y avait déjà un clavier CASIO à la maison. C’est celui de ma soeur, qui l’avait reçu en cadeau d’anniversaire, mais c’est moi qui en jouais le plus souvent. Avec le temps, ma soeur a totalement arrêté de jouer avec, donc c’est devenu le mien. Et je l’ai utilisé comme instrument principal pour mon premier enregistrement sur un petit lecteur cassette, un jouet lui-aussi.

Comment est venue cette obsession pour eux ?

C’est lorsque j’étais ado. J’écoutais beaucoup de CDs de music lo-fi. Comme Dragibus, Puzzle Punks, Super Ball, Caroliner Rainbow, Füxa, Flowchart, Sentrido, Dump, Daniel Johnston and Klimperei, etc. Beaucoup d’entres eux utilisaient des mini-claviers, des claviers pour enfants. En fait j’ai commencé à en rassembler spontanément. Comme je n’avais pas trop d’argent cependant, je ne pouvais m’acheter que des trucs pas cher. J’en ai même parfois récupérés au fond d’une poubelle.

J’en ai même parfois récupérés au fond d’une poubelle. 

Tu as étudié la musique ?

J’ai appris à résister à cela étant jeune.

Comment as-tu eu l’idée de “100 keyboards” ?

Lorsque j’étais étudiant, j’étais intéressé par le point de vue des WrK (composé par Minoru Sato, Toshiya Tsunoda, Jio Shimizu, Atsushi Tominaga, Hiroyuki Iida) qui sont un groupe japonais mythique des années 90. Il n’y a pas forcément de lien direct avec ma performance 100 keyboards, mais j’ai été énormément inspiré par leur conception de la perspective, des phénomènes physiques du son. Ensuite, c’est premièrement les signatures sonores à part qui m’ont fasciné : Tony Conrad, Charlemagne Palestine, Alvin Lucier, Phill Niblock, Harry Partch, Conlon Nancarrow, José Maceda, LAFMS, M.E.V., H.N.A.S., RLW, Merzbow, Masonna, Solmania.

J’ai joué dans quelques groupes, mais c’est une toute autre méthode que j’ai voulu utiliser pour créer, comme celle de musiciens que j’adorais, et adore toujours : Pierre Schaeffer, Pierre Henry, Iannis Xenakis, Luc Ferrari, Bernard Parmegiani, François Bayle, Dominique Perrier, Costin Miereanu, Jean-Michel Jarre, Igor Wakhevitch, Jean Schwarz, Francois Bayle, DDAA, Art Zoyd, ZNR, Jacques Berrocal, Pierre Bastien, Bernard Fort, Xavier Garcia, etc.

Où as-tu trouvé ces 100 claviers nécessaires à ta performance ?

J’allais souvent dans des brocantes, des magasins de seconde main. Parfois c’était quelqu’un qui me donnait un clavier qu’il n’utilisait plus, et puis comme je l’ai déjà dit j’en récupérais aussi dans la rue, dans une poubelle. Donc au fil des années, je suis assez facilement parvenu à 100.

Quelle importance a l’environnement dans lequel tu te produis ?

Ce que je fais n’est pas juste de la minimal drone avec 100 claviers. Ma vision c’est plutôt la résonance complexe générée par ces claviers et la manière dont leurs fréquences interfèrent entre elles. C’est pourquoi il est préférable de le faire dans un environnement avec une très bonne acoustique.

Et pourquoi utiliser des claviers pour enfant ?

Les claviers peu chers pour enfant, qui fonctionnent à piles, ont une tonalité instable, ce qui crée un effet appelé moiré pattern, une sorte d’interférence, de changement d’échelle sonore lorsque deux instruments similaires jouent la même chose avec une tonalité très légèrement différente. C’est justement parce que ce sont des jouets, que leur son, leur tonalité est légèrement altérée de base, jamais la même, que le résultat est instable. Cependant, en travaillant sur ces interférences, et la résonance, ont peut arriver à créer plusieurs variétés d’ondulation, de densité du son.

La forme de l’installation de la galerie Kapo rappelle un peu un mandala. Et cela sonne aussi un peu comme l’orgue d’une église. Quelle est ta relation à la spiritualité, à la religion ?

La galerie Kapo est un studio très important à Kanazawa, ma ville natale. Je dispose les claviers en cercle, mais ce n’est pas dans une démarche religieuse. C’est pour adapter le son à la typographie du lieu.


Tu dirais qu’il y a l’influence du Zen dans ta musique ?

Non. Quand un artiste est étranger, on le questionne toujours par rapport à l’environnement dans lequel il est né. Bien sûr, j’imagine que ça m’a un peu influencé, ce qu’on appelle orientalisme. Mais trop d’artistes cherchent à façonner leur identité par rapport à la culture, la nature du pays où ils sont nés. Moi j’aimerais produire des choses qui dépassent ce genre d’individualité. Après, si quelqu’un ressent l’esprit zen, méditatif dans mes performances, il n’y a aucun problème.

 Moi j’aimerais produire des choses qui dépassent l’individualité. 


Qu’est-ce que tu ressens lorsque tu joues “100 keyboards” ?

J’écoute attentivement la complexité des interférences, et comment elles résonnent dans l’espace.

Et quel genre d’émotions voudrais-tu transmettre au public ?

Dans ce genre d’expérience auditive particulière, j’aimerais qu’on prête attention aux subtiles variations des interférences sonores, de la résonance, selon votre position dans l’espace où se déroule la performance. J’aimerais qu’on écoute en bougeant autour des claviers, en changeant la direction de ses oreilles. Ces interférences complexes et cette résonance révèlent différentes boucles, beats, si l’on change de position toutes les quelques minutes. J’espère que l’expérience sensorielle de l’auditeur sera perpétuellement renouvelée.

Il sera possible d’évoluer dans l’ocean sonore d’Asuna Arashi lors du festival Scopitone, le 23 septembre prochain.

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