Le suspense aura tenu jusqu’au dernier moment. Pas celui de la qualification en demi-finale de la Coupe du monde, non. Celui-là fût comblé dès notre arrivée à Brest par les klaxons et les « On est en demi » qui retentissaient sur les quais du port. Les bars sportifs alignés face aux embarcadères débordent de monde dès le dernier coup de sifflet à 18 heures. Le suspense qui nous maintint en haleine, jusqu’aux dernières minutes avant l’ouverture des grilles du manoir, fut celui de la météo : l’Astro cuvée 2018, sec ou pluvieux ?
Malgré quelques gouttes criblant le lac en face de la crêperie du blé noir, point de chute obligé des journalistes affamés, les cumulus auront épargné cette année le festival. Baskets intactes et pensée émue aux glissades dans la gadoue de l’édition 2016, la soirée démarre donc sous un coucher de soleil embrasé qui s’éclipse vite derrière les pointes du chapiteau abritant la scène Mekanik. La météo clémente, l’on passera la majeure partie de la nuit à se laisser porter entre les scènes – au nombre de 5 cette année, avec l’arrivée du RedBull Boombus parqué sous l’un des grands arbres du domaine – comme un tonneau roulant sur le ponton d’un navire dans la tempête. Car le ciel dégagé n’aura pas rendu l’Astropolis moins orageux.
Sur la scène de la cour, il n’est pas minuit lorsque Not Waving entreprend d’épousseter la pierre des remparts à coups d’EBM saccadé et de techno aux accents noise. La radicalité en entrée-plat-dessert. Plus tôt dans la journée, le collectif NVNA avait déjà monté sa tente noire et accroché ses étendards couverts de runes au lavoir de Brest, bonimenteurs de passage pour une session expérimentale et noise à l’heure du goûter, sous un soleil cogneur. Ce dernier a désormais entièrement disparu et laisse place à l’astre noir Otto von Schirach sur la scène Mekanik. Vêtu d’une cape et d’un diadème, débout sur les platines, l’Américain screame comme un possédé, tandis que des kicks saturés transissent la foule. La grande roue rutilante installée à l’entrée du festival a beau tournicoter à son rythme enfantin, Astropolis aura fait cette année du très sérieux.
Outre les performances hardcore mémorables de ISR et du taulier Manu le Malin – merci au monsieur qui nous a appris la « danse de la pelleteuse » devant ce dernier, on s’en souviendra –, les sets à rallonge de Nina Kraviz et Laurent Garnier, on aura aussi pris une claque avec le live sans fautes de Mad Ben, très attendu puisque son premier album sort tout juste sur le label d’Astropolis, et la découverte de CZR sur la scène Dôme. Béret vissé sur la tête à la mode rominimal, le jeune DJ rennais servira une sélection de vinyles techno et micro en contraste avec la sauvagerie environnante, mais dont on ne décrochera plus. Il faut dire qu’avec son mapping à mi-chemin entre le vortex, le trip psychédélique et le système digestif, la scène avait de quoi captiver.
L’ambiance avait quelque peu manqué à l’appel le premier soir, lorsque Agoria peinait à convaincre la Carène avec un live sans grande saveur – Avalon Emerson rattrapera heureusement le coup derrière – et que l’excellent concert du gourou de la techno indus Ancient Methods, accompagné d’une guitariste, déroutait ostensiblement le jeune public de la Suite. Mais ça, c’était hier. Ce samedi, le festival grouille de monde – entre les scènes, un flux ininterrompu de gens qui flânent, titubent, s’aiment, s’engueulent, trébuchent et s’enlacent. Le Manoir resplendissait, rehaussé çà et là de néons colorés fixés aux remparts, et servi par une scénographie repensée de la scène de la cour. Avec ses cubes-satellites lumineux et sa construction asymétrique, elle prenait des allures de vaisseau spatial crashé, et il n’a fallu qu’attendre le live du trio LSD pour être propulsé dans une autre galaxie.
Brest ne se placerait sans doute pas au top 10 des villes de France où il fait bon flâner, et l’on parcourra le OFF d’Astropolis de façon méthodique, étape par étape, pour ne pas céder à la léthargie qui plane dans les rues anonymes et pentues de la ville. Des parcs avec vue sur la mer, on passera par l’Astro Family sur la place de la Liberté, où les enfants s’en donnaient à cœur-joie sur une piste de ventreglisse, sous les regards jaloux de leurs parents en sueur, au terrain de pétanque où Radio Lune tenait les platines, sans oublier le marché aux vinyles sous la verrière de La Passerelle. Tout un programme. La nuit tombée, le plaisir fut donc double de pouvoir enfin se laisser aller au grand sabbat de kicks et de lumières.
Sous une brise légère, les lampions brillaient entre les feuillages touffus comme des lucioles mécaniques. Le circuit d’auto-tamponneuses serti de mille ampoules rouges et orange diffuse une reprise de Despacito intitulé C’est l’apéro, étouffée la plupart du temps par les entrechocs et les basses de l’Astrofloor. Sauvage ? Cette édition particulièrement axée sur la techno/hard music le fut sans conteste, à la hauteur de sa réputation de cirque pour grands enfants insomniaques. Mais avec ses nouvelles scènes intimistes, ses nombreux coins chill et ses attractions, Astropolis 2018 fut aussi un savoureux moment de flottement – et sans la flotte, c’était encore mieux.