Australie : comment le festival aborigène Yumaanda s’oppose à la fête nationale par la techno

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Tongberang'i Ngarrga Inc
Le 28.01.2020, à 15h31
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Le festival de techno aborigène Yumaanda cherche à oublier les conflits de l’Australia Day en se reconnectant à la culture indigène et à l’environnement. Dans le bush, les festivaliers ont apprécié, ce 26 janvier dernier, son ambiance détendue et chaleureuse.

Par Lilas-Apollonia Fournier, à Rubicon (Australie)

Ils appellent l’Australia Day, “le Jour de l’Invasion”. Lors du long-week qui célèbre la fête nationale, des centaines d’Australiens se sont réunis au festival Yumaanda, situé dans le bush à deux heures de route au nord de Melbourne, et organisé par le collectif techno aborigène Tongberang’i Ngarrga Inc.

En Australie, la fête nationale est un sujet tabou qui divise les citoyens, car il célèbre la naissance de la première colonie britannique océanique en 1788. Chaque 26 janvier, des milliers de personnes défilent dans les rues des grandes villes pour demander à changer sa date, car ils voient dans cette fête la célébration d’une invasion contre les Aborigènes et leurs terres. Lui-même aborigène, le ministre des Affaires indigènes Ken Wyatt a pourtant déclaré ce week-end que la fête nationale devrait continuer à être célébrée le 26, et rappeler “le bon et le mauvais” de l’histoire de la nation.

À contre-courant, l’organisation à but non lucratif veut sensibiliser aux cultures traditionnelles tout en promouvant une trentaine d’artistes, dont 50 % sont indigènes. « Yumaanda signifie “donner” en Taungurung (la langue des peuples aborigènes du centre du Victoria) », explique Sam Nolan, coorganisateur du festival et membre du duo de techno aborigène Brothers. « L’événement est mené par des Autochtones et veut leur donner un rôle central. Nous voulons que les gens partagent du temps et un endroit ensemble ». Indigène par sa mère, il raconte le racisme qu’a subi sa famille, dans un pays lourdement impacté par le colonialisme. « Tous les Aborigènes ont vécu une expérience négative. Je ne veux pas que l’histoire de ma famille ne soit qu’une lutte, je veux aussi qu’elle soit une fierté ». Tous les bénéfices du festival seront redistribués dans des ateliers et événements musicaux pour la jeunesse aborigène, que mène Tongberang’i Ngarrga Inc, comme le “Deadly Disco”.

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©Lilas-Apollonia Fournier

L’empathie et l’ambiance détendue du bush qu’ont instaurées Sam, son frère Seth et l’artiste Luke Isaacs, alias ChunKy, ont contaminé les centaines de festivaliers, tous déguisés et pieds nus. « Les organisateurs ont réussi à transformer la laideur d’Australia Day en quelque chose de beau », déclare Holly, une festivalière. Installé sur des terres privées, dans la forêt australienne, le site est encadré par les montagnes. Les champs boisés d’eucalyptus et de gommiers géants sont bordés par une large rivière, où les festivaliers piquent un plongeon entre deux danses. « Le lieu est sublime, c’est certainement le meilleur endroit où tenir un festival où je me suis rendu dans le Victoria », affirme Joey.

Techno mélodique, house tropicale ou encore transe aux sonorités mystiques et tribales, les DJs proposent des sets progressifs et dansants. Plus loin, un autre espace accueille des ateliers de méditation, de tissage ou encore de céramique. La nuit, au milieu du bush, pas de pollution, mais un ciel étoilé.

L’événement, également axé pour les familles, attire quelques parents fêtards et leurs enfants ce week-end. « C’est le meilleur festival où je me suis rendu », se réjouit Danny, un professeur de 54 ans venu avec sa femme et sa fille de 7 ans. « J’ai découvert le collectif l’an dernier au festival Rainbow Serpent (l’un des plus grands festivals de musique électronique d’Australie qui réunit plus de 20 000 personnes et qui a été reporté cette année à cause des incendies, ndlr). À Yumaanda, les gens font attention aux autres et sont bienveillants. Si l’opposition marche avec le pouvoir, l’événement est à la frontière de cela, et n’accepte pas la situation de la fête nationale », ajoute-t-il.

Sur le dancefloor, le set des DJs Le’Bruh and Heavy Footer, qui mélange les genres, entre percussions caribéennes et morceaux minimal, déchaîne la foule. Camilla, 50 ans, aux grosses lunettes à strass et cheveux roses, danse tout en crachant sur la politique menée par son pays. Dévastée par les incendies, elle est en colère contre son Premier ministre Scott Morrison, qu’elle aimerait voir démissionner. Elle a choisi de passer son 26 janvier à Yumaanda pour soutenir une cause « qui unit les Australiens et qui est connectée à la nature ». En effet, l’environnement fait partie des priorités des festivaliers. « Si nous prenons soin de nos terres, nos terres nous le rendront », assure Sam, la vingtaine, originaire d’Albury, en Nouvelle-Galles du Sud. « Nous voulons respecter notre pays ».

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XUANXUE DJ
©Lilas-Apollonia Fournier

L’un des sets les plus attendus de l’événement, c’est celui de Brothers. Sam et Seth Nolan cherchent à mixer des instruments aborigènes, des chants traditionnels et reproduire des sonorités des terres, comme la faune ou le son des rivières, à des morceaux techno. « C’est l’idée de mélanger des sons vieux de plusieurs milliers d’années à de la musique contemporaine, synthétisée », explique Sam, qui a sorti avec son frère l’EP Stories from the Kulin Nation, en collaboration avec l’Aborigène Uncly Larry. Pari réussi : leur set est une invitation au voyage, mêlant reverbs, sonorités luxuriantes et lourdes basses. Puis, Harley James, aux platines, s’associe à Jaden Briggs, qui joue du didgeridoo (un instrument de musique à vent de la famille des cuivres) en live. La parfaite Australian touch, pour Patrick, originaire de Brisbane, qui s’extasie d’entendre cet instrument sur de la techno. « La musique australienne a besoin de plus de saveurs locales et les morceaux aborigènes devraient devenir plus populaires ».

Uncle Larry invite, le lendemain matin, tous les participants à s’asseoir en arc de cercle près de la scène. Après quelques notes de didgeridoo, il raconte l’histoire d’animaux de la rivière ennemis, qui finissent par engendrer une nouvelle espèce, l’ornithorynque. Une métaphore à l’union qui lie désormais les “Blancs” aux Autochtones. « Tout ce qui arrive à nos terres nous impacte », conclut une autre porte-parole aborigène. « Nous sommes forts et pacifiques. Nous ne faisons pas cela pour les Blancs, mais pour la prochaine génération ».

Applaudissements et encouragements, les festivaliers remercient à l’unisson les organisateurs et propriétaires des lieux. « Merci à tous d’avoir permis à ma fille de célébrer sa première fête nationale sans conflit, sans appropriation culturelle et en respectant l’environnement et sa culture », conclut Ben, l’un des organisateurs, jetant un regard appuyé à sa fillette et sa femme. « Cela ne fait aucun doute, nous reviendrons l’an prochain », annonce haut et fort un homme dans la foule.

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