Annulation de The Bay Festival : “On s’est fait piéger”

Écrit par Trax Magazine
Le 24.07.2015, à 17h00
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Écrit par Trax Magazine
Dans une “contre-enquête” publiée sur le site du supplément lifestyle “O” du Nouvel Obs, le magazine explique les raisons de l’annulation du Bay Festival en Corse, l’un des événements les plus attendus de l’été. Un article qui oublie de préciser quelques points importants. Trax est allé confronter la version de l’Obs avec celles des orgas. Mise au point.

Trax était sur le coup depuis le début, enjoué, impatient, autant que les 4 500 festivaliers qui avaient déjà acheté leur place (119€ le pass 3 jours, 84€ le week-end et 44€ la soirée). Ajoutez à ça le prix du billet d’avion direction les communes de Solaro et Sari-Solenzara en Haute-Corse, vous obtenez le budget de ce qui s’apparente à de jolies vacances festives et estivales. Mais qu’importe le prix quand, en Corse et les pieds dans l’eau, un festival vous offre la crème de la techno style Nina Kraviz, Ben Klock, Carl Craig, Len Faki ou Robert Hood ?

Tous signèrent… enfin presque. Le 18 juillet, soit une semaine avant le lancement de The Bay, le collectif organisateur coupe court aux rumeurs persistantes. Le festival n’aura finalement pas lieu. Mis en cause dans un post des orgas sur la page Facebook du festival, le maire de Solaro qui aurait pris un arrêté contre la manifestation, “revenant sur sa décision première”. Colère chez les organisateurs qui dénoncent “un malaise en France” où existe une “vision méprisante et nauséabonde vis à vis des festivals électroniques” qui accueilleraient un public assimilé à des “drogués” et des “dépravés”.

Colère également chez les festivaliers qui mettent rapidement en cause les compétences – et notamment l’âge – de l’organisation sur les réseaux sociaux. Selon “O”, le fautif est tout désigné pour l’équipe de The Bay ; c’est le maire de Solaro, Jean-Baptiste Paoli : “Avec 4 500 places vendues, il a paniqué et s’est rétracté. Notre déception est immense, celle des festivaliers aussi.” Un changement de position du maire que questionnent également certains propriétaires de terrains à Solaro qui déplorent “une perte de retombées économiques considérables”.

Le magazine pointe du doigt, citations à l’appui, l’amateurisme d’une “équipe jeune”, l’absence totale d’autorisations dans un article qui, il faut le dire, est souvent confus. Pourtant, à en croire les organisateurs contactés par Trax, l’auteure – qui se présente à l’équipe comme une “journaliste d’investigation” – aurait déformé leurs propos, et surtout fait un bel imbroglio entre les différentes situations qu’a rencontré le festival, en occultant des éléments essentiels. Parole à la défense.

Tout avait pourtant bien commencé…

“Contrairement à ce qu’il est écrit dans le supplément de l’Obs, nous n’avons jamais fait de demande à Porto Vecchio mais à Lecci”, commence l’organisation, souhaitant garder l’anonymat de leur parole suite à plusieurs menaces contre certains de ses membres. “Au départ nous avions prévu d’installer le festival sur la plage de St Cyprien, qui dépend de cette commune. Nous avons eu plusieurs rendez-vous d’où nous sommes reparti avec un accord de principe.”
Nous obtiendrons en février une autorisation de principe écrite de la mairie de Solenzara, ainsi que celle de Solaro.

C’était en août 2014. L’équipe commencé alors à travailler sur l’événement, mais en janvier, la mairie de Lecci les contacte : les dates ne conviennent plus. “Le maire nous a expliqué que des commerçants s’y opposaient car cela n’apporterait rien au tourisme de la ville”, nous explique-t-on. Alors, annulation ou recherche d’un autre site ? L’un des organisateurs est Corse et connaît bien la commune de Solenzara. Après une prise de contact, le maire donne son accord de principe et un terrain. “Nous rencontrons ensuite le conseil municipal qui donne lui aussi son accord, puis une rencontre est organisée avec les habitants (une centaine dans ce village d’un millier d’habitants).

” Tout le monde est alors favorable à l’installation du festival, qui devait donc avoir lieu à 90% sur le territoire de Solenzara, et à 10% sur celle de Solaro. Les deux communes sont situées l’une en Haute-Corse et l’autre en Corse du Sud. “Nous obtiendrons en février une autorisation de principe écrite de la mairie de Solenzara, ainsi que celle de Solaro.”

Camping Côte des nacres, où aurait dû avoir lieu le Bay Festival

Mais après quelques temps, le propriétaires du terrain de Solenzara (et plus précisément du Camping de la Côte des Nacres), Laurent Descombes, se retourne : il a peur que la plage et son camping soient détériorés, mais est aussi soucieux de la sécurité des lieux. “En août 2014, il avait dû faire face à trois départs de feu simultanés qui avaient nécessité l’évacuation et le relogement de plus de 500 personnes et avaient détruit près de 80 hectares de végétation”, indique la journaliste de l’O. Et de citer M. Descombes : “On s’en remettait à peine lorsque le projet The Bay a été abordé. J’ai évidemment donné un avis négatif, qui n’a visiblement pas été respecté. Je n’ose même pas imaginer ce qu’il aurait pu se passer si le festival avait été maintenu.”

L’équipe de The Bay part donc à la recherche d’un troisième terrain, qui sera trouvé sur la commune de Solaro. Le camping et le parking seront à Solenzara, le site du festival à Solaro, sur le terrain privé de Gerome Tiberi. Avec M. Tiberi, les relations sont des plus chaleureuses à en croire les organisateurs. D’autant que l’équipe promet de rendre le terrain “encore plus beau qu’au départ” avec notamment la construction d’un “jardin botanique”. Une réunion est organisée entre le maire de Solaro, M. Tiberi, les organisateurs et le responsable de la sécurité. Selon l’équipe de The Bay, le maire, convaincu par la démarche écolo, est enthousiaste.

La sécurité du site mise en cause

Nous sommes début juin et la demande d’autorisation n’a pas encore été envoyée à la préfecture de Haute-Corse. Une grande réunion préalable est montée avec le sous-préfet de Corte et le maire de Solaro, où l’on parle surtout sécurité. “Le préfet était inquiet pour la sécurité des passants et des voitures garées au bord de la route qui passe au cœur du site, il avait peur des potentiels blessés.” L’organisation met en avant le fait qu’elle travaille avec l’une des entreprises chargées de la sécurité du festival de Cannes, donc avec l’expérience des problématiques de voirie. D’ailleurs, “une quinzaine de personnes étaient prévues pour assurer la sécurité de la route”.
Le maire ne répondra plus, ni aux mails, ni aux appels

De plus, le site de remplacement proposé par le préfet, situé sur la commune d’Aléria, ne leur convient pas. Le Corse de la troupe sait qu’il est situé à proximité d’un centre de détention d’anciens délinquants sexuels… dans lequel travaille justement le maire de Solaro. “On se demande bien de qui est venue l’idée”, pointe l’organisation de The Bay. À l’issue de cette rencontre, le maire de Solaro assure les orgas qu’il prend les choses en main : “Ne vous inquiétez pas, nous allons trouver un terrain.” Mais à partir de ce jour-là, selon la team The Bay, “le maire ne répondra plus, ni aux mails, ni aux appels.” 

La presque-île où devait avoir lieu le festival The Bay

Il faut tout de même avancer. Un dossier “de 120 pages” est envoyé le 22 juin, soit un mois pile avant le début du festival. C’est tard. “C’est tard, c’est sûr. Mais nous avons perdu 6 mois avec ce changement de lieu. À chaque fois il a fallu demander à l’équipe de sécu de faire un nouveau plan de sécurité etc. Et ça ne prend pas deux jours.” Nous sommes au tout début juillet. À la préfecture de Haute-Corse, comme il sied avant un événement de ce type, une grande réunion est organisée avec tous les services concernés. Il y a là la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), la SACEM, la gendarmerie, les pompiers, la direction régionale de l’environnement (DREAL), un représentant de l’Intérieur, le directeur du cabinet du préfet et les deux sous-préfets : de Haute-Corse et de Corse du Sud.

Ils nous ont indiqué un endroit qu’ils savaient pertinemment impossible d’intégrer pour mieux pouvoir annuler l’événement.

Alors qu’elle avait participé à sa mise en place, l’équipe de The Bay se déplace jusqu’à Bastia… pour s’entendre dire que la réunion se déroulera finalement à huis-clos. “Nous ne recevrons aucun compte-rendu de cette réunion, rien, même aujourd’hui. Aucun arrêté préfectoral.” Seulement un arrêté de la mairie de Solaro, le 8 juillet, fondé sur les avis défavorables de la gendarmerie et de la DREAL. Il est accompagné d’une lettre du sous-préfet : le terrain est trop dangereux, mais le site d’Aléria conviendra tout à fait. Celui situé aux abords du centre de détention. L’organisation prend ce courrier au pied de la lettre : puisqu’il est recommandé par la préfecture et tous les services présents lors de la réunion, et que le festival est dans deux semaines, il n’y a pas à hésiter. “On cède.”

Sympa l'accueil au centre de détention de Casabianda

Direction Aléria, le 11 juillet pour rencontrer le maire –  “Oui, le préfet m’a prévenu, aucun problème.” – et la directrice du pénitencier. Cette dernière émet quelques craintes mais puisque la consigne vient du préfet… L’accord est oral, mais de toute façon il n’y a pas de temps à perdre. Le déménagement est possible avant le début des hostilités mais il n’y a plus une seconde à perdre. Mais alors que les transports et les réinstallations se font à grande vitesse, un courrier de la préfecture vient stopper net l’élan. “En substance, il dit “Mais vous êtes fous de faire le festival ici, avec des délinquants sexuels qui rôdent autour”, et ordonne son interdiction. Alors que ce sont eux qui nous l’ont indiqués !” Pour les organisateurs, c’est clair : “On s’est fait piéger. Ils nous ont indiqué un endroit qu’ils savaient pertinemment impossible d’intégrer pour mieux pouvoir annuler l’événement.”

La parole à la justice

Désormais, la question du remboursement occupe actuellement tous les esprits, et surtout celui de l’organisation du Bay, cités par l’Obs : “Depuis l’annulation, on fait profil bas. On communique peu. On travaille au remboursement des festivaliers, c’est pour nous le plus urgent. […] Nous avions souscrit à une assurance afin que nous puissions dédommager intégralement les participants de leurs places achetées en cas de problème dont nous ne serions pas responsables. Mais ça ne se fait pas en un jour. Cela peut prendre plusieurs mois.” Côté perte financière du festival, le magazine parle de près d’un million d’euros.

L’équipe du festival a décidé de se tourner vers la justice pour trancher sur les responsabilités de cette annulation et de ses conséquences. Contacté par la journaliste de l’O, un cabinet d’avocats souligne que “la législation en la matière est complexe”. Et d’indiquer : “Un ou plusieurs avis défavorables des organismes de sécurité que consultent les mairies ne signifient pas qu’un festival est annulé. Un festival en plein air a presque toujours lieu dans des endroits jugés ‘défavorables’. C’est ensuite aux organisateurs de l’événement de rassurer en doublant voire triplant les effectifs de sécurité du lieu afin d’obtenir l’accord de la préfecture”. Reste à savoir ce que pensera la justice des différentes problématiques auxquelles ont eu à faire face une équipe jeune, mais peut-être moins irresponsable qu’il semblerait en premier lieu.

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