Déjà, comment est née l’idée de ce projet Antiverse ? Dans quel contexte ?
Brice Coudert : Même si c’était le fruit du hasard, la fermeture de Concrete s’est faite pile à la fin d’un cycle musical qui durait depuis moins d’une décennie. Cette fin de cycle a bien évidemment été provoquée par le covid, mais surtout par l’arrivée d’une nouvelle génération – public et artistes – avec de nouveaux codes et une sensibilité musicale assez différente de la génération précédente. Le break du covid m’a donc permis de pas mal réfléchir à l’ADN musical d’Antiverse, que je voulais être un événement tourné, quelque soit les tendances et les modes, vers les musiques électroniques mentales, mais tout en gardant un petit “twist” moderne.
De manière plus générale, quel regard portes-tu sur la manière dont s’est développé le mouvement “rave” ces dernières années ?
Il y a une théorie qui se confirme de plus en plus, qui dit que la nostalgie “culturelle” se fait sur des cycles de 20 ans. Ce qu’on peut notamment observer dans la musique avec les revivals: les années 90 étaient obsédées par les 70’s, les années 2000 par les années 80’s, les années 2010 par les années 90, jusqu’à aujourd’hui où la tendance apparaît être le revival 2000’s. De la même manière qu’à la fin des années 90, le son s’est petit à petit durci et a accéléré au fil des années 2010’s pour répondre aux attentes du public, jusqu’à arriver à un son dit “rave” mais souvent hyper efficace, commercial, voire cheesy. Un peu comme à l’époque de Thunderdome, lorsqu’ils sont passés progressivement d’un son très dûr à des choses beaucoup plus commerciales. Cette tendance “rave” a permis d’enrichir un son qui devenait peut-être un peu trop monocorde et plat, mais est devenu tellement populaire et mainstream, qu’une partie des artistes et du public est en train de naturellement s’en détacher petit à petit. Comme au début des années 2000… Cela dit, je pense qu’il y a des très bonnes choses qui se font, notamment sur des sonorités hardcore, gabber, eurodance et trance, qui vont continuer d’influencer les prochaines générations de producteur.ice.s.
Le son très maximaliste de ces dernières années a-t-il un peu éclipsé une approche un peu plus minimaliste de la musique électronique ?
Il y a eu un gros rejet de la techno 4X4 répétitive ces dernières années. Beaucoup d’artistes se sont engouffrés dans le son “rave”, et les autres vers des choses très breakées type IDM, Bass music, deconstructed club music etc… Je tiens à dire qu’à titre personnel, ça m’a fait également beaucoup de bien d’explorer ces genres sur lesquels j’avais quelques lacunes. Mais, je pense aussi, à titre perso, que la techno mentale, basée sur le groove, qu’elle date de 1992, 2014 ou 2022, est ce qui se fait de plus futuriste et sophistiqué. Et surtout, de plus ancré dans la black culture et la soul. Robert Hood avait d’ailleurs dit dans un interview à propos du contexte dans lequel il a produit “Minimal nation” grand classique de la minimal techno : « Je voulais quelque chose qui parlerait à l’âme ou au cœur humain et ne capitaliserait pas seulement sur la culture rave. Le son gabba était en train de prendre de l’ampleur mais ça ne procurait absolument rien à mon esprit. C’était vraiment le son dépouillé de Détroit ou le son dépouillé et acide de Chicago qui m’intéressaient. Une structure minimale, pour un maximum d’âme. »

Pourrais-tu nous présenter un peu le club Carbone ?
Carbone est le nouveau lieu en plein Paris, entre Gare du Nord et Gare de l’Est, dont la Direction Artistique est gérée par l’agence H A ï K U. C’est un club à taille humaine, autour de 500 personnes, avec une intéressante politique de non communication autour des line-ups (le line-up est juste annoncé sur une hotline téléphonique : +33 7 56 81 51 56, NDLR), pas de préventes, et pas de caméra/photo dans le club. Ne voulant pas annoncer les line-up d’Antiverse à l’avance, et idéalement, ne pas proposer de préventes, le concept m’a tout de suite plu. À côté de ça, le club en lui-même colle parfaitement à ce que je recherche. Un DJ booth au sol favorisant la vibe et la proximité des artistes et du public, une déco minimaliste mais hyper immersive (conçu à partir d’un cube de béton brut imaginé par l’architecte Nicolas Sisto), une hauteur sous plafond parfaite, une mise en lumière ultra immersive (réalisée par Matière Noire à partir d’éléments de LED recyclé), et un sound system L-Acoustics de compétition, qui je pense, n’a pas d’équivalent à Paris aujourd’hui. Notamment grâce à une acoustique vraiment bonne de la salle. Je suis très content de lancer cet évènement dans ce type de lieu, et participer à redonner un peu de force à la club culture.
Aujourd’hui, le public est tellement large, qu’il devient difficile de ne pas récupérer une population quelquefois toxique, irrespectueuse et en recherche d’un son un peu “facile” .
Brice Coudert
Tu le disais, Carbone a une jauge assez limitée. Vois-tu ça comme une contrainte ou au contraire comme une opportunité ?
J’ai moi même pas mal œuvré pour la démocratisation de la musique électronique avec Concrete, Weather etc…. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, le public est tellement large, qu’il devient difficile de ne pas récupérer une population quelquefois toxique, irrespectueuse et en recherche d’un son un peu “facile” . Je pense qu’une jauge réduite est le meilleur moyen de se recentrer sur un public plus puriste et initié, et de construire sa communauté de manière organique, en filtrant les gens grâce à une offre musicale pointue et exigeante, qui va, forcément, ne pas intéresser un public trop random.
Selon toi, est-ce que le phénomène des préventes a fait perdre quelque chose aux soirées en club ?
Aujourd’hui, des promoteur.ice.s vendant des milliers de préventes à des inconnu.e.s, souvent très jeunes, en leur promettant une fête libre et désinhibée, se revendiquent “Safe space”. C’est vraiment du gros foutage de gueule… À l’époque de Concrete, je me suis battu pendant longtemps avec mes collègues pour ne pas faire de préventes. J’ai fini par céder au bout de plusieurs années, et évidemment, on a immédiatement pu sentir que la qualité du public s’est détériorée. Quand tu vois aujourd’hui les piqûres dans les soirées, les agressions sexuelles de plus en plus fréquentes, et le manque d’éducation d’une partie du jeune public concernant les drogues , je pense qu’il y a une vraie réflexion à avoir sur le système de préventes utilisé par tout le monde. Je ne dis pas qu’il faut le bannir, mais peut être s’en servir différemment.

On sent qu’il y a dans ce projet Antiverse une envie de réconcilier les générations. Comment ?
Honnêtement, la période covid, c’était un peu la guerre mondiale entre les générations sur les réseaux sociaux. Ce truc de boomer/millenial s’est ressenti hyper fort sur notre scène. Avec une vraie incompréhension d’une bonne partie de la génération des + 35 ans à capter les délires des plus jeunes. Et vice versa. Grâce à mon métier de DA et programmeur, j’ai appris à sortir de ma zone de confort et essayer de comprendre les nouvelles tendances, même si parfois elles me rebutent dans un premier temps. Et à force, j’ai fini par capter, apprécier, voire même tomber très profondément dans ce que produisait la nouvelle génération. Maintenant, je pense être capable, avec mes line-ups, de trouver des zones musicales qui plairont aussi bien aux boomers grognons qu’aux jeunes insolent.e.s ! (rires). Je pense fermement qu’avoir un mix de public en terme générationnel, est quelque chose qu’on devrait tous inclure dans nos démarches d’inclusion et de mixité. La vibe du Berghain par exemple, repose totalement sur ce mélange des générations, qu’ils gèrent de manière hyper militaire, à grand coup de “nein!” à la porte (rires). Cette mixité d’âge est importante car la culture, et d’autant plus la nôtre, a un besoin de mémoire pour éviter de refaire les mêmes erreurs et s’améliorer, aussi bien musicalement que socialement. Et aussi, car l’éducation du jeune public aux règles de base et de respect, se fera beaucoup plus naturellement en présence d’une population avec de la bouteille et initiée, qui elle-même aura également tout à gagner à rencontrer la jeune génération IRL pour mieux la comprendre.
Rendez-vous le samedi 17 septembre pour la première d’Antiverse au club Carbone, 12 rue Philippe de Girard à Paris.